Le pétrolier ExxonMobil : coupable. Le gouvernement du Brésil : coupable. Les 90 multinationales responsables de 63% des gaz à effet de serre : coupables. Vendredi dernier, à Paris et Montreuil (Seine-Saint-Denis), les verdicts se sont enchaînés pour condamner les responsables du dérèglement climatique et d’autres destructions de l’environnement. En marge de la COP21, des militants écologistes venus du monde entier et leur figures de proue – le chef brésilien Raoni, l’essayiste canadienne Naomi Klein ou l’activiste indienne Vandana Shiva – ont profité d’être réunis à Paris pour mener les procès dont ils ont toujours rêvés. Juges, procureurs, interrogatoires contradictoires et plaidoyers : ces cérémonies symboliques, organisées dans des salles de spectacle, rappelaient celles du tribunal Russell-Sartre qui, dans les années 1960, s’était chargé de juger les crimes commis lors de la guerre du Vietnam. Comme à l’époque, ces tribunaux populaires visent à démontrer une carence de la justice. Cette fois, c’est l’impunité de ceux dont les activités menacent la vie sur terre qui est mise en cause. Troisième épisode de cette série avec le tribunal contre ExxonMobil.
Entre les murs au béton apparent de La Parole Errante, salle de concert de Montreuil (Seine-Saint-Denis), deux figures du militantisme nord-américain offrent à quelque 300 spectateurs venus du monde entier un show d’un genre nouveau. « Diriez-vous qu’ExxonMobil est une bonne compagnie pour les populations qui vivent à proximité de ses activités ? », interroge l’essayiste canadienne Naomi Klein. « Nous avons combien d’heures devant nous », répond dans un rire Bryan Parras, cofondateur de l’association Texas Environmental Justice Advocacy Services. Pendant deux heures, ce samedi 5 décembre, les témoins défilent à la barre pour raconter l’impact du pétrolier américain – « l’entreprise la plus riche au monde » – sur leur vies. Assis au pied de la scène, attendant leur tour de parole, les habitants du delta du Niger côtoient ceux des Etats insulaires menacés par la montée des eaux. La fille du président des Maldives a accepté de jouer le rôle de juge.
Ce faux procès est l’un des moments forts du sommet des citoyens pour le climat qui se tenait les 5 et 6 décembre à Montreuil. L’événement est porté par l’association 350.org qui milite pour la fin des énergies fossiles. Son fondateur, Bill McKibben, endosse l’habit de procureur, aux côtés de Naomi Klein. Ici, seule la mise en scène est fictive. Les témoignages, authentiques, sont glaçants. Ken Henshaw, membre de l’ONG nigériane Social Action prend le micro : « Dans ma région, le taux de benzène dans l’eau est 900 fois supérieur aux limites règlementaires, mais nous continuons à en boire, je continue à la boire. » Un silence. « Chez moi, l’espérance de vie est comprise entre 43 et 46 ans. Il y a des enterrements tout le temps, alors oui, j’ai peur. » Après qu’une habitante de Louisiane a dépeint la destruction de sa région par les pipelines, la biologiste Sandra Steingraber, leader du mouvement antifracturation hydraulique aux Etats-Unis, dénonce le pouvoir de réchauffement du méthane. Puis vient le coup de grâce : les révélations du journal en ligne Inside Climate indiquent qu’Exxon était conscient, grâce à ses propres recherches, du mécanisme de dérèglement climatique dès les années 1970. « Difficile d’imaginer un panel d’actions causant autant de dégâts inutiles, résume Bill McKibben Pour cette raison, nous demandons une condamnation d’Exxon. » Sans surprise, l’accusation l’emporte, Exxon est déclaré coupable de « crimes climatiques ».
Pour qu’une telle cérémonie devienne réalité, il n’y a qu’un pas. Celui de la reconnaissance par la Cour pénale internationale (CPI) d’un cinquième crime : celui d’« écocide ». Les atteintes aux conditions de vie sur terre pourraient être jugées par la même instance que les crime contre l’humanité, les crimes de guerre ou les génocides. Cette évolution du droit est la raison d’être du mouvement « End Ecocide on Earth », auquel appartient Valérie Cabanes. « Le crime d’écocide permettrait de faire le lien entre les droits de l’homme, ceux de la nature et ceux des générations futures », explique la juriste en droit international. Elle a donc rédigé 17 amendements destinés à modifier les statuts de la CPI. Une fois remis par un Etat à Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, ceux-ci devront être ratifiés par les deux tiers des 123 parties de la CPI pour exister. « Il y a tout de même une chance pour que ce texte voie le jour », estime la juriste. Alors, il ne s’agira pas seulement d’attaquer les firmes. « Pour qu’une vraie responsabilité s’exerce, il faut que les dirigeants eux-mêmes soient poursuivis », estime Valérie Cabanes.
A lire aussi sur Terraeco.net :
Les tribunaux de la planète (1/4) : pour les droits de la nature
Les tribunaux de la planète (2/4) : Monsanto à la barre
Les tribunaux de la planète (4/4) : la France devant les juges ?
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions