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21-10-2011
Mots clés
Environnement
Eau
Chine

Le Mékong menacé par les barrages

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Le Mékong menacé par les barrages
(Crédit photo : 松岡明芳)
 
Le fleuve était jusqu'ici épargné par le développement, mais aujourd'hui des projets de barrages menacent la vie de 70 millions de personnes. La résistance s'organise.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Dans la torpeur du petit matin, le Mékong coule avec majesté. Les femmes y lavent leur linge, les enfants s’amusent dans ses eaux saumâtres. Seules quelques pirogues équipées de moteur hors-bord perturbent ce calme d’un autre âge. Pourtant, quelques kilomètres en amont, les couteaux sont tirés et des centaines de villageois sont prêts à se battre pour défendre leur Mékong, surnommé ici « la mère de tous les fleuves ».

En cause : un projet de barrage connu sous le nom de Xayaburi. Un ouvrage immense qui risque de troubler l’apparente sérénité de cette province pauvre du nord du Laos. Car ici le fleuve nourricier fait vivre des milliers de familles : pêche, agriculture, transport… La vie près du village de Houay Souy, où devrait être érigé ce barrage, coule au rythme du Mékong. « On nous a demandé de faire nos bagages et de partir, nous explique un vieil homme. Ils disent que nos maisons seront inondées par ce nouveau barrage et on nous promet de nous installer sur les hauteurs. Mais c’est trop loin du fleuve, soupire-t-il. Nous vivons tous de la pêche, alors comment allons-nous faire pour vivre ? »

Dix euros en guise de compensation

Des arguments qui ne devraient pas résister longtemps aux pelleteuses. C’est le promoteur thaïlandais CH. Karnchang qui se charge des travaux. L’entreprise refuse de nous faire visiter le site, consciente certainement du scandale qui entoure ce projet. Un villageois nous emmène cependant sur place. Après avoir remonté le fleuve et marché plusieurs kilomètres à travers une vallée verdoyante, nous voici sur le site de Xayaburi. Sur place, les travaux ont déjà commencé. Plusieurs dizaines de kilomètres de routes sont en travaux à travers la forêt. Des dizaines de villageois nous confirment avoir reçu l’équivalent de dix euros en guise de compensation et doivent plier bagages d’ici quelques semaines à peine. Les engins de terrassement portent tous le logo de CH. Karnchang et ne laissent guère de doute sur l’objectif de cette route d’une cinquantaine de kilomètres qui doit permettre d’accéder au site de construction du barrage.

La facture de ce projet monumental dépasse les 3 milliards d’euros. C’est le plus important du pays et le gouvernement laotien semble mettre les bouchées doubles. Ce barrage de 1260 MW devrait en effet exporter 95% de son électricité vers la Thaïlande voisine et faire entrer de précieuses devises au Laos, l’un des pays les plus pauvres du monde.

Plaintes du Cambodge et du Vietnam

Mais le scandale est ailleurs. Les travaux ont en effet commencé sans même le feu vert de la Commission du Mékong. Car les villageois ne sont pas les seuls à s’opposer à ce projet de barrage. Si la Thaïlande évidemment est favorable, le Cambodge et le Vietnam ont officiellement déposé plainte auprès de la Commission du Mékong pour interdire la construction de Xayaburi. Cette organisation internationale regroupe les six pays riverains du fleuve et est censée gérer depuis 1995 les différents projets. Sur celui-ci elle vient d’émettre un avis défavorable – ce qui est extrêmement rare - et propose un moratoire de dix ans ! Le temps d’étudier en profondeur les conséquences sur l’écosystème. Vientiane pourrait décider de passer outre et poursuivre les travaux. Sur place, les villageois se préparent à faire de la résistance. « Pas question de voir notre vallée détruite », nous explique un habitant.

Il faut dire que les arguments qui inquiètent les opposants sont nombreux. Ils avancent la sécheresse record de ces derniers mois et un manque de variétés de poissons. L’écosystème est menacé et c’est toute la région qui est concernée. 70 millions de personnes vivent directement du Mékong. Même constat de l’autre côté de la frontière, au Cambodge. Om Savath, directeur de l’ONG « Actions pour la Pêche », mène la lutte pour défendre les pêcheurs cambodgiens, premières victimes de ces barrages. « Ces cinq dernières années, les rendements des pêcheurs ont baissé de plus de 50%. Il y a bien sûr la surpêche, la sécheresse ou encore la pollution qui peuvent expliquer cela. Moi je pense plutôt que la cause de tous ces problèmes ce sont les barrages. »

Car Xayaburi n’est que le sommet de l’iceberg. Le poste avancé d’une série de barrages qui menacent la vie du Mékong. Côté chinois il y a déjà le barrage de Manwan. Cet ouvrage de 1750 MW fut le premier construit sur le Mékong en 1993. Quatorze autres barrages devraient voir le jour. « Xayaburi est un symbole, nous explique Som San, un activiste thaïlandais. Si nous cédons aujourd’hui, ce sont des dizaines de barrages qui seront construits sur ce fleuve et ce sera une catastrophe pour l’écosystème. Le Mékong irrigue l’ensemble du continent. C’est un fleuve qui depuis des millénaires fait vivre des millions d’agriculteurs et de pêcheurs. Si les poissons venaient à disparaître et si le fleuve devait s’assécher encore davantage, que deviendront-ils ? »

Des barrages servant surtout les intérêts chinois

Selon la légende, un dragon a dessiné le lit du Mékong qui s’étend sur près de 5000 km du Tibet au Vietnam. Aujourd’hui c’est un autre dragon, chinois celui-là, qui menace. « Tous ces pays riverains du Mékong ont des intérêts divergents. La Chine ne pense qu’à produire de l’électricité. Elle se fiche complètement des conséquences que peuvent avoir ces barrages sur les populations de ces pays. Que peuvent faire les petits pays du Sud-est de toute façon face à un géant comme la Chine ? », s’interroge, dépité, un fonctionnaire de cette commission. Beaucoup doutent également de la véracité des rapports qu’elle a émis. Le moratoire sur Xayaburi masque en effet une série de rapports très conciliants quant aux intérêts chinois. Selon les experts de cette commission, les barrages chinois ne sont pas à l’origine de la sécheresse dans le bas Mékong. Ce que récusent de nombreuses ONG. « La Chine se trouve en amont de cette région d’Asie du sud-est et elle est la source de nombreux fleuves comme le Mékong, explique un représentant d’International Rivers, une ONG spécialisée. Quand elle construit un barrage, elle régule le cours du fleuve et modifie les variations saisonnières. Son but est de produire de l’électricité et de réguler les crues au moment de la mousson. Mais les pays en aval voient les fleuves s’assécher et les stocks de poissons se réduire. En outre, les barrages bloquent les sédiments ce qui a un impact sur l’agriculture et la pêche en aval. »

La Chine met en cause pour sa part la fonte des glaciers de l’Himalaya et rappelle que ces barrages sont une source unique et irremplaçable d’énergie propre. Il faut dire que Pékin est un avocat féroce de la construction de barrages. Non seulement sur le Mékong mais aussi sur l’ensemble des grands fleuves asiatiques. De quoi apporter de l’eau au moulin des autorités laotiennes qui s’appuient aujourd’hui sur ces conclusions chinoises pour faire avancer leur projet. « Si la Chine construit des barrages sur le Mékong selon son bon-vouloir, alors pourquoi ne faisons nous pas de même ?, assure le professeur Somsavath, conseiller auprès du gouvernement laotien. Il y a deux poids deux mesures au niveau de la Commission du Mékong. Tout le monde a peur de la Chine alors on la laisse construire des dizaines de barrages sans rien dire. Nous en revanche, on nous refuse ce droit. Pourquoi ? Ce barrage est vital pour le pays. Il apporte de l’électricité à une province qui n’en a pas et l’impact sur l’environnement est limité au maximum. »

Un bras de fer s’est donc engagé autour de ces barrages du Mékong. Le Laos semble décidé à ne pas céder aux injonctions de la Commission et les travaux avancent dans la vallée de Houay Suy. « De toute façon qu’est-ce qu’on peut faire ?, se lamente un vieil homme. Si on refuse de partir ils vont envoyer des soldats ici. Ils vont nous prendre notre fleuve et notre vie. »

Cet article de Stéphane Pambrun, envoyé spécial à Houay Souy (Laos), a initialement été publié le 20/10/2011 sur le site de Novethic, le média expert du développement durable.

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