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3-07-2008
Mots clés
Santé
France

Médecine du travail cherche réanimateur

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La profession voit ses effectifs se réduire au fil des ans. Incapable de sonner l’alerte dans le scandale de l’amiante, elle trouve peu de défenseurs chez les salariés ou les chefs d’entreprise. Sert-elle encore à quelque chose ?
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Il y a des jours où le docteur « Sentinelle » ne sait plus à quel saint se vouer. En particulier les jours où ses patients lui demandent à quoi elle sert exactement… A travers son blog « Carnet d’un médecin du travail », la jeune professionnelle pond le récit quotidien de sa pratique d’un métier méconnu, mal aimé et aujourd’hui en danger. « Perte de temps », « contrôle des patrons » sont les expressions parfois utilisées, en consultation, par les salariés pour la qualifier. « Empêcheuse de tourner en rond », « marionnette » sont aussi celles qui lui viennent en tête à la sortie d’un rendez-vous avec un employeur. On ignore pourquoi le docteur « Sentinelle » a choisi cette spécialité, mais une chose est certaine : son cas devient rare.

Selon le Conseil national de l’ordre, la France comptait 5 980 médecins du travail en 2006. Chacun d’entre eux assure en moyenne le suivi de 450 entreprises, soit environ 3 300 employés. Mais on estime que 1 700 médecins du travail auront pris leur retraite dans les cinq prochaines années, alors que, d’ici là, seulement 370 nouveaux praticiens auront été formés à cette spécialité. Pour le docteur Huez, vice-président de l’association Santé et médecine au travail, cette hémorragie pourrait se révéler dramatique.

« Nous sommes une espèce en voie de disparition. En ne renouvelant pas la population de médecins du travail, on essaye de s’en débarrasser. Si, comme c’est le cas actuellement, aucune force politique, sociale ou syndicale ne défend un vrai projet, peut-être la médecine du travail va-t-elle disparaître dans un silence absolu », n’hésite-t-il pas à affirmer. Le blog du docteur « Sentinelle » raconte pourtant la présence précieuse de ces professionnels aux premières loges de la souffrance au travail. Des gars, forts comme Hercule, y fondent en larmes sans retenue. Des employeurs finissent même par y raconter que leur travail « trop lourd » se transforme en insupportable mal de dos…

Un docteur Big Brother

Obligatoire depuis 1946 pour toutes les entreprises privées, réformée à plusieurs reprises, la médecine du travail est censée poursuivre une mission préventive. Or cette évidence ne l’est pas pour tout le monde. Bernard Salengro, médecin du travail et responsable des questions de santé pour le syndicat des cadres CGC, le déplore : « Nous renvoyons une image qui ne correspond pas du tout à ce que nous sommes. En venant chez nous, les gens ne voient que les examens de routine. » La profession n’a pas la cote auprès des salariés. On prend le médecin du travail pour un docteur inutile. Ou, pire, pour un agent de surveillance des employeurs.

Ce quiproquo est largement entretenu par l’une de ses principales activités : la délivrance du certificat d’aptitude. « Le salarié est-il apte à exercer les fonctions confiées par l’employeur ? » Répondre à cette question met la médecine du travail dans une position très inconfortable. Dans un contexte de chômage grandissant, elle sème le trouble sur son rôle dans l’entreprise et alimente les soupçons d’« eugénisme ». Critiquée pour son côté « chronophage », cette mission empêche le praticien d’assurer son travail sur le terrain : visite des entreprises, constat des conditions de travail. Depuis 2004, on ne parle plus de service de « médecine du travail », mais de service de « santé au travail », insistant sur le rôle de prévention des risques professionnels.

Concrètement pourtant, la médecine du travail n’a pas les moyens d’avoir une meilleure connaissance de ce risque. Pis même, ceux qui osent lancer l’alerte ne sont pas encouragés. En décembre 2007, l’affaire du docteur Georges Garoyan fut un exemple édifiant. En charge du site d’IBM La Gaude (Alpes-Maritimes), le médecin avait signalé dans son rapport annuel la grande souffrance psychique de nombreux salariés. Dans cet établissement de 600 personnes, il pointait du doigt le management, le système d’évaluation et la charge de travail. La réponse de la direction ne s’est pas fait attendre : mutation, malgré l’opposition du comité d’entre- prise. A l’époque, le délégué du personnel CGT n’avait pas mâché ses mots : « Notre dernier rempart contre la rentabilité à tout prix vient de sauter. Nous allons souffrir encore plus, car le prochain médecin sera choisi pour être aux ordres. »

Malaises et dangers dissimulés

L’indépendance de la médecine du travail est garantie… dans les textes seulement. Car la grande majorité des professionnels exerce dans des services interentreprises. Ces associations, financées par les cotisations des employeurs, assurent le suivi d’environ 80 % des salariés en France. Le médecin est protégé au sein de son association, en particulier du licenciement. Mais rien n’empêche les chefs d’entreprises de changer d’association quand ils sont mécontents d’un « médecin trop bavard ».

Dorothée Ramaut, médecin du travail et auteur d’un livre témoignage, a dénoncé avec vigueur certaines pratiques. Des confrères auraient parfois tendance à dissimuler malaises ou dangers professionnels. L’enjeu : ne pas faire perdre un client à leur association. Les récentes révélations sur l’alimentation de caisses noires patronales par la médecine du travail n’améliorent pas l’ambiance.

L’organisation même de la médecine du travail en France pose des questions de santé publique. Le scandale de l’amiante et les enquêtes parlementaires ont montré qu’elle est actuellement incapable de tirer la sonnette d’alarme sur des catastrophes sanitaires en cours. D’après les données du Conseil économique et social, près de 15 millions de salariés sont suivis dans le seul secteur industriel et commercial.

La médecine du travail occupe donc un poste d’observation privilégié de la population adulte, mais elle n’en réfère à personne ! C’est l’un des constats accablants, dressé en 2006, par la mission parlementaire d’information sur les risques et les conséquences d’exposition à l’amiante. « La médecine du travail constitue un formidable réceptacle de données sur la santé au travail totalement inutilisé. Il est essentiel de les connecter à la veille sanitaire. Imaginez ce qui aurait pu se passer si des centaines de médecins du travail avaient pu alerter les autorités supérieures au sujet des pathologies qu’ils constataient chez les salariés exposés à l’amiante ! », avait souligné Marcel Royez, à l’époque secrétaire général de la Fnath (Association des accidentés de la vie).

Sans remontée d’informations organisée par les pouvoirs publics, pas de veille sanitaire. « On pourrait nous croire les premiers du monde en termes de connaissance de l’état de santé des travailleurs et des expositions, puisque nous sommes les seuls à disposer de ce réseau. Or nous ne possédons aucune donnée, beaucoup moins en tout cas que d’autres pays qui n’ont pas ce système. Pourquoi ? », s’interrogeait alors le professeur Marcel Goldberg, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). A l’origine de ce « gâchis », de l’avis de tous les spécialistes, l’absence d’un réseau structuré. Et surtout un constat : la médecine du travail n’est pas chargée d’une mission de service public.

« Adapter le travail à l’homme »

Pourtant, dans un monde de l’entreprise en grande mutation, de nouveaux maux apparaissent. Les médecins du travail tentent déjà d’alerter sur l’explosion des troubles musculo-squelettiques et le développe- ment de pathologies psychosociales qui peuvent par- fois conduire au suicide (lire ci-contre). Ces futures épidémies vont contraindre les services de santé au travail à s’atteler à une vraie révolution. C’est dans ce sens que le Conseil économique et social (CES), saisi par le gouvernement, a rendu un avis en février. « C’est un problème culturel. La médecine en France met beaucoup plus l’accent sur le soin que sur la pré- vention. Mais le renouveau de la médecine du travail doit passer par là ! », s’exclame Christian Dellacherie, médecin du travail, représentant CGT et rapporteur de l’avis du CES.

Modification des systèmes de financement et de gouvernance, remise à plat claire des missions des médecins du travail, devoir de saisine : l’avis du CES, très politique, signale que la « priorité devrait être celle du maintien dans l’emploi et donc de l’adaptation du travail à l’homme qui doit prévaloir sur celle de l’homme au travail ». Ambitieux.

La réforme de la profession en préparation au ministère du Travail en tiendra-t-elle compte ? Le rapporteur Christian Dellacherie reste optimiste : « Avec Xavier Bertrand, un ministre du Travail qui a d’abord été ministre de la Santé, nous avons une fenêtre de tir ! Et puis, c’est une question politique forte : la santé au travail pose le problème de l’emploi des seniors. »


Suicide au travail : « On ne voit que le haut de l’iceberg »

Trois salariés du Technocentre de Renault à Guyancourt (Yvelines) se sont suicidés en quatre mois. Quatre à la centrale EDF de Chinon (Maine-et-Loire) en deux ans. C’est l’un des phénomènes contemporains de la souffrance au travail sur lesquels il n’existe aucune statistique nationale. Mais, selon Christian Larose, vice- président du Conseil économique et social, membre de la CGT, on en compterait près de 400 par an. D’après cette institution, l’intensification et l’individualisation de la relation de travail depuis une vingtaine d’années se traduisent par le développement de troubles psychosociaux. « Et on ne perçoit pour l’instant que le haut de l’iceberg », annonce le docteur Huez, vice-président de l’association Santé et médecine au travail. La prévention est possible, mais difficile. « On peut faire de la veille en santé mentale au travail, mais cela remet en cause l’ordre social dans les entreprises », souligne le docteur Huez. Après le passage à l’acte, le rôle du médecin du travail est essentiel pour faire reconnaître le suicide en maladie professionnelle. Car nombreuses sont les directions d’entreprises qui tentent d’évacuer la question en mettant ces actes sur le compte de « problèmes personnels et psychologiques ».
Sources de cet article

- Journal d’un médecin du travail, Dorothée Ramaut, Le Cherche-Midi, 2006.

- « Carnet d’un médecin du travail », le blog d’une jeune professionnelle : http://medecindu travail.canalblog.com

- L’avenir de la médecine du travail, avis du CES (2008) : www.conseil- economique-et- social.fr (« Travaux et publications »).

- Sur le même thème, « On ne badine plus avec l’amiante » : www.terra-economica.info/a23...

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