Vous savez à quel point les changements climatiques vont bouleverser les sociétés humaines. Pourtant, dans votre livre Tout peut changer (Lire la chronique ici), vous conservez une note d’espoir quant à la capacité des hommes à s’organiser pour affronter ces changements.
Mon travail me met en relation avec la prochaine génération d’activistes et je crois que ce que je préfère, c’est leur manque d’amertume ! Je suis toujours épatée de voir comment la résistance aux énergies fossiles s’est développée au sein des campus américains et de voir à quel point ces jeunes de 20 ans s’investissent. Ils ont d’ailleurs toute l’autorité morale pour le faire puisque ce sont eux qui vont vivre dans un monde réchauffé. Suivre les mouvements de résistance sur le terrain, me battre à leurs côtés, c’est comme une piqûre de rappel : oui, il y a de l’espoir, des gens agissent un peu partout dans le monde et si cette génération n’abandonne pas, alors je ne vois pas pourquoi nous, on abandonnerait. Sans vouloir vous vexer, je déprime plutôt quand je parle aux journalistes ! Dans les médias, je sens toujours un grand défaitisme sur ces questions.
Probablement parce qu’à force de suivre ces dossiers on constate que les choses n’avancent pas suffisamment, voire qu’elles empirent.
Je ne me voile pas la face, je sais que tout le matériau que l’on travaille est déprimant. Mais quand on me dit que les mouvements de résistance sont des groupes « anti-tout », je ne suis pas d’accord. C’est au contraire un mouvement très positif, « nursing » (nourrissant, en anglais, ndlr) même. En s’opposant à la destruction de la nature, les résistants tombent encore plus amoureux de l’endroit où ils vivent. Que ce soit un barrage ou un oléoduc, ces menaces les poussent à s’interroger sur leurs valeurs, à connaître un peu mieux leur lieu de vie, à se réapproprier une histoire, une culture. L’esprit sur lequel est bâti ce mouvement est plein de générosité et de pardon. Ce n’est pas qu’une opposition nihiliste, c’est aussi un acte d’amour pour la vie.
Cet amour pour la vie a du mal à imprégner la vie politique, non ?
Je ne suis pas naïve, tout cela est bien trop lent à se mettre en place. Lors de mon passage en Espagne, j’ai été très étonnée de voir que, même pour les chefs du parti Podemos (issu du mouvement des Indignés, ndlr), l’urgence est d’abord la gestion de la crise économique. Le réchauffement climatique ? On s’en occupera après… C’est une énorme erreur. Voir que le débat sur l’austérité en Europe ne mentionne jamais le climat est très frustrant. S’il y a une crise de l’emploi, il n’y a pas de meilleure façon de créer du travail qu’en traitant le problème climatique, c’est-à-dire en prenant à bras-le-corps cette grande transformation qui est en cours. Je ne sais pour quelle raison, chaque mouvement reste dans sa boîte. Cela dit, en France, vous avez la chance d’avoir des coordinations importantes, comme Attac, qui réunissent étudiants, syndicats, agriculteurs… Les mouvements sociaux convergent les uns vers les autres et cela va s’accélérer jusqu’au grand rassemblement de la COP21 (conférence internationale sur le climat, en décembre, ndlr) à Paris.
Qu’attendre alors de ce 21e sommet climatique ?
Nous savons tous que la COP ne va pas produire l’accord que nous souhaiterions tous et qui avait été promis à Copenhague (au Danemark, en 2009, ndlr). La Chine, l’Europe et les Etats-Unis ont déjà mis leurs propositions sur la table. Elles sont largement insuffisantes pour maintenir l’augmentation des températures à +2°C, nous sommes plutôt sur la voie des +4°C, si ce n’est plus. Il faut être honnête avec ça, il y a un énorme fossé entre les intentions affichées et la réalité des engagements pris. Mais il faut voir la COP comme un énorme projecteur qui va éclairer le problème climatique durant plusieurs mois. C’est aussi une opportunité en or pour que les mouvements sociaux articulent ensemble une réponse convaincante aux enjeux climatiques, qui serait également une réponse aux problèmes de chômage, d’investissements publics, de répartition des richesses, de justice sociale. Je vois le rendez-vous de Paris comme un potentiel catalyseur qui changerait les termes du débat public. Il faut qu’après Paris plus aucun homme politique n’ignore ces enjeux-là et que l’ensemble des gouvernements s’engagent vers des objectifs autrement plus ambitieux. —
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