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7-06-2007
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France

A qui profitent les sondages ?

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Quel est le point commun entre Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et un pot de yaourt ? Réponse : ils font tous l’objet de sondages et d’études de marché. Enquête chez les sondeurs, qui recueillent la sacro-sainte voix du peuple...
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« Nicolas Hulot obtiendrait 10 % des voix s’il était le candidat des Verts à la présidentielle. » « Les Français d’origine africaine éliraient Ségolène Royal dès le premier tour avec 57 % des suffrages. » « François Bayrou l’emporterait quel que soit son adversaire s’il atteignait le second tour »… Les sondages ont rythmé la campagne présidentielle. Avec une sacrée avance, même, puisqu’ils ont commencé à s’interroger sur le résultat du premier tour dès le mois de décembre 2005. Jusqu’au vote, environ 250 enquêtes d’opinion ont été menées, suivies d’une vingtaine entre les deux tours. Au total, 100 % de ceux qui ont suivi la campagne électorale de plus ou moins près ont entendu parler quotidiennement de TNS-Sofres, Ipsos, BVA, CSA, Ifop, LH2 ou encore OpinionWay.

Ces sept entreprises, qui se partagent le marché français des sondages électoraux, sont également appelées « instituts » bien qu’elles soient avant tout des sociétés à but commercial. Certains s’offusquent de ce titre à forte consonance scientifique, mais après tout, on parle également d’« instituts » de beauté, sans susciter pour autant de méprise.

Le pot de yaourt sous toutes les coutures

L’omniprésence des sondeurs pendant les périodes électorales ferait presque oublier que les sondages qu’ils réalisent alors ne sont qu’une toute petite part de leur activité. Ils représentent, en moyenne, à peine la moitié des sondages d’opinion (catégorie dans laquelle on retrouve aussi « les principales préoccupations des Français », leur « comportement face à l’alcool » ou leur « avis sur la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées »). Et ces enquêtes d’opinion ne font que 10 à 15 % du chiffre d’affaires des instituts. Le reste consiste en ce qu’on peut rassembler globalement sous le terme d’« études de marché ». Les entreprises ne peuvent plus s’en passer. Il est inimaginable de lancer un nouveau yaourt sans avoir reçu la confirmation qu’au moins 85 % des consommateurs l’ayant testé se sentent désormais en meilleure forme ou plus beaux, ou à la rigueur plus intelligents. Prendre des risques d’accord, mais se lancer dans l’inconnu, pas question. « La démarche classique comporte trois approches, explique Benjamin Gratton, directeur associé d’OpinionWay.

La première concerne le produit : on teste son évolution, son prix, les endroits où il sera distribué et sa communication. La deuxième s’attache au consommateur : qui est-il, quelles sont ses attentes. Et la troisième s’élargit au marché : quelle est sa taille, qui sont les concurrents, quels sont les liens avec d’autres marchés. » Devenues indispensables, les entreprises qui réalisent ces études s’affrontent sur un marché mondial de plus de 23 milliards de dollars (plus de 17 milliards d’euros). Imposant, quoique ridicule en regard de celui de la publicité : 400 milliards de dollars.

Les entreprises qui sondent les futurs électeurs en France sont loin d’avoir toutes le même poids. Les deux géants se nomment TNS (Taylor Nelson Sofres) et Ipsos. Le premier, britannique, est issu du rachat de la française Sofres par Taylor Nelson fin 1997. Côté à la Bourse de Londres, il a réalisé en 2006 un chiffre d’affaires de 1004,2 millions de livres (1,47 milliard d’euros, dont 212 millions en France). Son actionnariat est éclaté entre plusieurs banques et sociétés d’investissement internationales. TNS mène des études pour des entreprises allant de L’Oréal à Bouygues en passant par Renault ou Axa. Ipsos compte, de son côté des clients comme Danone, Leclerc ou la Fnac. Son chiffre d’affaires a atteint 857,3 millions d’euros en 2006 (dont 99,1 millions d’euros en France). Cotée elle aussi, mais à Paris, l’entreprise est détenue principalement par ses dirigeants historiques : Didier Truchot et Jean-Marc Lech.

En avril, le bruit a couru parmi les milieux financiers que les deux hommes étaient prêts à étudier des offres d’achat. Au rang des possibles prétendants : des groupes de communication comme Omnicom ou Publicis. Les rapprochements entre sondeurs et publicitaires – et par extension, les médias – devraient être monnaie courante à l’avenir, car les milieux sont proches, pour ne pas dire consanguins. Ainsi, fin 2006, le groupe Bolloré, notamment actionnaire de l’agence de publicité Havas et magnat de la presse en devenir (la télévision Direct 8 et les quotidiens gratuits Direct Soir et Matin Plus), a pris 44 % de l’institut CSA, quatrième acteur français du marché des sondages (31 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2006).

« Il est possible qu’il y ait des conflits d’intérêt », constate Emmanuel Kessler, rédacteur en chef adjoint de la chaîne Public Sénat et auteur en 2002 d’un livre intitulé La Folie des sondeurs. En effet, une fois élu président de la République, Nicolas Sarkozy est parti se reposer sur l’un des yachts de l’industriel Vincent Bolloré. L’institut CSA a alors publié un sondage selon lequel « 65 % des Français ne sont pas choqués » par l’escapade présidentielle. « Déontologiquement, l’institut CSA ne devrait pas intervenir puisque l’un de ses actionnaires est concerné », juge Emmanuel Kessler. Les collusions d’intérêts sont aussi fréquemment soulevées au sujet de l’Ifop, dont la présidente et propriétaire, Laurence Parisot, est également à la tête du syndicat patronal, le Medef.

Omniprésents dans la vie politique – le Service d’information du gouvernement s’en nourrit abondamment et les journalistes, qui les critiquent parfois, n’en sont pas moins désespérément dépendants –, les sondages peuvent-ils fausser la démocratie ? Peuvent-ils modifier le cours des élections ? « Ça ne peut pas continuer comme cela. On ne peut pas confisquer ainsi ni la campagne, ni le résultat, dans un pays où le suffrage universel est libre. » La personne qui tenait ces propos virulents au soir du premier tour de l’élection présidentielle de 1995 s’appelle Nicolas Sarkozy. Le motif de son courroux ? « Depuis un mois, les instituts de sondage essaient de raconter aux Français que l’élection est jouée, qu’il y a des écarts formidables. » Après avoir porté Edouard Balladur aux nues, les sondages avaient vu le Premier ministre sortant chuter jusqu’à accuser 10 points de retard sur Jacques Chirac à une semaine du vote. Or, ce 23 avril 1995, Chirac était à 20,84 % et son « ami de trente ans » sur ses talons, à 18,58 %.

Choisir dans le noir

Les sondages ont-ils empêché les électeurs possibles de Balladur d’y croire encore ? Les sondeurs répondront qu’ils ont également pu les conduire à un dernier sursaut. Si un enquêteur d’Ipsos ou de BVA s’avisait de demander son « opinion » sur les sondages à Alain Garrigou, celui-ci cocherait la case « très défavorable ». Pour ce professeur de sciences politiques à l’université Paris–X-Nanterre, « les sondages dévoient la démocratie » : « Ils modifient les conditions du choix électoral. Ce n’est pas la même chose de choisir dans le noir que de se décider en ayant des informations sur les candidats qui ont des chances et ceux qui n’en ont pas. Les électeurs naviguent ainsi entre des convictions et des calculs. »

Très rares sont les responsables d’instituts de sondage qui se gargarisent d’avoir un pouvoir d’influence. Mais Bruno Jeanbart, directeur du département opinion d’OpinionWay concède qu’« un sondeur qui dit que les sondages n’ont aucun effet est un menteur. Sarkozy et Royal ont été désignés par leur camp grâce aux sondages. Elle s’est imposée parce que les intentions de vote lui donnaient une chance de l’emporter et lui, sans les sondages, ne se serait pas retrouvé seul candidat de l’UMP. » Admettre que les enquêtes d’opinion ont une influence n’est pas reconnaître qu’ils manipulent.

OpinionWay s’est ainsi retrouvé sous le feu des critiques des socialistes pour un sondage réalisé sur Internet et publié dans Le Figaro et sur LCI juste après le débat Sarkozy-Royal du 2 mai. On y lisait que pour 53 % des sondés, Nicolas Sarkozy avait été le plus convaincant. Bruno Jeanbart a une défense imparable : « D’abord, on ne peut pas rédiger de question biaisée car ça se voit. Ensuite, on n’aurait pas pris le risque de sortir un faux sondage, car un de nos concurrents pouvait nous contredire et se donner la joie d’affirmer que “les études en ligne, ça ne vaut rien”. » A moins de penser que tous les sondeurs roulent à droite. Les socialistes, dont la dépendance aux sondages n’est pas moins grande que celle de leurs adversaires politiques, ne sont pas prêts à aller jusque-là.

Payer pour avoir des points en plus

Les relations entre sondeurs et politiques sont tumultueuses, mais elles n’en sont pas moins profondes. En 1995, le vice-président de la Sofres de l’époque, Jérôme Jaffré, participait activement aux réunions de campagne d’Edouard Balladur. Puis, l’institut de sondage prit un tournant jospinien en 1997. Sans oublier qu’il fut longtemps conseillé par Olivier Duhamel, député européen PS de 1997 à 2004. Du côté d’Ipsos, Jean-Marc Lech, connu pour son goût de la provocation, ne s’est jamais caché de ses liens avec les hommes politiques. Il a prétendu avoir sous-évalué Jospin en 1995 pour provoquer un sursaut de la gauche puis avoir été le « sondeur privé » de Jacques Chirac à l’Elysée.

Pendant la campagne de 2007, le directeur général d’Ipsos France, Pierre Giacometti, n’a pratiquement pas quitté Nicolas Sarkozy, apparemment réconcilié avec les sondages. « L’UMP a un rapport privilégié avec Ipsos, raconte Emmanuel Kessler. Mais Jean-Marc Lech a été très proche du QG de campagne socialiste. » François Bayrou, lui, a eu des rapports très fluctuants avec les sondeurs. Ravi de voir sa cote s’envoler, il a ensuite évoqué des « sondages manipulés », visant principalement l’institut CSA qui, à deux jours du premier tour, a publié dans Le Parisien des intentions de vote plaçant Bayrou quatrième derrière Le Pen, avec 16 % d’intentions de vote pour le centriste contre 16,5 % pour le frontiste.

Les sondages seraient-ils eux-mêmes sous influence ? Cela ne fait pas de doute pour Alain Garrigou qui, dans un livre paru récemment, L’Ivresse des sondages, avance un exemple saisissant. En juin 2006, à un jour d’intervalle, l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur et le mensuel gay Têtu publient chacun un sondage sur le mariage homosexuel. Dans le premier, réalisé par TNS-Sofres, seuls 45 % des sondés y sont favorables. Dans le second, livré par Ipsos, ils sont 61 %. Et pour un journal catholique, qu’est-ce que cela donnerait ?

Pas forcément réputé pour être un dangereux révolutionnaire, l’ancien ministre délégué à l’Enseignement supérieur, François Goulard, a confié il y a peu au quotidien Les Echos « qu’à l’époque où son parti, Démocratie libérale, commandait des sondages, les résultats dépendaient aussi des tarifs. ‘‘En payant un peu plus, on pouvait obtenir un ou deux points de plus. Mais Démocratie libérale n’avait pas beaucoup de moyens’’. » Les sondeurs rétorquent qu’ils n’ont aucun intérêt à gonfler les chiffres si c’est pour être contredits par le résultat du scrutin.

« Nos clients pour les études marketing sont attentifs aux sondages que nous publions pendant la campagne. On a intérêt à être crédibles », explique Benjamin Gratton d’OpinionWay. Mais chez Ipsos, Laurence Stoclet, la directrice financière, affirme qu’« il n’y a pas d’incidence » sur les contrats marketing dans les cas où les sondages électoraux se plantent, et pas non plus en cas de succès. « Un peu comme les journalistes, les sondeurs bénéficient d’une certaine impunité, note Emmanuel Kessler. Ils parviennent toujours à se justifier. »

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