Sur un pas équitable

La première ligne du site Internet claque comme une provocation  : « un autre monde est-il possible  ? » Si la question peut laisser perplexe, elle n’a en rien découragé Sébastien Kopp et Ghislain Morillion, les initiateurs du projet Veja. "C’est même le fil conducteur de toute l’histoire, raconte Sébastien. Notre planète tourne à l’envers et je ne sais combien de temps elle pourra supporter aussi peu d’égards." Tout est parti de ce casse-tête  : comment, à son échelle, contribuer à améliorer les choses ?

Du sourire dans les chaussettes

Retour en arrière. Il y a quatre ans, les deux garçons terminent leur cursus en école de commerce à Paris. Ils acceptent, dans le cadre d’un stage, de participer à une étude sur le terrain pour le compte d’un réseau d’une dizaine de grands groupes. Objet de la mission : disséquer la filière développement durable d’entreprises comme Lafarge, Pinault Printemps Redoute (PPR), ou Carrefour. Les deux étudiants grimpent dans l’avion, ouvrent grand leurs yeux et reviennent ’frustrés’ de leur mission. "On a eu le sentiment d’un grand gâchis de moyens. Il y avait beaucoup d’échecs dans les projets visités", analyse Sébastien.

Mais ils n’ont pas perdu leur temps. Dans leurs bagages, des tonnes d’expériences et une idée qui ne va plus les lâcher. Le lancement de leur propre projet  : une paire de baskets équitable baptisée Veja, "regarde autour de toi" en portugais. "L’idée était de mettre en place un circuit, depuis le producteur jusqu’à la vente, qui respecte la dignité de chacun", résume Sébastien. Les deux garçons mettent le cap sur le Brésil et remontent la filière du coton et du caoutchouc équitables. Dessiné par leurs soins, le prototype voit le jour au bout de sept mois. Ils s’invitent dans les salons de mode et le concept accroche. Tant d’ailleurs pour l’esthétique du produit que pour son estampille équitable.

Nike n’a qu’à bien se tenir

Un tour de table auprès d’acteurs de l’économie sociale et solidaire (Crédit coopératif, Nef...) et la dynamique s’enclenche. En 2005, l’entreprise est lancée. Au total, environ 2 000 personnes travaillent de près ou de loin à la fabrication des baskets, depuis l’Etat brésilien du Nordeste, jusqu’à l’association Ateliers sans frontières en France, qui participe au stockage de la marchandise. Les premières recettes tombent. En 2005, la petite boîte réalise un chiffre d’affaires de 300 000 euros. Cinq salariés participent à l’aventure. Pour autant, Sébastien, qui n’a pas encore trente ans, refuse d’entendre parler de bonne action.

"Le commerce équitable, ce n’est pas de la charité", clame l’entrepreneur. D’ailleurs, l’étiquette qui accompagne la paire de chaussures n’en rajoute pas sur la question. Même chose pour le circuit de distribution. "Nous sommes présents dans des magasins spécialisés, argumente Sébastien. Des magasins spécialisés en baskets, pas en commerce équitable." Un leitmotiv pour les deux dirigeants. "Le consommateur doit acheter car le produit lui plaît. Le reste vient ensuite."

Nike n’a qu’à bien se tenir

Aujourd’hui, les deux créateurs de Veja mesurent les efforts consentis et le chemin parcouru. « On essaie de transformer notre fougue et notre adrénaline en décisions intelligentes et mesurées », lâche Sébastien. Si la paire de baskets des deux anciens étudiants trône aujourd’hui aux côtés des Nike ou des Reebok, rien n’est joué pour autant. Mais la conviction de Ghislain et de Sébastien, elle, ne peut plus s’effondrer. La preuve, ils se lancent bientôt dans la vente en ligne. Surtout, ne pas rester les deux pieds dans le même sabot.

Pour être mieux dans ses baskets