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4-07-2007
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Armement
Monde

Armes de transactions massives

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Mitraillettes, chars, hélicoptères, grenades… On trouve de tout au supermarché mondial des armes. Derrière les caisses : multinationales, Etats et trafiquants. Enquête sur ce « business de la mort » qui représentait d'après le rapport du Sipri, près de 60 milliards de dollars en 2006. A ne pas confondre avec les dépenses militaires (recherche et développement, budget des armées...)
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« Trouver des armes ? Ici, c’est presque aussi facile que d’acheter des fruits au marché. Je peux t’avoir une « kalach » pour quelques centaines de dollars si tu veux. » Attablé dans un recoin d’une gargote de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), Désiré assène les faits d’une voix tranquille, non dénuée d’un brin de fierté. Chauffeur depuis trois ans pour une ONG internationale, il a mis de côté les trafics qui ne sont plus vraiment son « son business principal ». Mais « les bonnes filières », il connaît.

Durant des années, il a trempé dans le commerce de coltan, un minerai dont les multinationales de l’électronique sont particulièrement friandes. Cet « or gris », comme toutes les autres fabuleuses ressources minières du pays, a contribué à alimenter une guerre (1998-2003) qui a fait près de 4 millions de morts.

Il plaisante, ironise sur ce « business de la mort ». Mais la réalité est là, maintes fois dénoncée par les ONG et les experts onusiens. En octobre 2006, Control Arms – une coalition rassemblant Amnesty International, Oxfam et le Raial (Réseau d’action internationale contre les armes légères) – indiquait avoir découvert dans la région des armes légères et des munitions fabriquées cette fois-ci par l’Afrique du Sud, la Chine, les États-Unis, la Grèce, la Russie et la Serbie. Pas de doute, en RDC comme ailleurs dans le monde, le commerce des armes se porte bien.

Santé florissante et terrorisme

La santé florissante de ce qu’on appelle les transferts d’armements a-t-elle d’ailleurs vraiment de quoi étonner lorsque l’on sait que l’heure est à la croissance exponentielle des dépenses militaires mondiales ? Le 11 juin, le Sipri (Stockholm International Peace Research Institute), institut suédois de référence en la matière, indiquait qu’en 2006 ces dépenses avaient atteint un nouveau record : 1 204 milliards de dollars. Soit l’équivalent du PIB du Canada, 9e puissance mondiale. Moteur de cet emballement, les Etats-Unis, qui concentrent 46 % des dépenses de la planète, en raison notamment de leurs opérations en Irak et en Afghanistan. Après une période de creux amorcée en 1988, les dépenses s’envolent depuis 1998 – plus 37 % en dix ans – et retrouvent le niveau atteint au plus fort de la tension Est-Ouest.

Le développement des arsenaux est mené depuis 2001 au nom de la lutte contre le terrorisme. Mais il est avant tout « un moyen pour les Etats, et notamment pour les Etats-Unis, de peser sur leurs économies nationales, par le biais des crédits en recherche et développement et des commandes de matériel, un moyen d’asseoir leur puissance dans le monde », rappelle Patrice Bouveret, président de l’Observatoire des armements–CDRPC (Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits, à Lyon).

Logiquement, la production des grandes firmes d’armement suit le rythme des commandes. En 2005, révèle le Sipri, les ventes des cent premières d’entre elles ont atteint 290 milliards de dollars. Ces gains équivalents au PNB global des quelque 60 pays les plus pauvres au monde sont réalisés à 92 % par des entreprises américaines et ouest-européennes.

Dans le sillage de la production, le commerce international des armes est lui aussi en plein boom. Pour les grandes firmes, aujourd’hui largement privatisées, il s’agit de vendre. Pour les Etats producteurs – qui gardent la main forte sur le secteur, via les crédits de recherche et les commandes de matériel –, il s’agit principalement d’user des ventes d’armes comme d’un levier économique et géostratégique. Bill Clinton ne disait pas autre chose lorsqu’il déclarait en 1994 : « Les transferts d’armes conventionnelles sont un instrument légitime de la politique étrangère américaine (…) lorsqu’il nous est impossible d’aider nos amis et alliés contre une agression, de promouvoir la stabilité régionale, et d’accroître la coordination entre les forces américaines et les forces alliées. »

Difficile de chiffrer précisément ces « transferts ». On estime généralement qu’un cinquième de la production mondiale d’armement est exportée. Pour 2005, le Sipri évaluait le montant des échanges entre 44 et 53 milliards de dollars, et révélait qu’en volume, le commerce avait augmenté de 50 % entre 2002 et 2006. Leaders sur ce marché international de l’armement, les Etats-Unis et la Russie se partagent à eux-seuls quelque 60 % du volume des ventes.

Certes, appréciés en dollars, les gains américains sont nettement supérieurs à ceux de la Russie. Mais c’est parce que le matériel russe, moins high-tech, vaut moins cher. Dans le peloton de tête des vendeurs, suivent d’autres « grands » de ce monde : France, Allemagne, Grande-Bretagne… talonnés – voire dépassés selon les sources – par des pays comme Israël, l’Ukraine ou le Canada.

Côté achats, le marché est nettement moins concentré. Principaux importateurs en 2001-2005 selon le Sipri : la Chine et l’Inde, suivis de la Grèce, des Emirats Arabes Unis, du Royaume-Uni, de l’Egypte et de la Turquie. Environ 60 % des achats sont effectués par des pays du Sud, contribuant à alourdir leur dette et à réduire leurs marges pour lutter contre la pauvreté. « Pour 1 million de dollars, on a peu de matériel lourd high-tech, mais on a 10 000 fusils d’assaut. Or ce sont eux qui font des dégâts humains », explique Jean-Paul Hébert, économiste à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Ainsi, si la Chine n’est qu’un exportateur mineur, ses ventes d’armes légères en Afrique – contreparties de sa quête de pétrole – n’en ont pas moins des conséquences meurtrières.

Selon l’ONU, plus de 600 millions d’armes légères circuleraient ainsi dans le monde, essentiellement aux mains de civils, faisant plus de 500 000 victimes par an. L’inquiétude des ONG à ce sujet est d’autant plus grande que de plus en plus de pays sont aujourd’hui capables de produire ces armes légères : 1 135 entreprises ont ainsi été recensées dans plus de 90 pays par Oxfam. L’organisation a également calculé que 33 millions de cartouches sortaient chaque jour d’usines à travers le monde. Aujourd’hui, ces fusils, kalachnikov ou M16, continuent à faire des ravages aussi bien dans l’Est de la RDC, qu’au Népal, en Colombie ou dans les favelas de Rio. Et que dire des munitions.

L’opacité du « secret défense »

Dénonçant cette prolifération anarchique, les ONG de Control Arms militent sans relâche en faveur de l’adoption par les Nations-Unies d’un Traité international sur les ventes d’armes (lire ci-contre). Pour le moment, « il n’existe aucune réglementation internationale contraignante en la matière », explique Benoît Muracciole, responsable de la campagne « Contrôlez les armes » pour Amnesty France. Certes, les Etats ne sont pas censés vendre du matériel militaire à des pays se rendant coupables de violations des droits de l’homme sous peine d’être considérés comme complices du crime. Et l’ONU impose différents embargos sur les ventes d’armes. Certes aussi, des réglementations existent au plan national, voire régional, à l’instar du Code de conduite européen adopté en 1998.

Mais le problème, comme l’explique Patrice Bouveret, du CDRPC, réside dans « la marge d’interprétation que se laissent les Etats en matière de vente d’armes ». Une marge qui se révèle très large, au vu des nombreux flous juridiques et de l’opacité du « secret défense ». Elle est aujourd’hui largement alimentée par la mondialisation et la privatisation croissante des firmes d’armement, qui permettent de jongler avec les différentes législations en vigueur. Résultat : les transferts d’armes officiellement légaux dissimulent une multitude de ventes au minimum irresponsables, voire illicites.

Les grands producteurs d’armes vendent directement, et en toute légalité, à des pays dont le respect des droits de l’homme est parfois plus que douteux. Que dire par exemple de l’armement à tout va de l’Inde et du Pakistan, qui s’approvisionnent aussi bien en Russie qu’aux Etats-Unis, ou en Europe. Les deux pays sont en conflit larvé depuis des dizaines d’années. Lorsque certains s’inquiètent de la croissance de leurs stocks militaires, ils reçoivent une réponse du type : « pas d’inquiétude, si on vend aux deux, alors le tout s’équilibre ! » « Mais rien n’est moins sûr », commente Patrice Bouveret.

L’accumulation d’armes, très forte aujourd’hui en Asie, est lourde de menaces. Ne serait-ce que parce que les alliés d’un jour peuvent devenir les ennemis de demain. Les Américains l’ont expérimenté à leurs propres dépens : après avoir armé les talibans en lutte contre les soviétiques, ils se retrouvent aujourd’hui aux prises avec un ennemi équipé de leurs propres armes ! Mais cette leçon est apparemment passée aux oubliettes. La Russie exporte ainsi, en toute légalité, sa production vers la Chine, l’Inde ou l’Iran.

Les Américains ne sont pas en reste. Comme le souligne le Sipri dans son dernier rapport « alors que l’attention médiatique s’est focalisée sur les ventes d’armes à l’Iran, les ventes des Etats-Unis et des pays européens à Israël, à l’Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis ont été considérablement plus importantes. » D’autant que la liste ne s’arrête pas là : la Turquie, la Colombie et bien d’autres sont aussi friands d’armes américaines et européennes.

L’astuce des pièces détachées

Les acteurs de ce marché un peu particuier ne manquent pas de cynisme. Un embargo ? Une violation trop évidente des droits de l’homme ? Pas de souci, les moyens de contourner les restrictions de ventes sont légion. Trois outils majeurs s’offrent aux Etats et à leurs intermédiaires : la possibilité « d’ignorer » la destination finale des leurs ventes d’armes (vendre à un pays « intermédiaire » qui se chargera d’expédier le chargement au destinataire final) ; la vente non pas d’armes mais de pièces détachées ; le transfert de technologie (production sous licence). Et les cas avérés ne manquent pas.

Ainsi, si l’Union européenne a officiellement imposé un embargo sur les armes à destination de la Chine tandis que les États-Unis et le Canada refusent de lui vendre des hélicoptères, dans les faits, le nouvel hélicoptère d’assaut chinois Z–10 ne pourrait pas voler sans les pièces et la technologie d’une entreprise italo-britannique (AugustaWestland), d’une entreprise canadienne (Pratt & Whitney Canada), d’une entreprise américaine (Lord Corporation) et d’une entreprise franco-allemande (Eurocopter) filiale d’EADS ! Or la Chine a déjà vendu par ailleurs des hélicoptères d’assaut à divers pays dont le Soudan, qui, en ce qui concerne les armes, est sous embargo total de l’Union européenne et sous embargo partiel des Nations unies.

Ventes légales, transferts illicites… Les frontières sont poreuses. Et l’exploitation de leurs failles est tout aussi meurtrière que le trafic criminel pris au sens strict. Les experts en armement estiment d’ailleurs que le trafic purement criminel ne représente qu’une part infime du commerce mondial d’armement (5 à 10 %). Europe, Balkans, Biélorussie et Ukraine restent des places fortes de ce trafic, alimenté par le détournement d’anciens stocks soviétiques.

Tous coupables ?

En janvier, l’Osservatorio Sui Balcani (Observatoire italien sur les Balkans) se faisait l’écho d’un nouveau scandale : la découverte d’un trafic d’armes issues des stocks de l’armée macédonienne, dans lequel seraient impliquée l’armée et le ministère de la Défense. L’ONU s’alarme, quant à elle, du trafic d’armes entre Syrie et Liban. Les Etats-Unis, quant à eux, accusent l’Iran d’armer les milices chiites en Irak… tout en étant eux-mêmes soupçonnés – selon le New York Times – d’y ravitailler les sunnites !

Pour brouiller encore un peu plus les pistes de cette vaste nébuleuse des transferts d’armement, les Etats peuvent compter sur des intermédiaires de choc : les courtiers. « Ces gars sont des entremetteurs chargés d’arranger les deals entre vendeurs et acheteurs », ironise un responsable d’ONG. Ces intermédiaires chevronnés, généralement munis de 4 ou 5 passeports, savent jouer à la perfection des failles réglementaires : sociétés-écrans, notamment de fret aérien, faux documents, corruption de fonctionnaires, utilisation des paradis fiscaux. Le plus célèbre d’entre eux, Victor Bout (lire page suivante), a d’ailleurs servi de modèle au personnage qu’incarne Nicolas Cage dans le film Lord of the war. « La position affichée par les Etats à l’égard de tels personnages est “ On ne les connaît pas” », commente Patrice Bouveret.

Trésors de guerre

Mais qui peut être dupe ? Un exemple : fin 2007, seront jugés à Paris quarante-deux personnes pour des ventes d’armes présumées illicites d’un montant de 790 millions de dollars à l’Angola entre 1993 et 2000. Sur le banc des accusés deux courtiers présumés, Pierre Falcone et Arcady Gaydamak, en fuite à l’étranger. Seront aussi traduits en justice Jean-Christophe Mitterrand et Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, ainsi que son ancien homme de confiance Jean-Charles Marchiani, député UMP.

Transferts d’armes, levier économique et géostratégique… Mais au final, à qui profite vraiment ce « business de la mort » ? « Avant tout aux firmes d’armement », répond Jean-Paul Hébert. L’économiste réfute l’équation simpliste affichée par la plupart des Etats : « Exportations moins importations… si le solde est positif, c’est tout bénéfice pour le pays. Eh bien non. En prenant en compte tous les paramètres intermédiaires, le solde de la balance commerciale des ventes d’armement est, au mieux, très légèrement positive. »

D’ailleurs, ajoute-t-il, « en vingt ans, les emplois liés à l’armement ont été divisés par deux en Europe et aux Etats-Unis ». Le commerce des armes, jeu de dupes en plus d’être un « jeu » mortel ? Certainement. Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, déplorait en janvier les sommets atteints par les dépenses militaires mondiales (1 204 milliards de dollars). « Elles représentent 2,5 % du produit intérieur brut mondial. [Or] si seulement 1 % du PIB était redistribué pour le développement, nous pourrions atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement. »


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