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3-09-2008
Mots clés
Développement Durable
Monde

« Nos dirigeants ne perçoivent pas l’immensité du danger »

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Lester Brown, un des écologistes les plus influents de la planète, analyse pour « Terra Economica » le premier choc écologique du XXIe siècle.
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Egypte, Mauritanie, Mexique, Maroc, Bolivie, Pakistan, Indonésie, Malaisie… La liste des pays secoués par des « émeutes de la faim » est longue. Selon le Fonds international de développement agricole (Fida), une agence de l’ONU, à chaque augmentation de 1 % du prix des denrées de base, 16 millions de personnes supplémentaires sont plongées dans l’« insécurité alimentaire ». Cette situation – non pas cyclique, mais structurelle – rend caducs les modèles d’intervention des organisations internationales, Nations unies en tête. Aujourd’hui, ces dernières doivent agir dans des zones où la nourriture existe, mais où les gens n’ont pas de quoi se la payer. Pour Lester Brown, agronome américain, ce n’est pas seulement l’affaire d’une mauvaise récolte. A ses yeux, la planète connaît une crise à la fois alimentaire, économique, démographique et écologique.

A-t-on une quelconque raison d’espérer que la crise alimentaire s’atténue et que les prix de la nourriture redescendent dans le futur ?

Je pense que l’ère de la nourriture bon marché appartient au passé. Nous avons déjà connu des hausses importantes des prix des céréales au XXe siècle, mais elles étaient liées à des événements climatiques isolés. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus compliqué. Nous faisons face à une chaîne d’événements. Du côté de l’offre, nous assistons à un resserrement des ressources alimentaires mondiales, tandis que du côté de la demande, la population mondiale continue de croître de 70 millions de personnes chaque année. En outre, près de 4 milliards de personnes dans le monde voient leurs revenus augmenter et aspirent à « remonter la chaîne alimentaire ». Pour arriver à produire la viande, le lait et les oeufs supplémentaires qu’elles réclament, il faut beaucoup plus de céréales.

Quel est l’impact du développement de la demande d’agrocarburants ?

Cette année, j’estime que plus d’un quart de la production américaine de céréales ira dans les distilleries d’éthanol. Cette explosion des biocarburants a fait doubler le rythme de croissance de la consommation mondiale de céréales. On est passé d’une augmentation annuelle de 21 millions de tonnes entre 1990 et 2005, à plus de 40 millions de tonnes aujourd’hui.

Les agriculteurs peinent à maintenir les rendements. Pour quelles raisons ?

Le premier facteur, c’est la progression des pénuries en eau, conséquence d’une production trop intensive. Dans certains pays, le manque d’eau fait même chuter les récoltes de céréales, notamment en Chine pour le blé – c’est pourtant le premier producteur mondial de cette céréale – ou dans certains pays du golfe Persique. Des pompes d’irrigation qui s’assèchent, il y en a aussi beaucoup en Inde, ce qui affecte la production. Et puis, il y a l’érosion des sols qui progresse dans bien des régions  : environ un tiers des terres arables dans le monde s’érodent plus vite qu’elles ne sont capables de se régénérer.

Quel est l’impact de l’urbanisation sur l’agriculture ?

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Ruée sur l’essence à Port-au-Prince en Haïti

La conversion de terres arables en terres perdues pour la culture atteint des records. Regardez le boom de la construction résidentielle et industrielle, et les routes, autoroutes et parkings nécessaires pour répondre aux besoins des 21 millions de véhicules supplémentaires mis en circulation chaque année. Agrocarburants, pénurie d’eau, érosion, destruction de terres arables : des contraintes telles sur les récoltes qu’il n’a jamais été aussi difficile d’augmenter l’offre agricole. Depuis sept ans, la consommation de céréales surpasse sa production. Les stocks sont aujourd’hui à leur plus bas historique. Et j’oubliais l’augmentation des températures ! Avec 1° C de hausse des températures globales, on peut s’attendre à une baisse de 10 % des rendements des cultures de blé, de riz et de maïs.

Comment s’en sortir ?

Dans le passé, la solution, c’était d’augmenter les subventions agricoles pour inciter à produire plus, ou d’investir plus d’argent dans la recherche. Nous devons continuer à faire ces choses-là. Mais il faut avant tout réussir à stabiliser le climat et la population mondiale. Il faut aussi une initiative globale afin d’améliorer la productivité de l’eau, de la même manière qu’au siècle dernier, il y a eu un mouvement mondial pour faire progresser la productivité des sols. Aujourd’hui, les rendements à l’hectare sont trois fois plus élevés que dans les années 1950. L’augmentation des prix agricoles n’est-elle pas, finalement, une bonne nouvelle ? N’est-ce pas la condition pour que les agriculteurs puissent investir, augmenter leurs rendements et donc la production ? Les prix élevés vont inciter les fermiers à produire plus en effet, mais hélas, dans beaucoup de cas, cela veut aussi dire plus de surexploitation des nappes phréatiques, plus de déforestation tropicale, en Amazonie et en Afrique. C’est dangereux.

Toutefois, les hauts prix de la nourriture, du pétrole et des matières premières constituent aussi une opportunité historique pour modifier notre façon d’investir et parvenir à des modes de production durables ?

Je le souhaite mais, pour l’instant, les débats dans les institutions internationales se concentrent sur des solutions agricoles traditionnelles pourtant insuffisantes. Je le répète : la solution pour éviter les pénuries de nourriture, c’est désormais d’abord la stabilisation du climat et de la population. Et là, nous sommes très loin du compte.

A quel point sommes-nous loin du compte ? Vous dites souvent que la mobilisation nécessaire est comparable à un effort de guerre.

Il y a de la bonne volonté partout dans le monde, mais je ne vois encore aucune réaction qui soit à la hauteur du danger. La prise de conscience mondiale progresse, mais beaucoup trop lentement. Je crois que c’est en partie parce que les gens se disent : « Si nous sommes patients, toutes ces difficultés finiront par disparaître. Prions pour que la prochaine récolte soit meilleure… » Peu de gens réalisent à quel point la récente crise alimentaire a des racines profondes qui sont liées à la structure même de l’économie planétaire. Pour y échapper, il va falloir des changements radicaux dans le mode de vie humain : moins d’enfants par couple, une alimentation beaucoup moins gourmande en viande notamment. Il faut regarder ces enjeux en face avant qu’il ne soit trop tard !

Mobiliser l’économie mondiale prend du temps. La lenteur des négociations internationales pour limiter les émissions de gaz à effet de serre vous rend-elle pessimiste ?

Bien sûr que oui. Même chez vous, en Europe, les effets du protocole de Kyoto sont encore bien maigres. Ce n’est pas grâce aux accords internationaux que nous réussirons à survivre. Nous ne pouvons y arriver que si des initiatives locales spontanées se multiplient pays par pays. La Nouvelle-Zélande envisage, par exemple, de devenir le premier pays neutre en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Ce qui est remarquable dans ce choix, c’est que le Premier ministre néo-zélandais n’a pas dit : « Nous allons le faire si l’Australie, la Chine ou les Etats-Unis font pareil. »

Aux Etats-Unis, malgré l’intransigeance de Washington dans les négociations internationales, on voit poindre beaucoup d’initiatives de ce type. Cela vous semble-t-il suffisant ?

En moins d’un an, un puissant mouvement politique partant de la base a presque réussi à imposer un moratoire de fait sur la construction de nouvelles centrales électriques au charbon (qui sont une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, ndlr). Je trouve cela très encourageant. Sur 151 projets de nouvelles centrales au charbon, plus de 60 ont déjà été abandonnés grâce à l’opposition des élus locaux et de la société civile. Soixante autres projets sont attaqués en justice par des associations écologistes. Si l’humanité survit au réchauffement, ce sera grâce à des initiatives démocratiques spontanées comme celles-ci. Négocier des accords internationaux, puis les ratifier, prend beaucoup trop de temps. Si on ne compte que là-dessus, le sable aura fini de s’écouler dans le sablier avant que nous ayons pu faire ce qu’il faut.

Mais la contestation démocratique peut-elle l’emporter sur les réalités économiques ? Car le

charbon reste le moyen le moins cher pour produire actuellement de l’électricité.

Justement ! Les plus grandes banques américaines, comme, JP Morgan ou Citigroup, disent qu’elles ne prêteront plus d’argent pour construire des centrales au charbon à moins que leurs constructeurs ne leur démontrent qu’elles seront encore rentables lorsque Washington finira par imposer des restrictions sur les émissions de gaz à effet de serre. Faire cette démonstration est évidemment impossible. La seule certitude, c’est que la démocratie finira par imposer ces restrictions. En conséquence, Wall Street est donc en train de tourner le dos à l’industrie américaine du charbon. Il y a un an, personne aux Etats-Unis ne voyait venir cette levée de boucliers. Je crois qu’elle va devenir un phénomène planétaire, et ça me rend enthousiaste !

Raison démocratique et rationalité économique semblent pouvoir se rejoindre. Depuis quelques mois, les Américains n’achètent pratiquement plus de 4x4. Oui, c’est aussi une tendance intéressante, et très spectaculaire, un effet de la hausse du pétrole. Comme si, de fait, une taxe sur le carbone avait été instituée. Les prix élevés des matières premières, du pétrole dans le cas présent, peuvent finalement être une bonne nouvelle. Dans ce sens, oui. C’est une heureuse coïncidence pour le climat.

Sources de cet article

- Earth Policy Institute

- « L’agriculture pour le développement », rapport 2008 de la Banque mondiale

- « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde », rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO)

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Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde

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