Derrière le sigle AOP (Appellation d’origine protégée) apposé sur votre morceau de fromage, vous imaginez encore le paysan affinant son produit dans une ferme de vieilles pierres. Oubliez l’image d’Epinal ! Et allez regarder de plus près, par exemple en Auvergne. Fière de ses cinq appellations (cantal, saint-nectaire, fourme d’Ambert, bleu d’Auvergne, salers), la région est la première productrice de fromages AOP. La filière est dominée par deux géants : Sodiaal et Lactalis, qui ont opté pour une stratégie de croissance externe et rachètent une à une les coopératives de producteurs. Mais l’une d’entre elles a résisté à l’envahisseur. C’est celle de Thérondels – indépendante depuis 1946 –, dans l’Aveyron (le département est frontalier de l’Auvergne, mais la commune appartient à l’aire de production de l’AOP).
Le cantal, fromage phare de la région ? « On gagne très peu avec », déplore Raymond Cayzac, président de la coopérative. Pourtant, les producteurs s’imposent des règles plus strictes que celles du cahier des charges de l’AOP. Ainsi, cet hiver, ses vaches ont mangé du foin plutôt que du maïs. « Avec le maïs, c’est la facilité puisque les vaches produisent plus. Mais le fromage n’a pas le même goût », précise-t-il. Le maïs contraint aussi à pasteuriser le lait, car, broyé puis conservé sous des bâches, l’ensilage fermente. Enfin pour la planète, les conséquences ne sont pas les mêmes : « Pour le foin, il suffit de faucher une prairie. Alors que pour cultiver le maïs, il faut ajouter des engrais, des désherbants et irriguer. »
A la recherche du lait cru
Pourtant, la coopérative de Thérondels doit aligner le prix de son cantal sur celui du reste de l’AOP. « Les gros groupes détiennent la majorité du marché, ils font les prix, explique Antoine Verdier, ancien président de la coopérative. Au début des années 2000, on a dû choisir : ou bien on se mettait aux normes, ou bien on était rachetés par un grand groupe. » Les producteurs – 18 aujourd’hui – ont alors fait le choix de se diversifier. Ils fabriquent désormais aussi de l’aligot, une purée à la tomme fraîche de cantal, spécialité de la région. « Ce produit nous apporte de la valeur ajoutée et nous permet de mieux payer les producteurs », se félicite Raymond Cayzac. Ils ont même lancé leur propre fromage au lait cru, en dehors de l’AOP, le thérondels.
Mais, pour l’ensemble des fromages d’Auvergne, la production en lait cru a diminué de 61 % entre 1997 et 2007. Le lait pasteurisé nécessite moins de contrôles et permet donc de baisser les coûts. « On ne sait même plus pourquoi ce lait-là permet de faire du cantal », s’indigne le président de la coopérative. Une situation qui fait le désespoir de Véronique Richez-Lerouge, fondatrice de l’association Fromages de terroirs : « D’un côté, on a des producteurs qui respectent le produit et de l’autre des groupes industriels qui s’engouffrent sur ce marché, parce que les AOP, c’est une pompe à fric. Et au final l’étiquette est la même. » Vous pouvez vous laisser abuser par un logo AOP mis en avant, contre une petite mention « lait pasteurisé ».
Dans les rayons des supermarchés, le lait cru devient difficile à trouver pour certaines AOP : ossau-iraty, chabichou du Poitou, chaource, maroilles, etc. (« Dans les années 1980, des décrets successifs ont ouvert les AOP à la pasteurisation »), rappelle Véronique Richez-Lerouge. Les pouvoirs publics estiment qu’une production pasteurisée permet d’exporter. Résultat, « les petites et moyennes productions diminuent, la diversité des fromages français régresse », s’inquiète la militante. En 2009, 86 % des fromages commercialisés étaient pasteurisés.
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