Bernard Laponche, ex-ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) est membre de l’association Global Chance.
Terra eco : Un an après la catastrophe qui a touché la centrale de Fukushima Daiichi au Japon, où en est la situation sur place ?
Bernard Laponche : L’accident a été maîtrisé mais pas arrêté. Les Japonais vont devoir continuer à refroidir la centrale pendant longtemps, pour éviter que les cœurs des réacteurs ne recommencent à fondre. Et il va falloir attendre encore des années avant de pouvoir nettoyer le corium déjà formé (matière fondue résultant de la fusion du coeur, ndlr), car à l’intérieur la radioactivité et la température sont encore très importantes. Quand on dit qu’il va falloir quarante ans pour démanteler la centrale, ça ne paraît pas invraisemblable.La centrale reste donc très vulnérable, par exemple en cas de nouveau tremblement de terre ?
Oui le risque existe pour n’importe quel événement qui empêcherait les Japonais de continuer à refroidir. Ou s’il y a une rupture des gaines dans les piscines (où sont entreposés les combustibles usés, ndlr) susceptible d’entraîner des émissions radioactives.Le gouvernement japonais a-t-il retenu les leçons de l’accident selon vous ?
Une partie de la population japonaise et des responsables politiques considèrent que la catastrophe a été assez épouvantable pour justifier l’arrêt du nucléaire : toute la région a été contaminée, des milliers de gens évacués. Du fait du caractère sismique du Japon, ils estiment qu’il faut arrêter les frais. Certes, il risque d’y avoir une période difficile pendant laquelle le pays devra faire des économies d’électricité en passant notamment par la restriction de la consommation. Mais certains préfèrent ça plutôt que de redémarrer les réacteurs (seuls deux réacteurs sur 54 sont encore en activité au Japon aujourd’hui. Ils doivent être arrêtés d’ici au mois de mai, ndlr). De l’autre côté, les industriels japonais, notamment le lobby du nucléaire, poussent au redémarrage des centrales.La France en a-t-elle tiré les enseignements ?
En tout cas, elle devrait le faire. La catastrophe de Fukushima s’est produite sur un réacteur pas très différent des nôtres. Et l’accident était lié à la perte du circuit de refroidissement. Ca pourrait arriver chez nous ! Moi, j’en conclus qu’il faut sortir du nucléaire, parce que ce n’est pas possible de garantir aux gens qu’on peut maintenir la matière radioactive à l’intérieur des réacteurs. Que se passera-t-il par exemple en cas de conflit ? Three Mile Island et Tchernobyl étaient liés à des causes internes, Fukushima à un événement climato-géologique majeur. Mais dans les trois cas, il n’y avait pas d’agression humaine. Qu’arriverait-il si une roquette atterrissait sur une piscine de La Hague ou en cas d’attaques informatiques ? Le patron de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) a dit cette phrase : « Il faut imaginer l’inimaginable. » C’est joli mais ça n’a aucun sens. C’est un aveu d’impuissance. On est face à des machins tellement dangereux… Or on est incapable de prévoir tous les cas de figure.Le nucléaire et le risque d’accident sont-il assez présents dans la campagne présidentielle ?
Le nucléaire est présent, mais de façon masquée. Pourtant dans son dernier rapport, la Cour des comptes a rappelé les chiffres de l’IRSN (en note de bas de page, p.248, ndlr) qui estimait qu’un accident comme Fukushima coûtait entre 600 et 1000 milliards d’euros. C’est plus que le coût d’investissement pour toutes les centrales françaises qui est de 96 milliards d’euros. Cela devrait être un choc. Mais la pression des organisations et des lobbys est tellement puissantes…En réalité, beaucoup de politiques, y compris le président actuel, n’ont pas pris la mesure du problème. Ils donnent l’impression que l’accident de Fukushima n’était pas très grave, que les réacteurs français sont très sûrs. Quand Besson va à Fukushima, il se dit rassuré. Mais rassuré par rapport à quoi ? Qu’un an après, ils arrivent à refroidir le réacteur ? C’est terrible ! Il n’y a pourtant pas beaucoup d’accidents technologiques qui sont encore actifs un an après.
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