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Le Vieux continent roule au cash américain

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Qui est propriétaire de 200 rames de TGV, du système de réservation de la SNCF et de rames de métro et RER de la RATP ? Réponse : de grandes entreprises américaines. Surréaliste ? Sans doute. Voyage dans la stratosphère de la finance internationale.
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Question à 300 millions d’euros. Qui est propriétaire de 200 rames de TGV et du système de réservation et de vente de la SNCF ? Réponse : des banques américaines. A qui appartiennent plusieurs centaines de rames du métro parisien, ainsi que des rames de tramway et RER de la RATP ? Réponse : à des entreprises américaines comme Chrysler. Par l’opération du Saint-Esprit ? Non. Par le truchement d’un dispositif surréaliste appelé "US Lease". Peu ou pas connue du grand public, cette affaire est un classique dans le petit monde des argentiers d’établissements publics comme la SNCF - qui l’utilise depuis 1991 - ou de collectivités locales comme la région PACA, qui y a songé dernièrement.

Compter les rames de métro

Pour comprendre cette histoire d’orfèvrerie financière, il faut franchir l’Atlantique, se plonger dans le Code américain des impôts, et se pencher sur le cas du Cross Border Lease, encore appelé US Lease. Pour schématiser, introduisons deux personnages : d’une part M.Mayor, le maire de la ville de Happy City, et d’autre part M.Boss, le patron de la multinationale Global Inc. M.Mayor signe un contrat, par lequel sa ville transfère à l’entreprise de M.Boss la propriété économique de 50 de ses rames de métro pour les 100 prochaines années. En échange, elle perçoit un loyer. Global Inc peut désormais exploiter les rames de métro en question. Mais en réalité, Global Inc n’a que faire du métro de Happy City. D’ailleurs, cette dernière n’a aucune envie de le voir filer. Aussitôt, Global Inc signe donc un contrat de sous-location des rames à Happy City sur une plus courte durée, 20 ans par exemple. Global Inc percevra pour ce service un loyer. Au terme des 20 ans, Happy City pourra mettre fin au premier contrat et récupérer la pleine propriété de son bien, sur lequel elle conserve entre-temps la mainmise, puisque Global Inc le lui sous-loue. En apparence, c’est une opération blanche. Et pour le moins déconcertante : à quoi cela sert-il ?

Totalement virtuel

A ce stade de l’explication, il est recommandé d’attacher sa ceinture. Le droit anglo-saxon distingue deux types de propriétés : la propriété économique et la propriété juridique. Pour le fisc américain, le contrat de location et de sous-location signé par Global Inc fait d’elle le propriétaire économique des rames de métro (tandis que Happy City en conserve la propriété juridique). En conséquence, M.Boss peut porter au chapitre investissements de la comptabilité de son entreprise, 50 rames de métro. Conformément à la loi, cet investissement est amorti sur plusieurs années. Et donne droit à un différé d’impôts. Cette somme momentanément économisée par l’entreprise, donc momentanément perdue pour le contribuable américain, est tout l’enjeu du US Lease. Car elle peut être placée sur les marchés financiers et fructifier au bénéfice de Global Inc, au lieu de filer illico dans la poche du fisc. Comme le US Lease s’applique à des équipements très coûteux (métros, trains, réseaux d’égouts, stations d’épuration), le gain pour Global Inc peut se chiffrer en centaines de millions de dollars. C’est le "paquet cadeau" du US Lease, que Global Inc et Happy City se partagent : versé cash, dès la signature du contrat. Commentaire d’une spécialiste : "C’est un avantage financier bien réel qui repose sur une virtualité économique la plus complète".

SNCF, SFR, France Télécom, parmi d’autres

Les premiers US Lease datent du début des années 90 aux Etats-Unis. Mais "leur essor s’est fait à partir de 1996", explique Caroline Porcher, avocate en droit public et droit financier du cabinet Orrick. Qui se cache derrière Global Inc ? "Prenez le classement des 30 plus grandes banques américaines. Choisissez-en 25 au hasard, vous aurez de fortes chances de tomber sur des bénéficiaires du US Lease, explique un spécialiste. Et vous pouvez y ajouter les filiales financières de Philip Morris, de Ford, de General Electric." Face à ces entreprises, les villes de Chicago, San Francisco, Boston, Washington ou New York jouent aux Etats-Unis le rôle de Happy City. En Europe, la SNCF fut la première signataire d’un tel contrat, en 1991. Depuis cette date, raconte Alain Thouvenot, l’adjoint au directeur financier de la SNCF, l’établissement public a souscrit des US Lease pour 200 de ses rames de TGV, ainsi que pour son système électronique de réservation et de vente. Elle en a retiré un paquet cadeau substantiel : au moins 300 millions d’euros. La RATP a collecté 175 millions d’euros grâce à se rames de métro, de RER, de tramway, ainsi que des équipements de haute technologie. France Telecom et SFR avec une partie de leur équipements de haute technologie. Ailleurs en Europe, les Allemands, les Suisses, les Belges, les Néerlandais, ont aussi craqué pour le US Lease. "De nombreuses collectivités locales sont entrées dans ces montages en y plaçant soit des infrastructures immobilières (...) soit du matériel roulant (de métro ou de tramway)", explique l’avocat Jérôme Pentecoste, dans La Lettre du domaine Public [1]

Gourmandise et crainte

En France, les collectivités locales se sont aussi penchées sur ce dispositif, partagées entre la gourmandise de leurs responsables financiers et la crainte de leurs élus. Les communautés urbaines de Lyon et de Bordeaux y ont songé, avant de renoncer. La région PACA est allée plus loin dans son exploration. "C’était dans le cadre de l’acquisition de matériel ferroviaire, raconte Bernard Beziau, le directeur des finances de la région. Si nous étions allés au bout de l’opération, nous en aurions tiré un gain équivalent à 2 rames de train gratuites pour 20 achetées". Mais l’opération a dû être stoppée tout près du but. Explication : les Etats-Unis sont près de leurs sous ces derniers temps. Il s’agit d’écoper le déficit budgétaire abyssal de l’Etat fédéral. Sous la houlette du sénateur républicain Charles Grassley, les conditions d’application du US Lease sont devenues plus sévères. Les parlementaires avaient "découvert" le pot aux roses : les multinationales bénéficiaient d’un avantage fiscal alors qu’elles ne faisaient qu’investir fictivement dans des équipements déjà existants, sans poser le moindre rail ou tuyau d’égout ni créer le moindre début de commencement d’emploi. "Il s’agissait effectivement de faire porter par le Trésor américain un avantage fiscal, qu’on partageait entre la banque, l’arrangeur et la collectivité locale", confirme Bernard Beziau, un brin amusé. Le US Lease revenait donc dans certains cas à faire financer par le contribuable américain, les infrastructures de la Vieille Europe !

Suspension de séance

"Une modification de la règle a été proposée en mars dernier et acceptée il y a quelques semaines", poursuit Alain Thouvenot. Conséquence, le "US Lease est moribond", lâche Caroline Porcher. "Il n’y a plus eu de contrat depuis un an et demi. Il y a eu des coupes sévères dans les entreprises, car certaines ne vivaient que de ça". De fait, les banques (en France, Dexia ou la Société Générale), les intermédiaires - on les appelle les "arrangeurs" - et les avocats qui avaient réalisé de jolies opérations, se trouvent aujourd’hui dépourvus. Mais tous peuvent compter sur les lobbyistes des multinationales américaines, qui militent pour leur cause à Washington. De ce côté-ci de l’Atlantique, la SNCF continue de suivre l’affaire de près. Entre deux interventions destinées à convaincre un parterre de néophytes des "vertus" du US Lease, Alain Thouvenot tient à souligner : "Nous sommes dans une position attentiste. Mais c’est un attentisme actif".

[1] Numéro 2, avril 2004.

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