« Faible », (« peu rigoureuse », ou même « malhonnête ». Les critiques ont fusé autour de la méthode employée par Gilles-Eric Séralini pour mener son expérience. A tel point que la communauté scientifique s’est retrouvée écartelée : les uns formant la ligne acculée des pour, les autres le peloton d’exécution des antis. Mais au-delà de la véracité ou non des résultats, Gilles-Eric Séralini est parvenu à une chose : bouger les lignes autour de la question des OGM en France. La preuve en trois petites victoires.
1) Des études menées (enfin) à long terme
C’est la première – et non des moindres – victoire de Gilles-Eric Séralini. Si les deux entités mandatées au soir de la controverse par le gouvernement ont réfuté ses conclusions, elles ont en revanche toutes deux appelé au lancement d’un travail de long cours, loin des tests menés sur 90 jours par les industriels.Le Haut conseil des biotechnologies (HCB) a ainsi recommandé ce lundi une « étude de long terme, indépendante, contradictoire et transparente ». Quelques heures plus tard, lors d’une autre conférence de presse, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a prôné « la réalisation d’études et de recherches d’envergure visant à consolider les connaissances sur les risques sanitaires insuffisamment documentés ». « Insuffisamment documentés », car l’Anses ne répertorie que deux études comparables au travail de Gilles-Eric Séralini. L’une, publiée en 2008, est italienne. L’autre, japonaise, date de 2007 et serait restée aux oubliettes si l’Anses ne l’avait pas traduite pour l’occasion.
« L’Anses reconnaît qu’il y a une lacune des évaluations sur les risques chroniques posés par les OGM et les pesticides formulés [1]. Ça fait longtemps qu’on le sait mais ça n’avait jamais été écrit. C’est un vrai progrès ! », s’enthousiasme François Veillerette, président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF) auditionné par l’Anses dans le cadre de son expertise. Mais, poursuit François Veillerette : « Il faut que ces tests soient faits de façon systématique. Cela doit faire partie des lignes directrices du processus d’homologation de ces produits. Il faut que le ministre de l’Agriculture aille cogner à la porte de l’Europe pour instaurer ces tests. »
2) Le financement des études à revoir ?
Ce n’est plus un mystère pour personne. Les études sur les OGM sont réalisées par les principaux intéressés. Soit les industriels eux-mêmes. Pour Marc Fellous, nulle anguille cachée sous la roche. « Quand un industriel veut introduire un nouveau produit, il demande à des structures indépendantes de le tester. C’est lui qui les paient mais elles ne sont pas sous son contrôle », estime l’ex-président de feu la Commission du génie biomoléculaire (désormais Haut conseil des biotechnologies). « Si une firme fait toujours appel au même laboratoire, cela peut créer une dépendance financière qui n’est pas favorable à la rigueur de l’expertise », oppose François Veillerette. Avec son étude financée en partie par la grande distribution, Gilles-Eric Séralini a mis les pieds dans la boîte de Pétri. Aussi, dans son avis, l’Anses a-t-elle réclamé « la mobilisation de financements publics nationaux ou européens ».Le souci, c’est que ces études coûtent cher. Celle menée par Gilles-Eric Séralini sur 20 groupes de 10 rats (200 animaux en tout) a coûté 2 millions d’euros. Combien coûterait une étude satisfaisante pour l’Anses alors que, de l’avis même de Jean-Pierre Cravedi, président du groupe d’expertise de l’Anses, « il faudrait 80 à 90 animaux par groupe sur deux ans » ? Dans un communiqué, le député UMP de la Meuse, Bertrand Pancher, rappelait qu’ « une étude sur dix ans à partir d’un échantillon représentatif d’une centaine de rats est évaluée à environ 20 millions d’euros ».
Qui devra payer la facture ? François Veillerette propose : « Les producteurs de risques, soit les industriels qui fabriquent ces OGM ou ces pesticides, devraient payer une redevance suffisamment élevée pour que des organismes comme l’Anses puissent ensuite missionner des labos de leur choix pour faire une évaluation. »
3) La fin du secret industriel ?
« Gilles-Eric Séralini a demandé l’accès aux données brutes de Monsanto sur les OGM et le Roundup. Nous lui avons répondu que nous tenions à sa disposition ces données sous réserve de respecter quelques clauses définies dans le cadre de la réglementation », a souligné Marc Mortureux, le directeur général de l’Anses, lors de la conférence de presse. Les clauses en question, a-t-il indiqué, sont « peanuts » : elles seraient destinées principalement à protéger les coordonnées des personnes ayant réalisé les études. Un progrès ?Pas vraiment. En fait, les données brutes sont depuis longtemps mises à la disposition des experts des commissions qui délivrent les autorisations de mise sur le marché : soit le HCB et l’Anses. Mais ces mêmes experts signent une clause de confidentialité qui leur interdit de divulguer ces données sur la place publique. Une aberration pour Corinne Lepage. La députée européenne, présidente du Criigen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique) – qui a accueilli l’étude de Gilles-Eric Séralini, estime que « le problème n’est pas qu’il ait ou non accès aux données brutes, mais c’est qu’il ne puisse pas utiliser ces données ou les rendre publiques pour que des citoyens puissent ouvrir le débat. Cette chape de plomb sur les données brutes est un scandale ! » D’autant que l’argument du secret industriel ne tient pas, pour beaucoup.
« La composition d’un produit, oui d’accord. Mais l’analyse des prises de sang sur les rats n’a rien à voir avec le secret industriel. Ça devrait être totalement transparent pour tout citoyen », dénonce François Veillerette. Un argument imbécile pour Marc Fellous : « Je ne vois pas comment la société civile aurait plus de compétences qu’un expert en toxicologie. On en arrive à donner plus de valeur à la société civile qu’aux scientifiques. » Quoi qu’en dise le professeur de génétique, les agences étatiques semblent avoir retenu la leçon, relève Libération qui cite Jean-François Dhainaut, le président du HCB : « La transparence », confie-t-il, c’est désormais « la seule option ».
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