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29-04-2015
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Biodiversité
France
Monde
Enquête

L’animal persona non grata

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L'animal persona non grata
(Crédit photo : Stephen Belcher / Corbis)
 
Nous avons tous des préjugés – positifs ou négatifs – sur les frelons, les loups ou les perruches. Explications de cette relation d'amour-haine.
Le Baromètre de cet article
ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Le quartier était accueillant, le ragondin s’est installé. Le spécimen de Myocastor coypus avait de quoi se plaire. L’écoquartier Ginko, dans le nord de Bordeaux, dont certaines parties ont été livrées par le promoteur immobilier il y a un an à peine, a été conçu pour que les habitants se sentent proches de la nature. L’eau de trois canaux artificiels coule au ras des immeubles. Les herbes folles poussent sur les berges. Un rêve de mammifère semi-aquatique. « La vie sauvage a pris possession de notre canal, il fallait voir les gamins : le ragondin était devenu la mascotte du quartier ! », raconte Céline Papin, présidente de l’association les Ginko-bilobiens, qui fait partie du groupe d’habitants ayant choisi l’écoquartier pour échapper, avec joie, au tout urbain. Mais pour d’autres, l’animal était de trop. Accusé d’uriner dans le canal, de s’en prendre aux canards, de sauter sur les promeneurs, d’agresser certains riverains jusque sur leurs pelouses, le quadrupède était sur la sellette. « C’est dangereux, ça pollue, ce n’est pas beau, c’est même écœurant, ça donne une mauvaise image du quartier, énumère Antoine Gimenez, président de l’Association des résidents et commerçants de Ginko. Ici, c’est joli, les animaux sauvages, je ne vois pas ce qu’ils viennent faire là. » La saga du ragondin a tenu quelques mois le quartier en émoi. L’animal menaçait objectivement de grignoter un de ces quatre matins la bâche d’étanchéité du canal artificiel. La mairie s’était engagée à l’attraper sans le tuer. Mais un jour, son cadavre fut retrouvé, une autopsie pratiquée. Le ragondin aurait été empoisonné…

Une chasse à courre à bicyclette

L’histoire du ragondin de Ginko résume en une bataille la question qui se pose aux humains, officiellement désireux de retrouver un peu de sauvage dans leur vie, mais pas trop quand même. Or, en France et en Europe, alors que la biodiversité se porte globalement mal [(Voir notre infographie)], certaines espèces animales font un spectaculaire retour, au point de se retrouver sur le pas de votre porte. Que ces réapparitions soient naturelles ou issues de réintroductions, qu’elles concernent des animaux « autochtones » comme des « importés », des classés nuisibles ou protégés, arrive toujours le moment, parfois délicat, où les bêtes se retrouvent au contact des hommes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces nouveaux voisins ne se donnent pas souvent l’accolade.

Un renard à Londres, devant le 10, Downing Street, la résidence du Premier ministre, en décembre 2014. Crédit photo : Rex / Rex / Sipa


« Il faut bien prendre conscience que, globalement, les espèces régressent et que seules quelques-unes, capables de s’adapter à des milieux très modifiés, ont tendance à la recolonisation », nuance François Moutou, vétérinaire et président d’honneur de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères. Parmi elles, le renard et la fouine, par exemple, des animaux aux régimes alimentaires peu sélectifs, habiles à fouiller les poubelles. Or rares sont les humains qui acceptent de partager les leurs. A Londres, la page Facebook des « Urban fox defenders » (Défenseurs des renards urbains) a beau compter plus de 14 000 abonnés, le débat enflamme régulièrement la ville. Le maire, Boris Johnson, suggère ainsi régulièrement d’instaurer une chasse à courre, pourquoi pas à bicyclette, pour faire passer l’arme à gauche à la dizaine de milliers de goupils résidents. A Stockholm (Suède), ville à la réputation de capitale verte, on se vante de cohabiter volontiers avec la faune sauvage. Mais lorsqu’un blaireau empêche pendant trois quarts d’heure les clients d’un hôtel de luxe de regagner leurs suites, la police n’hésite par à parler de « blaireau fou ».

Quand il se montre au naturel, l’animal dérange. « La faune sauvage, il ne faut pas la voir. Par définition, elle pullule, il y en a trop. Nous sommes toujours sur la logique du néolithique, ce qui nous embête, on l’extermine », résume François Moutou, plutôt en colère. En France, pies, fouines, martres, corneilles, geais et belettes échapperont peut-être à la razzia. Ces bêtes ont été absoutes de leurs péchés par le Conseil d’Etat l’été dernier, qui les a sorties de la liste des « nuisibles » dans certains départements. Des classifications qui font bondir les connaisseurs des bêtes. « Jusqu’au milieu du XXe siècle, il y avait les animaux utiles et les nuisibles, et nous sommes toujours dans ces schémas-là, remarque François Moutou. C’est incroyable que, malgré les tonnes de connaissances acquises sur les espèces, on ne sorte pas de cette représentation binaire ! »

Une volée de pigeons 
sur un pont, 
en Asie. Crédit photo : Chris Stowers / Panos - Réa


C’est pour en sortir, justement, qu’un pôle Médiation faune sauvage, un service rare en France, a été créé en Alsace en 2008 par le Groupe d’étude et de protection des mammifères d’Alsace et la Ligue de protection des oiseaux. L’équipe de cinq personnes a pour mission de désamorcer les conflits naissants entre les habitants humains et leurs voisins à poils et à plumes. En cinq ans d’existence, le nombre d’appels a triplé. « Les trois quarts proviennent de gens en état de panique, et cette peur, qu’ils tentent souvent de masquer, est liée à la méconnaissance du comportement animal et aux préjugés associés aux bêtes », explique Suzel Hurstel, responsable du service, installé dans un centre de soins pour animaux à Rosenwiller (Bas-Rhin). Les fouines, ces vicelardes, sont accusées de ronger les câbles de freins des voitures neuves. Il faut alors prendre le temps d’expliquer que l’animal de la famille des mustélidés n’est pas un saboteur par nature, mais se contente de marquer son territoire, parfois par la salive. Le pavillon pimpant ou l’auto récemment acquise doivent aussi y passer. Les pics épeiches, ces salopiauds, s’amusent à trouer les façades tout juste refaites. Il est vrai qu’on a arraché tous les arbres creux du secteur. Les corbeaux croassent trop tôt le matin, les cigognes confectionnent des nids trop lourds, les chauves-souris squattent le grenier à rénover.

Racisme latent envers certaines espèces

« Les gens déclarent qu’ils aiment les animaux, mais pas chez eux ! Ils tolèrent mal les intrus, occultant totalement le fait que les bêtes étaient là avant eux, explique Suzel Hurstel. Le bruit des voitures, c’est supportable, mais quelques crottes de fouines sur un muret, c’est insoutenable. La faune peut rapidement devenir le bouc émissaire des tracas du quotidien. » Pire, plusieurs années de médiation ont permis d’observer une forme de racisme latent envers certaines espèces. « Dans un jardin, on dorlote l’écureuil, mais on veut à tous les coups se débarrasser de la pie, accusée de manger les oisillons, de même qu’on accepte certains oiseaux mais pas les insectes ! », note Suzel Hurstel. Dans notre pays, l’artificialisation des sols concerne 68 000 hectares par an, principalement autour des grandes villes. Sur ces territoires limitrophes, périphériques, offrant sans cesse de nouvelles occasions de contact, les crispations ont de l’avenir. D’autant que, si l’intolérance rôde, c’est la faute à la mémoire qui flanche, constatent certaines disciplines scientifiques qui se sont penchées sur la question. Le psychologue américain Peter Kahn a même donné un nom à ce handicap : l’amnésie générationnelle environnementale. Non seulement il y a de moins en moins de biodiversité, mais les contacts avec elle sont de moins en moins fréquents tout au long de nos vies, de génération en génération. Or c’est dans l’enfance que se constitue le cadre de référence de l’adulte. Une fois devenus grands, nous sommes plombés par ce manque d’expérience(s) de nature. « C’est ainsi que, lorsqu’on se retrouve avec une biodiversité riche autour de nous, celle-ci nous perturbe beaucoup, car elle ne fait pas partie de notre imaginaire, explique Anne-Caroline Prévot, chercheuse du Centre national de la recherche scientifique au Centre d’écologie et des sciences de la conservation du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). La nature est de plus en plus idéalisée, elle constitue une sorte de mythe et cette représentation entre en conflit avec la nature telle qu’elle est. » Nos modes de vie aseptisés génèrent à leur tour des fantasmes bien encombrants.

A Paris, les corneilles n’ont pas bonne réputation. Elles se multiplient depuis quelques décennies. La capitale en héberge plus de 500 couples et quelques centaines de célibataires se rassemblant en groupes sur les pelouses des parcs et jardins de la ville. Lorsque, l’été dernier, la presse a fait ses choux gras de l’agression d’une femme à la Cité universitaire, la rumeur publique en fit un remake des Oiseaux d’Hitchcock. D’après les spécialistes, les attaques sont pourtant très rares et le plus souvent à l’égard de passants qui sont involontairement passés trop près d’un nid, entre mai et la fin du mois de juin. Mais les volatiles seraient surtout victimes de leur couleur. « Les gens ont peur de ces groupes d’oiseaux noirs, alors que ces corbeaux n’attaquent pratiquement jamais, remarque Frédéric Malher, vice-président du Centre ornithologique Ile-de-France. Les oiseaux blancs sont bien mieux tolérés ! »

« Mignons et pas trop bruyants »

sur des bâtiments publics. « La question de la tolérance vis-à-vis des oiseaux se pose à la moindre nuisance, note Frédéric Malher. Les gens les aiment à condition qu’ils correspondent à l’idée qu’ils s’en font : mignons et pas trop bruyants. Or la nature n’est ni propre, ni carrée, ni synchronisée avec les heures de bureaux. » Le jardin d’un pavillon favorise-t-il le contact avec ces espèces sauvages ? On y accueille volontiers les passereaux, jolis, colorés, discrets, qui collent à l’image d’Epinal désirée. « Mais il faut voir la réaction des gens si un épervier vient en croquer un dans la mangeoire : le rapace tombe immédiatement dans la catégorie des méchants oiseaux ! », souligne Frédéric Malher. A tel point qu’à Albert, dans la Somme, une association de défense des oiseaux vient d’assigner au tribunal des tueurs en série de volatiles : en l’occurrence trois faucons pèlerins, préalablement réquisitionnés dans cette commune pour chasser les pigeons bisets du campanile.

Un goéland sur une voiture à San Francisco, aux Etats-Unis. Crédit photo : Dieter Telemans / Panos - Cosmos


A chaque région sa bête noire. Sur la côte, dans le Pas-de-Calais, le Morbihan ou les Côtes-d’Armor, le goéland, un temps menacé, s’est très bien adapté à la vie urbaine. En une trentaine d’années, le laridé s’est transformé en meilleur ennemi des riverains. On le traite volontiers d’« opportuniste », de « glouton », de « chipeur », dans les meilleurs cas, de « rat du ciel » à qui il faut faire la peau, dans le pire. Adieu Jonathan Livingston…

Dans le Sud-Ouest, un envahisseur sème la pagaille. Venu de Chine en 2004, dans une poterie d’importation, le frelon asiatique met les communes sens dessus dessous. Les hyménoptères sont un parfait exemple du dialogue de sourds qui peut s’installer entre scientifiques et population. Les apiculteurs les craignent, car ils croquent allègrement dans leurs colonies d’abeilles. Mais les propriétaires de pavillons également, car le gros frelon a une réputation de tueur. Le Réseau des centres antipoison français n’a pourtant jusqu’à présent établi aucune corrélation entre l’arrivée de Vespa velutina et une éventuelle augmentation des piqûres d’hyménoptères en France. Depuis quelques semaines, comme à chaque printemps, les appels aux piégeages citoyens se multiplient. Pour les chercheurs, ces méthodes sont à la fois inefficaces, contre-productives compte tenu de la biologie de l’insecte, et néfastes pour l’entomofaune alentour. Mais Vespa velutina fait peur et les réactions sont épidermiques, y compris sur le site Internet de Terra eco.

Le plus retentissant des come-back

Que nous disent ces cas de haine viscérale pour des animaux sauvages apparus dans le paysage ? Pour les écologues, même s’il est difficile de généraliser, il existe un seuil au-delà duquel les humains n’acceptent plus les sauvages. « La perruche à collier, une espèce invasive, bénéficie d’un a priori positif de la part des citadins, elle est jolie, explique Philippe Clergeau, écologue au MNHN, spécialiste de la biodiversité urbaine. Mais elle crie énormément, et au-delà d’un certain seuil de présence, la perception va basculer : à Londres et à Rome, le bruit des perruches fait l’objet de nombreuses plaintes. » Appétence et tolérance varient bien entendu en fonction des espèces.

S’il en est une qui paraît cristalliser les passions, c’est bien le loup. Depuis une trentaine d’années, le mythique carnivore effectue le plus retentissant des come-back. Arrivée d’Italie dans les Alpes françaises en 1992, la bête semble incarner un parangon des conflits humains - sauvages. Mais à y regarder de plus près… « A une échelle macroscopique, les postures à l’égard du loup apparaissent stéréotypées, les conflits deviennent très visibles, mais à une échelle plus microscopique, les gens, même ceux qui sont contre la présence du loup, doivent faire avec, ils sont pragmatiques ! », souligne Coralie Mounet, chercheuse au laboratoire Pacte (Politiques publiques, action politique, territoires) de l’université de Grenoble, qui travaille depuis plusieurs années à la croisée de la géographie et de la sociologie, sur les interactions entre le grand prédateur et les humains. D’après la chercheuse, c’est même une révolution agricole que les éleveurs ont déjà opérée, moins médiatisée que les coups de gueule et les affrontements au sujet du canidé. Changement de techniques de gardiennage des troupeaux, fin de la vie solitaire pour travailler avec des aides, adoption de patous (1)… Le loup, de son côté, a également appris à composer avec les mesures de protection, en allant notamment voir plus loin si l’herbe et les brebis étaient aussi tendres. « Cela prend du temps, mais les hommes s’adaptent, un apprentissage se fait entre les humains et les animaux, explique Coralie Mounet. La société change, la nature aussi, les confrontations entre les deux évoluent tout le temps, on trouve des compromis transitoires, ce n’est jamais stable ! »

En Alsace, une cigogne traverse sur un passage pour piétons. Crédit photo : Denis Bringard / Bios photo


A Rosenwiller également, Suzel Hurstel, la médiatrice faune sauvage, relève qu’humains et bêtes peuvent finir par faire bon ménage. « Les gens mettent rarement en œuvre les conseils qu’ils nous ont demandés pour faire partir une colonie de chauves-souris : plutôt que de passer deux jours à bricoler des aménagements dans leur grenier, ils les laissent vivre leur vie et finissent par cohabiter ! », note-t-elle. Sans doute les gros efforts d’information et de pédagogie déployés par le service de médiation y sont-ils pour beaucoup. Nommer, classer, comprendre la complexité de la vie sauvage sont indispensables à une meilleure entente. « Mais il n’y a pas que ça : il faut redonner une place à l’expérience sensible, aimer, détester, avoir peur, toucher, sentir, goûter, ajoute Anne-Caroline Prévot. Il faut laisser les enfants et les adultes faire ce qu’ils veulent avec la biodiversité. » Pour la grande réconciliation, plaide la chercheuse, rien de tel que de faire confiance aux gens ! —

(1) Race ancienne de chien de berger, utilisé pour la protection des troupeaux
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