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13-01-2012
Mots clés
Société
Conflit
Afrique

Génocide au Rwanda : le rapport qui change tout

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Génocide au Rwanda : le rapport qui change tout
(Mémorial de Bisesero. Crédit photo : DR.)
 
L'enquête réouvre les hypothèses concernant les responsabilités dans le crash de l'avion qui avait coûté, en 1994, la vie au Président rwandais.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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6 avril 1994 L’avion du Président rwandais Juvénal Habyarimana est abattu par un missile. Ce même jour débute le génocide des Tutsi du Rwanda, qui fera plus de 800 000 victimes. Sans que personne ne puisse déterminer avec certitudes qui sont les auteurs de l’attentat, ni en quelle mesure il fut le déclencheur ou non du génocide.

Mardi 10 janvier 2012 Le juge Marc Trévidic a rendu un rapport sur les événements de ce jour fatidique : ses conclusions démontent celles tirées en 2006 par son prédécesseur, le juge Jean-Louis Bruguière, et donc le lien que celui-ci tentait d’établir entre attentat et génocide. Pour beaucoup, c’est un coup de tonnerre politique, révélateurs des tensions internes qui agitent le Rwanda de 1994, tout comme des relations franco-rwandaises. Un coup de tonnerre historique aussi, car il pourrait, à terme, permettre de mieux appréhender comment le génocide a été mis en œuvre dans le pays des mille collines.

Deux scénarios opposés

Pour comprendre, retour le 6 avril 1994. Ce jour-là, le Falcon 50 du Président rwandais Juvénal Habyarimana descend sur Kigali, la capitale, quand il est frappé. Détruit en plein vol, l’avion s’écrase dans les jardins de la résidence présidentielle. Des douze occupants, dont le chef de l’Etat, aucun ne survit. Pour Bruguière, l’enchaînement des événements est tout trouvé : les rebelles Tutsi du Front Patriotique Rwandais (FPR), opposants au régime Hutu en place, auraient commandité l’attentat. Le massacre systématique par les milices Hutu de 800 000 Tutsi serait quant à lui une réponse à cette attaque contre le Président. Cet enchaînement mécanique et instantané tient-il vraiment ? « La thèse de Bruguière, rendue publique en 2006, n’était en fait pas nouvelle. Elle reprenait les thèses des extrémistes Hutu qui ont organisé le génocide, et de certains militaires ou diplomates français. Elle prétendait avoir identifié le lieu du crime : la colline de Masaka où un supposé commando infiltré du FPR aurait abattu l’avion », précise Etienne Smith, chercheur à l’université de Columbia.

Dix-huit ans après les faits, le juge Trévidic vient de bouleverser la donne : fruits de cinq années d’enquête, ses conclusions remettent en cause la responsabilité du FPR dans l’attentat contre l’avion présidentiel. Au cœur de son rapport, des expertises balistiques, acoustiques, cartographiques, qui ont permis d’établir scientifiquement le lieu du lancement du tir meurtrier. Ce lieu, c’est le camp militaire de Kanombe. Sa particularité, c’est qu’en 1994, celui-ci était aux mains de l’armée officielle, censée assurer... la protection du chef de l’Etat. Le président Habyarimana aurait-il été victime d’une trahison dans son propre camp ?

« Depuis 1992, des négociations étaient menées en vue de partager le pouvoir. En août 1993, elles avaient abouti à la signature des accords d’Arusha, qui prévoyaient un partage du pouvoir avec les différents partis d’opposition, dont le FPR, mais aussi une fusion des deux armées. En 1994, le président Habyarimana n’avait toujours pas mis en œuvre ces accords, mais la communauté internationale le pressait de le faire », explique Hélène Dumas, chercheuse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). « Une des thèses désigne les extrémistes Hutu comme responsables de l’attentat du 6 avril, parce qu’ils n’auraient pas accepté les accords signés par le chef de l’Etat. Le rapport de Trévidic ne va pas jusque là. Il identifie seulement le lieu des tirs. Qui était réellement derrière ceux-ci ? Quels étaient les liens entre les personnes ayant organisé cet attentat ? Il y a encore beaucoup de points à éclaircir avant de pouvoir désigner clairement des auteurs. »

Un coup porté aux thèses négationnistes

En attendant, le rapport ouvre des pistes à mille lieux des certitudes posées par l’ordonnance Bruguière, incriminant directement Paul Kagamé, l’actuel Président du Rwanda et chef du FPR au moment de l’attentat. Ces conclusions avaient fait le lit des négationnistes : elles induisaient en effet que des Tutsi, en provoquant l’attentat, avaient de fait déclenché les tueries dont ils seraient eux-mêmes les victimes... Des conclusions qui avait conduit en 2006, à la publication de l’ordonnance, à une rupture diplomatique entre Paris et Kigali. « Les négationnistes viennent de perdre leurs arguments, car ils avaient fait de l’attentat du 6 avril la clé de voûte du génocide. Ce nouveau rapport rebat complètement les cartes », analyse la chercheuse.

Reste que le fossé qui sépare, à six années d’intervalle, les conclusions Bruguière et Trévidic, intrigue. Premier élément explicatif, les méthodes d’enquête : alors que le juge Trévidic s’est rendu sur le terrain accompagné d’experts scientifiques pour son enquête, le juge Bruguière, lui, n’a à aucun moment estimé nécessaire de se déplacer au Rwanda... Aux faits, il avait préféré des témoignages recueillis hors du Rwanda, notamment en France, et émanant d’anciens génocidaires, de transfuges du FPR ou encore de soldats français présents sur le sol rwandais avant et pendant le génocide. Leurs récits, chargeant Kagamé, se sont au fil des ans étiolés. « Il faut se rappeler que ces témoins étaient dans une situation délicate : beaucoup étaient là pour demander asile lorsqu’ils ont été entendus... », juge Hélène Dumas.

Les complexes relations franco-rwandaises

Autre élément explicatif : les relations franco-rwandaises. Si Bruguière a été chargé de mener une enquête, c’est parce qu’une plainte avait été déposée en 1998 par les familles de l’équipage français de l’avion... prêté par la France à Habyarimana. A cette époque, François Mitterrand, le Président français, soutient en effet largement le régime de son homologue rwandais. L’Hexagone dispose aussi de coopérants militaires sur place, chargés entre autre de former les soldats rwandais. Ces mêmes soldats qui, quelques mois plus tard, prendront part au génocide. Pas simple, dans ces conditions, de diligenter une enquête « objective ».

Aujourd’hui, les relations ont changé : les hommes au pouvoir sont passés, le rapprochement diplomatique a été amorcé. Etape marquante : la venue du Président rwandais en septembre dernier à Paris. « Il faut espérer que ce nouveau contexte judiciaire et politique entre la France et le Rwanda permette de dépassionner les débats sur toutes ces questions. C’est essentiel pour pouvoir enfin pouvoir aborder le génocide comme un processus historique et comprendre sa planification », explique Hélène Dumas.

D’autres questions fondamentales restent en suspens, comme le rappelle Etienne Smith : « Qui a donc commis l’attentat et dans quel but ? Pourquoi tant de tentatives de désinformation, spécifiquement en France, sur ce sujet ? L’énergie déployée par divers milieux, au mépris de la prudence élémentaire, pour nourrir puis promouvoir la thèse de Bruguière, était pour le moins étonnante. Maintenant que nous avons la confirmation que cette thèse relevait de la désinformation, il est temps de demander des comptes à ses promoteurs, de s’interroger sur les vérités gênantes qu’elle semble avoir eu pour objectif de masquer. Pour cela, il semble qu’il faille se pencher à nouveau sur ces liens très - trop - étroits entre acteurs extrémistes rwandais et français de l’époque. Le rôle trouble du mercenaire Paul Barril semble un bon point de départ. »

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Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

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  • Merci Alice de nous informer sur ce qui n’est autre que le 5ème génocide (reconnu) de l’histoire de l’humanité et dont les causes demeurent si obscures ! Mettre en lumière le "succès" de certaines interprétations hautement orientées/intéressées nous rappelle l’impératif de toujours rechercher la vérité des faits, et surtout lorsqu’il s’agit d’atrocités de cet ordre pour éviter qu’elles se reproduisent ! Encore un grand merci !!!! Francisca qui t’envoie un grand bonjour de Valpo ;)

    13.01 à 20h29 - Répondre - Alerter
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