Tu finiras poussière. On n’ira pas contre le principe. Mais entre passer l’éternité à l’ombre d’un arbre ou dans une case de columbarium, le choix est vite fait. C’est en se retrouvant avec, sur les bras, les cendres d’un ami, que les Arbres de mémoire ont germé dans l’esprit du père de Réginald Freuchet. La dispersion derrière le mur du crématorium lui laisse un goût d’inachevé, il invente donc un lieu où des urnes biodégradables reposeraient entre les racines d’un arbre nouvellement planté (1).
En 2004, la SARL sort de terre sur la commune de Pruillé (Maine-et-Loire). Deux ans plus tard, son diplôme d’école de commerce en poche, Réginald reprend le flambeau. « Sur les coteaux du sud d’Angers, certaines communes plantent un arbre à la naissance d’un enfant. J’aime bien cette philosophie. » Le parc de 4,5 hectares mise sur la tradition : paysage bocageux, vieux chênes, blé, fermettes et au loin, quelques vaches. Concession à l’exotisme : le catalogue propose, outre les charmes, quelques pins parasols et un ginkgo, une espèce originaire d’Extrême-Orient.
Concept breveté
« Si c’était à refaire, on éviterait de planter des arbres aussi jeunes. Ceux d’un an ou deux n’étaient pas assez rassurants. Les gens effectuent un transfert sur ce végétal, ils sont donc plus exigeants… » Vu comme ça, au milieu de ses 250 arbres, le jeune directeur général n’a pas l’air de regretter l’aventure. Et pourtant… Sans jeu de mots, la loi Sueur, adoptée en décembre 2008, en a fait couler des litres au sein de la société : sous couvert de limiter les abus – les cendres ne sont plus un bien qui peut être emporté sous le bras ni divisé –, elle interdit l’inhumation d’urnes et la dispersion des cendres sur un terrain privé.
In extremis, Réginald parvient à faire insérer une petite mention : tout site cinéraire créé avant le 31 juillet 2005 a le droit d’exister. Un autre parc du même genre, dans le Morbihan, profite de cette tolérance. La loi de 2008 stoppe donc net tout projet d’exportation du concept – dûment breveté – vers d’autres régions.
2 100 euros la concession
Lueur au bout du tunnel : obtenir la précieuse délégation de service public. Trois ans que dure le bras de fer. « Je ne suis pas pressé, j’ai seulement 30 ans. Mais c’est important de tenir bon car d’ici quinze ans, le marché devra forcément s’ouvrir. Le recours au partenariat public-privé s’imposera alors en urgence. »Une projection que décrypte la sociologue Gaëlle Clavandier (2) : « Entre 2020 et 2050, les générations de baby-boomers vont décéder massivement. On doit s’attendre à gérer plus de 700 000 morts par an, autant que les naissances. Forcément, il faudra s’adapter. Et l’augmentation des demandes de crémation chez les post-soixante-huitards est à prévoir : c’est une cible très égocentrée et séduite par un imaginaire qui, à défaut d’être réellement écolo, en a toutes les apparences. »
Eh oui, la crémation séduit. Au milieu des années 1970, elle concernait moins d’un décès sur 100. « On est déjà bien au-delà des 30 % cette année. Dans dix ou douze ans, on sera à l’équilibre entre crémation et inhumation », confirme Jean Ruellan, directeur de la communication des Pompes funèbres générales. Et si, d’ici là, les Arbres de mémoire déposaient le bilan ? « Nous avons créé deux sociétés distinctes : une pour le terrain et l’autre pour l’exploitation commerciale des arbres, ceci afin de pérenniser l’activité. C’est rassurant pour les familles, la commune, et pour nous aussi. Et puis, s’il avait fallu déposer le bilan, nous l’aurions déjà fait. »
L’investissement de départ de 150 000 euros grimpe aujourd’hui à 250 000. Le commercial des débuts a été remercié. « C’est moi qui assure le suivi avec les familles mais on a conservé notre sous-traitant pour l’entretien des végétaux. » La PME a tout de même réussi à gagner la confiance de 70 clients auxquels il en coûtera 2 100 euros pour une concession de trente ans. Chaque commune étant libre de fixer son tarif, le concept reste un peu plus cher qu’une place au Père Lachaise : 1 224 euros pour la même durée, d’après l’Association française d’information funéraire.
La concurrence de la nature
« C’est un peu cher, mais ce type de cimetière arboré est une solution atypique en France, qui le restera un moment. C’est la loi de l’offre et de la demande. Je considère qu’il y a un prix pour tout et qu’ici, le choix des familles importe », tempère son président, Michel Kawnik. La véritable concurrence du parc, c’est la dispersion des cendres en « pleine nature ». Mais sur ce point, le législateur n’est pas encore très clair sur ce qu’est – ou n’est pas – la pleine nature. En attendant la bataille contre de nouveaux moulins législatifs, c’est un job dans l’entreprise de machines-outils de son père qui fait vivre Réginald. « C’est moins vert dans l’esprit… » —(1) En Europe, les cimetières forestiers sont des forêts préexistantes.
(2) Auteure de Sociologie de la mort : vivre et mourir dans la société contemporaine (Armand Colin, 2009).
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