Vous êtes stressée, ma p’tite dame ? Quelques gouttes d’huile essentielle de bergamote et tout ira mieux. Une inflammation de la peau ? Un peu de tanaisie annuelle, mon bon monsieur. Des maux de ventre ? Va pour la cardamome. Sous ses airs d’apothicaire fou, qui farfouille entre ses fioles d’Eugenia caryophyllus sprengel et ses réserves d’Eucalyptus polybractea cryptonifera, se cache l’aromathérapeute, celui qui soigne par les huiles essentielles. Ces essences d’extraits de plantes renferment une potion magique : un principe actif, super-ultra-concentré. Par exemple, l’essence de clou de girofle est composée à 80 % d’eugénol. Un taux assez fort pour dire adieu aux sales microbes coincés dans le corps. C’est justement tout l’intérêt, mais aussi tout le danger, de l’huile essentielle. Les plantes, ça ne peut pas faire de mal ? Erreur !
Diable et magie noire
Jean-Pierre Willem, médecin spécialisé en aromathérapie, ne mâche pas ses mots : « Les huiles essentielles sont des bombes chimiques. Elles sont d’une efficacité redoutable. Elles peuvent entraîner la mort, engendrer des épilepsies… » Diable ! Aromathérapie rimerait-elle avec magie noire ? Pas vraiment. Car il y a un secret : tout dépend de la dose ! Le docteur Jean-Michel Morel, enseignant en aromathérapie à l’université de Franche-Comté, explique : « Par exemple, le basilic a des propriétés protectrices connues. Mais la plante contient du méthyl-chavicol. » Du méthyquoi ? « Ce principe actif, testé isolément sur les rats, déclenche des cancers du foie. Mais les médecins savent qu’en petite quantité, le basilic est source de bienfaits. »Sarriette ou menthe poivrée
Sauf que le débutant tombé dans la marmite de l’aromathérapie, lui, l’ignore. Il ignore aussi que certaines essences, comme celles de sarriette ou de menthe poivrée, sont absolument déconseillées chez la femme enceinte, car abortives. Que l’hysope officinale est neurotoxique, et le romarin, caustique. Il existe actuellement environ 400 huiles essentielles… et tout autant d’indications d’emploi. Ainsi, les concentrés d’agrumes étant photosensibles, il ne faut jamais les appliquer à même la peau, au risque de brûlures cutanées. Respirer les huiles essentielles, le nez au-dessus du flacon, peut aussi provoquer une irritation des sinus…« Ce n’est pas de la sorcellerie, s’emporte Jean-Pierre Willem. L’aromathérapie, c’est de la biochimie ! Il faut connaître les molécules. Le médecin, lui, les connaît ! » Loin d’être le cas du vendeur d’essence de lavande de la boutique de souvenirs sur la Côte d’Azur. Jean-Michel Morel s’inquiète, lui, de voir « un usage immodéré [des huiles] chez le grand public ». Boutiques diététiques, magasins bios, Internet : les tentations sont grandes pour se procurer sa petite dose. Dans ce fatras, le consommateur s’y perd. « Les huiles essentielles doivent être achetées dans les pharmacies spécialisées, dans lesquelles on peut prétendre bénéficier des conseils éclairés d’un personnel formé », tonne Danièle Festy, pharmacienne spécialisée.
Sans compter que, depuis sa colline ensoleillée, le thym ou la camomille ont pu drainer des pesticides, qui se retrouvent à leur tour ultraconcentrés dans leur joli flacon. Dans une étude publiée en 1998, le pharmacologue Heinz Schilcher, de l’université de Berlin, explique que « la présence de pesticides est attendue dans les huiles essentielles, car elles sont liposolubles ». Autrement dit, solubles dans les graisses. Et abracadabra, les produits phytosanitaires s’y concentrent. Pour y échapper ? Il suffit de viser les labels bios. C’est pas sorcier. —
Déchiffrer l’emballage sans se planter
Les huiles essentielles sont vendues à droite à gauche. Pour ne pas se faire berner, mieux vaut décrypter l’étiquette à la loupe. La variété botanique complète doit être inscrite en latin, avec son genre, son espèce et l’abréviation du botaniste qui, le premier, l’a décrite. Si l’appellation Cinnamomum zeylanicum blume ressemble à un sortilège de Harry Potter, elle vaut mieux qu’une simple « cannelle de Ceylan ». De même pour la partie végétale extraite. Une même plante, selon que l’on distille sa fleur ou sa racine, peut receler des propriétés variables. Vérifiez également le chémotype, car l’origine géographique du végétal influe sur sa chimie. Ainsi le thym, s’il pousse dans une région extrêmement chaude, aura un taux de carvacrol – réputé antibactérien – élevé. En revanche, s’il évolue en montagne, c’est le géraniol qui prendra le dessus… Un fameux répulsif d’insectes. —
Les huiles essentielles, médecine d’avenir, de Jean-Pierre Willem (Dauphin, 2002)
Je ne sais pas utiliser les huiles essentielles, de Danièle Festy (Leducs, 2012)
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