Dans une Amérique en ruines et un Manhattan en ébullition (Assemblée générale de l’ONU, castagne sur la reconnaissance de la Palestine, occupation de Wall Street – par ailleurs fébrile - par des indignés américains), Bill Clinton réunit ces jours le gratin des affaires pour sa grande fête de la philanthropie : la Clinton Global Initiative. Nous sommes Midtown, au Sheraton, cernés par les sièges sociaux des banques américaines. Au cœur du réacteur.
C’est la 7e édition de cet événement créé par Clinton pour Clinton, c’est-à-dire pour continuer à exister. Son idée : pour sauver le monde, il faut créer des alliances entre la sphère publique, le privé et les ONG. Why not ? J’étais venue en 2008, en étais répartie écœurée par le lavage de cerveaux. Intéressant de voir combien en 3 ans, l’événement a changé.
Entre-soi
Cette année encore JP Morgan, Pepsi, Cisco sont au rendez-vous. Corporate america est bien là, alignée dans des sessions à la gloire d’une vision sur l’humanité directement sortie des ordinateurs de leurs communicants. Rien n’est trop beau (ni trop cher, ici 20 000 dollars – 14 800 euros – le ticket) pour partager le podium avec Clinton. Chacun annonce son « commitment » pour sauver le monde : des écoles en Afrique, des jobs aux USA, des vaccins pour le Bangladesh. Optimisme vissé au corps, Clinton avance sur scène, prêt à en découdre avec ce monde qui prend l’eau. Il ne manque que les trompettes. Dans un décor bleu et or, il martèle « dans chaque problème de la planète, il y a une opportunité ». Il parle probablement de business. Standing ovation. On est dans l’entre-soi ; même quand Nick Kristof, l’éditorialiste du NY Times, l’accroche sur son rôle dans la dérégulation financière. Les quelque 150 journalistes qui couvrent l’événement n’ont pas le droit de se déplacer sans escorte (et donc de parler aux participants). Rien ne doit gâcher la formidable opération de com’ hollywoodienne.
Mais cette année, le lavage de cerveau est un peu moins explicite. D’abord, Clinton lui-même mâche peu ses mots, sur le déni ambiant quant au changement climatique, sur la politique « devenue émission de divertissement », sur l’apathie ambiante – pour rester politiquement correct : « Le vrai problème en Amérique : les gens sont imperméables à l’idée d’avoir une information exacte. » On va voir s’il reste sur la même lancée demain quand Obama sera là.
Le monde des affaires fait profil bas
La grande nouveauté est surtout que l’establishment (premiers ministres occidentaux, pédégés) est moins mis en avant. La sphère publique a disparu, comme elle a disparu dans la « vraie vie d’ailleurs ». Le monde des affaires fait profil bas, entre ses profits mirobolants et ses plans de licenciement. Du coup, les plénières sont trustées par des personnes de terrain, des humanitaires, des activistes, des chefs de gouvernement de pays dits « secondaires » (Zimbabwe, Mali etc) plus habitués aux sessions du soir, quand l’assistance est assommée après une journée de discours insipides.
Au-delà du monde de Coca et consorts, il y a bien une flopée d’entrepreneurs et de « leaders » (invités eux) bien revenus des promesses de l’Oncle Sam. Pour en nommer quelques uns, Leymah Gbolee (Liberia), Rye Barcott (ex-marine, installé à l’intérieur de Kibera), Valentino Achak Deng n’ont attendu personne pour impacter leur monde. Les multinationales veulent se refaire une image. Les projets des entrepreneurs sociaux ont besoin d’un énorme effet de levier. Tout se vend, s’échange. C’est à qui infiltre qui, qui impacte qui. Corporate america peut remballer ses spots publicitaires : on lui a volé la vedette. Plus personne n’est dupe. C’est déjà cela de pris.
Cet article a été initialement publié sur le blog de Flore Vasseur
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