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Au Mali, des paysans réclament leurs terres cédées à Kadhafi

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Reportage photo : Daniel Hérard

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A Zitinga, on récolte le riz endommagé par les inondations dues aux travaux des nouveaux investisseurs privés. (Photo : Daniel Hérard)

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(Photo : Daniel Hérard)

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Réunion de villageois mobilisés contre le pédégé d’un groupe céréalier qui s’est vu attribuer 7 400 ha qui empiètent sur leurs champs. (Photo : Daniel Hérard)

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Les villageois racontent avoir été frappés quand ils se sont opposés à la destruction de leurs plantations. (Photo : Daniel Hérard)

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Un baobab en plein cœur des rizières de l’Office du Niger. (Photo : Daniel Hérard)

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(Photo : Daniel Hérard)

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Oumou Coulibaly a pris la tête d’un mouvement de contestation de 150 paysannes. (Photo : Daniel Hérard)

 
Depuis trois ans, le gouvernement attribue les champs des agriculteurs à des investisseurs privés et étrangers, notamment libyens. Mais les habitants de la boucle du Niger tentent de reprendre leur bien, femmes en première ligne.
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« Un cadeau à Kadhafi ! Voilà ce que le gouvernement a fait des terres que ma famille cultive depuis trois siècles !  » Enveloppé dans son boubou bleu brodé, Seyni Diarra ne décolère pas. Ce paysan malien à la fine silhouette vit à Séné Bambara, l’un des 250 villages situés dans la partie irriguée du delta intérieur du fleuve Niger. Et il ne compte pas se faire spolier par le leader libyen. « Dans notre culture bambara, la terre, c’est la vie, lance-t-il. Celui qui n’a plus de terres n’a plus de racines ! » Comme la plupart des habitants de cette zone du centre du pays appelée Office du Niger, la famille Diarra plante en juin, au début de la saison des pluies. Sur à peine trois hectares poussent du mil, quelques haricots et des arachides. « Ceux qui disposent d’un puits ou d’une retenue d’eau arrivent à cultiver des légumes hors saison, entre décembre et juin. » Jusqu’à fin 2008, ce rythme de cultures d’hivernage et de maraîchage faisait vivre humblement les familles de ce village. « Mais cette année-là, un jour d’octobre, nous avons découvert dans nos champs des bornes portant des inscriptions en arabe, raconte Seyni Diarra. Nous avons alors compris que nos terres avaient été données à Kadhafi ! »

De fait, les champs de Séné Bambara comptent parmi les 100 000 hectares de « terres libres de toute entrave judiciaire » offertes à la société libyenne Malibya, pour une durée de cinquante ans renouvelable. C’est en ces termes que la « Convention d’investissement agricole » entre le Mali et la Libye encadre un vaste projet englobant des activités agricoles – notamment de riziculture –, d’élevage et des usines agroalimentaires susceptibles de créer des emplois. « On nous promet du travail. Mais nous ne voulons pas devenir manœuvres ! », réplique Seyni Diarra, paysan et fier de l’être.

Manque de transparence

A Bamako, au siège de la Coordination nationale des organisations paysannes (Cnop), le président, Ibrahima Coulibaly, fulmine aussi. « Des terres vierges, cela n’existe nulle part au Mali ! Bien avant la colonisation et la construction du barrage de Markala qui irrigue l’Office du Niger, des hommes et des femmes vivaient sur ces terres. On ne peut nier leurs droits ! », explose-t-il en étalant une carte. Celle-ci indique les endroits où les nouveaux baux ont été signés ou sont projetés par le bureau de l’Office du Niger. Cet organe étatique gère, depuis l’indépendance, le domaine public irrigué qui a été aménagé dans les années 1930 par la colonie française.

Depuis, le bureau de l’Office du Niger accorde chaque année un bail à quelque 25 000 exploitations familiales. Celles-ci font travailler en moyenne 13 personnes, locataires à titre gratuit, moyennant l’acquittement d’une redevance pour l’entretien du réseau d’irrigation. Les régimes socialiste, puis militaire qui se sont succédés des années 1960 aux années 1980 ont imposé leurs visions autoritaires du développement agricole, basées sur des programmes centralisés de production ou de commercialisation. Dans les années 1990, les politiques libérales ont, elles, propulsé les paysans sur le marché, à la merci de grands négociants. Aujourd’hui, le gouvernement de coalition d’Amadou Toumani Touré ne soutient pas les exploitations familiales et les coopératives agricoles mises en place par les syndicats. Au contraire, il s’est mis en tête de tripler, d’ici à dix ans, l’actuelle superficie irriguée de 80 000 hectares, en s’appuyant sur des investisseurs étrangers.

La carte des nouveaux baux dessine un puzzle de parcelles allant de 2 000 à 20 000 hectares. Elles portent des noms de sociétés aux sonorités exotiques : Sosumar (Afrique du Sud), Sukala (Chine), Lornho (Ukraine), Foras (Arabie Saoudite), etc. « On ne sait pas exactement qui est qui, soupire Ibrahima Coulibaly, démuni devant ce manque de transparence. Il y a des opérateurs étrangers et beaucoup de Maliens. Mais nous ne sommes pas dupes : pour financer les coûteux travaux que requièrent de telles surfaces pour le planage et le drainage, des capitaux étrangers sont cachés derrière les prête-noms locaux ! »

Carrefour des peuples

Face au flou de ces attributions, l’opposition a réclamé des éclaircissements sur les transactions de l’Office du Niger. Dans un document daté de février, elle estime qu’une cinquantaine de conventions auraient déjà été signées pour près de 800 000 hectares depuis 2003, dont 472 000 cédés aux investisseurs étrangers. En guise de réponse, Kassoun Denon, le patron du bureau de l’Office du Niger, a répliqué que les terres n’étaient pas en réalité « cédées », mais « attribuées sous condition de réalisation des études de faisabilité technique et d’impact environnemental et social » devant conduire à un bail à durée déterminée.

Parmi les opérateurs du cru, Modibo Kéïta, le pédégé du groupe Grand Distributeur céréalier du Mali. Il s’est vu attribuer 7 400 hectares qui empiètent sur des champs de villageois. Pour rejoindre sa parcelle, desservie par le canal de Macina, il faut emprunter des pistes défoncées serpentant entre des plantations de riz à perte de vue. Aux alentours des hameaux bambara hérissés de cases en banco, un mélange de terre argileuse et de paille, des bergers peuls font paître leurs troupeaux. Ils arrivent du Sahel après chaque saison des pluies, à la recherche d’herbages. Des troupeaux en transhumance viennent même de Mauritanie boire les eaux de décrues où les pêcheurs bozo lancent encore leurs filets. Le delta intérieur du Niger est un carrefour de peuples, de langues et de traditions depuis des millénaires.

Les Chinois mènent les travaux

A Sanamandougou, tous les villageois sont assemblés à l’ombre d’un baobab, unis et déterminés contre le projet de Modibo Kéïta. « Ils sont venus couper nos arbres de karité. Nous nous sommes approchés. Ils avaient des bâtons contenant du gaz. Ils nous ont frappés », rapporte un homme âgé de 90 ans. Sous son boubou, il dévoile des traces d’hématomes. « Là où ton père et ta mère sont nés, si l’on te chasse, on fait de toi un oiseau sans arbre ! », lance le vieux sage. Tous parlent. Tous sont en colère. C’était en juin 2010. Une centaine de gendarmes s’en sont pris à la population de ce village rebelle. Aminata, enceinte de cinq mois, a elle aussi été battue. « Je ne pouvais pas courir ! J’ai perdu mon bébé. » Femmes et vieillards compris, une trentaine de personnes ont été jetées en prison pour quelques jours. Une dizaine y ont passé plus de deux mois. On les a accusés d’avoir attaqué les forces de l’ordre avec leurs outils. « Notre procès est en cours », expose le fils du chef, qui craint un retour en prison. Les déclarations à la presse du patron du bureau de l’Office du Niger ne présagent en effet rien de bon : « S’il faut que l’administration sévisse, elle le fera. A tous ceux qui ne croient pas à la volonté de l’Etat de développer ce pays, nous disons que le projet sera lancé, Inch Allah ! »

A 500 mètres du village, les bulldozers continuent, eux, à défricher. Ils sont surveillés par des vigiles privés, vêtus comme des soldats. Plus loin, une société chinoise produit déjà de la canne à sucre. Cependant, la plupart des nouveaux baux prévus restent, pour l’heure, à l’état d’intention. Quant aux Libyens, ils vont entamer la seconde phase des aménagements nécessaires à la mise en culture des premiers 25 000 hectares. Le « canal Kadhafi », comme on le surnomme, vient d’être achevé. Il s’étend sur 40 km depuis Kolongotomo jusqu’au site du projet Malibya.

Depuis deux ans, ces travaux, menés par une entreprise chinoise, ont provoqué de multiples mécontentements. Tiedo Kane, le porte-parole du Syndicat des exploitants agricoles de l’Office du Niger qui fédère 14 000 petits producteurs, dresse un sombre bilan du chantier : « Destruction de vergers, de potagers et de maisons ; obstruction de pistes de pâturages ; inondation de champs ou, au contraire, assèchement d’autres. » Jusqu’à la profanation d’un cimetière, qui a fâché plus que tout. « Les pelleteuses ont creusé le site pendant la nuit, renfouissant les restes des ancêtres dans une fosse commune ! », s’insurge le syndicaliste. Aujourd’hui, le long du canal, il n’est pas rare de voir un crâne humain refaire surface après une pluie…

Derrière ces conflits pour la terre, c’est une bataille pour l’eau qui couve. La convention signée avec la société Malibya lui garantit en effet l’usage de « la quantité d’eau nécessaire sans restrictions », au même tarif que le petit exploitant. Or, l’impact des prélèvements d’eau en saison sèche sur le débit d’étiage du Niger inquiète depuis des années. « Aucune étude sérieuse n’a apporté la preuve qu’il y a assez d’eau ! », alerte le président de la Cnop, qui met en garde : « Ce sont les germes d’un grave conflit ! »

Versements détournés

De fait, cette guerre de l’eau a déjà fait des victimes. Son arme : la redevance. Oumou Coulibaly en a pâti. Dans une modeste ferme familiale, cette paysanne quinquagénaire, élégante et rayonnante, raconte ses mésaventures. « Tout a commencé à la suite d’une mauvaise récolte, il y a cinq ans. Les autorités de l’Office du Niger n’avaient pas renouvelé le bail de terres aux paysans du hameau sous prétexte qu’ils n’avaient pas payé leur redevance en eau », se souvient-elle, assise entre ses sept enfants, son mari, ses beaux-frères et leurs nombreuses épouses. « La plupart des hommes furent jetés en prison et gardés durant quelques semaines, alors qu’en vérité, nous avions payé, poursuit-elle. Les femmes avaient même vendu leurs bijoux ! Mais un fonctionnaire avait détourné notre dernier versement. Si bien que nos champs ont été attribués à d’autres. »

Mue par un optimisme désarmant, Oumou Coulibaly prend, à cette époque, la tête d’un mouvement de contestation de 150 paysannes. A son tour, elle est arrêtée au sortir du bureau du préfet où elle avait porté une lettre commune de réclamation. Elle reçoit alors le soutien de la radio libre Kayira et du petit parti politique Sadi, deux mouvements nés lors de la transition démocratique de 1991. « On retire les champs aux pauvres pour les donner aux riches et à Kadhafi ! La population ne se laissera pas faire, prévient-elle aujourd’hui. Et les femmes ont un grand rôle à jouer dans ce combat. Pour preuve, elles se sont déjà unies pour que j’en arrive là ! » Depuis les législatives de 2007 et grâce au vote des paysans, Oumou a été élue à Niono. L’agricultrice analphabète siège désormais à l’Assemblée nationale, sur les bancs de l’opposition. —


Menaces sur la sécurité alimentaire

A l’instar d’autres pays arabes pauvres en eau, la Libye, gros importateur de riz, cherche à mettre fin à sa dépendance, tout particulièrement depuis la flambée des prix alimentaires mondiaux de 2008. Mais cette volonté, somme toute légitime, préoccupe les syndicats d’agriculteurs maliens, qui se sont procurés la convention signée par leur gouvernement avec les autorités libyennes. Le document annonce, dans son préambule, que le but recherché est « l’autosuffisance et la sécurité alimentaire ». Mais il omet de préciser s’il s’agit de celle de la Libye ou celle du Mali ! Autre sujet d’inquiétude côté malien, plusieurs grands projets agricoles de la région de l’Office du Niger envisagent des cultures de rente gourmandes en eau, telles que la canne à sucre. Et ce, au détriment du riz ou du mil, à la base de l’alimentation locale. Certaines de ces plantations, ainsi que des cultures oléagineuses, sont destinées à la production d’agrocarburants.
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