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- La mine à ciel ouvert de Garzweiler en Allemagne (crédit : Oberthaeuser / Sipa Press)
"Vous allez voir l’autre visage de l’Allemagne. " Sur un vaste sentier boueux, Dirk Jansen ouvre la voie. « Attention, ne vous approchez pas trop près. » Fin de la promenade, le chemin s’arrête brutalement. Sous ses pieds : une immense tranchée lacère le paysage. Quatre cents mètres de profondeur. Au moins trois kilomètres de large. Un grand canyon improbable et démesuré au beau milieu de la campagne. « A l’étranger, beaucoup de gens croient que l’Allemagne est un pays écolo. Mais la réalité est plus contrastée. » Regard bleu acier derrière de petites lunettes rondes, casquette vissée sur la tête, Dirk Jansen milite auprès de l’association de défense de l’environnement Bund. Né dans la région, il ne supporte plus le spectacle de ces engins surdimensionnés qui transforment les champs voisins en paysage lunaire. Dans un hurlement métallique quasi continu, les excavateurs progressent inexorablement. De jour comme de nuit. La scène semble tout droit sortie d’un film de science-fiction. « Ils sont plus hauts que le paquebot Queen Mary 2. Et longs comme deux terrains de foot, précise Dirk Jansen. Ce qui se passe ici est complètement dingue. »
Dix ans de combat judiciaire
Nous sommes à Garzweiler, sur le plus grand gisement au monde de lignite, le « charbon brun ». A une vingtaine de kilomètres de la frontière belge, en plein coeur de la Ruhr, région industrielle de l’ouest de l’Allemagne, trois mines à ciel ouvert ont bouleversé la physionomie du paysage. « L’extraction d’une tonne de lignite nécessite l’évacuation de 650 m3 d’eau, souligne le militant écologiste. Les mines détruisent en outre les nappes phréatiques. » Chaque année, on extrait ici près de 100 millions de tonnes de charbon brun, une roche intermédiaire entre la tourbe et la houille. Le filon est tellement riche que l’exploitation doit durer jusqu’en 2045. Pour enrayer la progression des machines, l’association Bund a acheté un bout de terrain situé sur la veine. « Cela nous a permis de mener une action en justice contre l’extension de la mine », raconte Dirk Jansen. La procédure a duré près de dix ans. Le 21 décembre 2007, le verdict est tombé. La mine a été déclarée « d’intérêt national ». Les excavateurs peuvent reprendre leur marche en avant.Depuis, les défenseurs de l’environnement campent sur place. Trois yourtes, quelques banderoles et des provisions pour tenir « aussi longtemps que possible ». Les activistes se relaient jour et nuit pour occuper leur parcelle, à 300 mètres à peine du cratère qui progresse autour d’eux. Mais leurs moyens semblent dérisoires. Cette action de la dernière chance a des allures de lutte entre David et Goliath. Car Bund ne s’oppose pas seulement aux mâchoires des excavateurs. Derrière les engins se dresse l’un des plus puissants groupes d’énergie en Europe : RWE. Or l’électricien a fait du lignite sa priorité. Extrait à moindre coût, le charbon brun est brûlé dans l’une des quatre centrales électriques qui jouxtent le site. En Allemagne, 30 % de l’électricité est produite de cette façon. Or ces centrales à la technologie vieillissante restent extrêmement polluantes : 60 % de l’énergie contenue dans le lignite se perd dans l’environnement. « Une tonne de lignite donne une tonne de CO2, insiste Dirk Jansen. RWE est le plus gros pollueur d’Europe. » L’Allemagne qui, au nom de la protection de l’environnement, a programmé le démantèlement de ses centrales nucléaires, nage en plein paradoxe. « Le lignite contribue à réduire la dépendance énergétique du pays, se justifie Matthias Hartung, du directoire de RWE Power AG. Par ailleurs nous investissons dans une nouvelle centrale qui permettra de réduire d’un tiers les émissions de CO2. »
Des villes fantômes attendent les bulldozers
Chargée de sauver l’Allemagne de la panne d’électricité générale, la mine de Garzweiler est donc autorisée à s’étendre. A tout prix. L’autoroute voisine sera ainsi purement et simplement détournée. Et douze villages seront rayés de la carte d’ici à 2045. Une cinquantaine d’autres ont déjà connu ce sort ces dernières années. Au total, 42 000 personnes seront délogées. Bonnet sur la tête, anorak rouge, Walter pousse son vélo dans les rues de Holz, un village fantôme qui attend les bulldozers. « J’habitais ici, explique-t-il en désignant une grande bâtisse blanche recouverte de mousse. Ça fait trois ans que nous sommes partis, notre ancienne maison est une ruine. » Herbes folles, fenêtres murées, planches clouées sur les portes. « Ma femme n’a pas remis les pieds ici depuis notre déménagement. ça lui fait trop mal au coeur », raconte-t-il, la voix embrumée. Comme tous ses voisins, Walter s’est résigné à partir, préférant négocier avec RWE une bonne indemnité plutôt que de rejoindre les rangs de la contestation. « De toutes façons, on ne peut rien y faire », lâche-t-il pessimiste. Walter et sa famille ont reconstruit une maison plus grande, dans le village créé de toutes pièces pour les déplacés, à quelques kilomètres de là.En Allemagne, l’extraction du lignite ne suscite pas la même mobilisation que le transport de déchets nucléaires, pourtant sans conséquences immédiates sur l’environnement. Dans leur champ balayé par le vent, les activistes se sentent un peu seuls. Peu soutenus par la population locale, ils ont finalement été évacués par la police, après dix jours d’occupation. « Notre action était symbolique. Il s’agissait d’attirer l’attention sur la politique énergétique allemande et de tirer le signal d’alarme », se console Rolf Behrens, militant de Bund. En décembre, un référendum d’initiative populaire a empêché la construction d’une centrale à charbon dans une région voisine. Le début d’une prise de conscience ? « Les gens se réveillent. La contestation ne fait que commencer », veut croire Dirk Jansen. —
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