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Vise le green

Par Benjamin Cliquet
7-04-2011

"La ville la plus verte", stratégie marketing ou ambition réfléchie ?

"La ville la plus verte", stratégie marketing ou ambition réfléchie ?
(Le Village Olympique, échec représentatif ou instructif ?)
Deuxième partie sur la publication d'Eugene McCann où, à travers différents points de vue, je décrypte certains choix stratégiques du projet Greenest City de Vancouver.

J’ai conclu mon précédent article sur le reproche que faisait Eugene McCann (professeur de géographie à la Simon Fraser University de Vancouver) aux autorités de Vancouver de, parfois, "vendre leur projet". Voici donc la deuxième partie sur la publication d’Eugene McCann, "Policy boosterism, policy mobilities and the extrospective city", où il développe cette fois la notion de "boosterism" et nous explique pourquoi Vancouver aurait pu s’y prendre autrement dans son projet de ville la plus verte. J’ai également interrogé Amanda Mitchell, analyste en urbanisme pour le projet Vancouver Greenest City, sur certains de ces reproches.

"La ville la plus verte" ("Greenest City") ressemble à un slogan, "c’est parfois davantage utilisé comme de la publicité que comme un véritable projet municipal" développe Eugene. Selon lui, "Ville Verte" serait plus adapté pour une politique de ville. "Pourquoi est-ce que ça doit être une compétition ?" Sûrement parce que, comme me le disait Amanda, de nombreuses entreprises "aiment ce que Vancouver est en train de faire" et semblent vouloir venir s’y installer. "Peut-être, mais je pense que la coopération serait meilleure que les partenariats" argumente Eugene. Il trouve dommage de la part d’une municipalité de vendre un produit au secteur privé. "Donc ça devient toujours "c’est nous les n°1" et je ne suis pas sûr de ce que ça apporte en terme de politique."

Mais Vancouver, à l’image d’Amanda, voit les choses autrement. C’est un projet volontairement très ambitieux. "Pour inspirer un grand changement, il faut une grande vision", ils ne veulent pas faire les choses juste "un peu mieux mieux que ce que nous faisions jusque-là". Amanda rajoute, les yeux brillants et grand ouverts, qu’ils veulent agir comme s’ils "visai[ent] les étoiles, le soleil ou la lune".

Le bâtiment C.K. Choi, pour l’Institut de Recherche Asiatique de la UBC (University of British Columbia) a été construit en 1996. Au début, les architectes voulaient le construire complètement à partir de matériaux recyclés. Les autorités de la UBC ont d’abord refusé. Finalement, après discussions, ils ont dit "ok, construisons un bâtiment qui sera un peu plus environnemental que d’habitude". Il a été construit à 99% à partir de matériaux recyclés, avec récupération des eaux usées et d’autres systèmes écologiques. C’était beaucoup plus progressif que ce qu’ils avaient fait jusque-là. Amanda évoque cet exemple pour montrer que, grâce à la motivation et des objectifs très ambitieux, on peut réaliser d’importants progrès. "On a besoin de cette grande vision pour inspirer et motiver les gens".

Par ailleurs, Eugene rappelle que le maire de Vancouver parle de coopération avec les autres villes en terme de "villes vertes", bien qu’il ne puisse pas éviter la compétition déjà existante. Pourtant, fin mars, des représentants de Portland sont venus à Vancouver partager leur expérience de "ville verte" en tenant une conférence et organisant plusieurs ateliers. "Il n’y a pas de compétition formelle pour être la ville la plus verte, et en même temps il y en a une informelle" explique Amanda. Portland, Chicago ou Toronto disent être les plus vertes, de nombreuses villes européennes font également mieux que Vancouver... "La compétition encourage les gens à agir. [...] Ca n’a pas qu’un simple rôle marketing."

Cette compétition ne peut être qu’informelle puisqu’il n’y a même pas une idée commune de que "vert" signifie (ils emploient beaucoup le mot "green" en anglais mais je ne suis pas sûr qu’en Français "vert" soit le plus communément utilisé). Pour certains, ça veut dire davantage d’arbres dans les rues "mais nous pensons que c’est plus que ça, c’est construire des quartiers plus denses et des bâtiments connectés à des centrales énergétiques de quartier".

Le "boosterism"

Ce néologisme inventé par Eugene désigne "une sous-catégorie des activités traditionnelles de marketing" (définition simplifiée), ce n’est donc qu’une petite partie du marketing municipal. La plupart des villes font du marketing, dont les auditeurs-clés sont les investisseurs potentiels, certains groupes de travailleurs recherchés et les touristes. Les deux principales stratégies marketing ciblent :
- la qualité de vie ("dans notre ville, nous avons la meilleure qualité de vie au monde") ;
- les opportunités pour les entreprises (promotion des impôts bas et des bonnes infrastructures).

Tous les classements sur les villes les plus agréables à vivre sont simplement politiques, selon Eugene. Les villes veulent communiquer sur le fait d’être n°1 parce que ces discussions sont populaires. Les gens supporteront leur ville tout comme ils supportent leur équipe de football favorite.

Le papier d’Eugene McCann est une critique de ce phénomène de "boosterism" parce qu’il pense que les municipalités passent trop de temps à "booster" la ville. Ils y sont peut-être contraints, pensant que c’est le seul moyen d’obtenir des revenus et donc de fournir les services de base, en développant des partenariats avec le secteur privé, "tout comme un centre commercial s’ouvre à tous les types d’affaires". Mais il considère que c’est dangereux, "c’est devenu tellement normalisé ces 10 dernières années". Concrètement, il craint que les villes, au lieu d’agir comme dans de véritables partenariats avec les entreprises, ne se vendent en proposant des impôts moindres ou des terrains gratuits aux nouvelles entreprises. Ainsi, "le secteur public assume une grande partie des risques pour le développement spéculatif", puisque les villes investissent de l’argent public (qui vient des impôts locaux) pour attirer des entreprises dont on ne sait pas si elles seront prospères.

Pourquoi le Village Olympique est-il si vide ?

L’exemple classique est le Village Olympique, "c’est un désastre". Si ça s’était bien passé, la ville aurait bénéficié de la vente des appartements du Village, mais c’est surtout les entreprises immobilières qui auraient récupéré un maximum de profits. Le Village devait être conçu de telle façon que ça puisse devenir des bâtiments résidentiels, dont une partie serait en location pour les personnes à bas revenus. Cette bonne idée a été lancée avant 2008, quand tout se passait bien. Mais, en partie à cause de la crise financière, les promoteurs ont fait faillite. Ceux-ci utilisaient des terrains donnés gratuitement par la ville qui espérait en tirer des revenus (nouveaux habitants, plus d’impôts locaux). Vancouver s’est endetté de plusieurs millions de dollars à cause de ce projet et le Village Olympique est désormais vide à cause des prix trop élevés. Eugene atteste que les investisseurs n’ont pas confiance dans les nouvelles technologies (vertes) utilisées qui ne seraient "pas prouvées", ils ont peur du coût de réparation si celles-ci ne fonctionnent plus. Il évoque donc cet exemple pour montrer comment un partenariat entre la ville et le secteur privé peut mal se passer pour les contribuables.

Amanda Mitchell le concède, "ce n’était pas la meilleure décision de construire des grandes co-propriétés parce qu’elles ne se vendent pas". Elle craint d’ailleurs que certains utilisent ce cas pour dire "le durable est un échec, ce n’est pas la voie à suivre". Pourtant, trois éléments permettent de relativiser cet échec :
- d’abord ce n’est pas un échec technologique, les nouvelles technologies fonctionnent, appuie Amanda. Lyn Bartram, professeure et chercheuse à l’Ecole des Technologies et des Arts Interactifs de la SFU (Simon Fraser University) et membre du groupe de travail sur l’objectif des bâtiments écologiques (Vancouver Greenest City), estime que certaines initiatives sont "formidables" : "la récupération de la chaleur des eaux usées est fantastique. Ils ont un problème avec la collecte des eaux de pluie mais ça ne veut pas dire que nous ne devions pas l’essayer" ;
- ensuite, Amanda attribue également ce non-attrait des habitants pour le Village au fait que toute la zone soit encore en travaux, ce n’est donc pas très vivant et cela renforce le sentiment que le Village est vide. Mais "quand le reste de la zone sera terminée, tout ira mieux" ;
- enfin, et Lyn partage cet avis avec Amanda, "on peut apprendre plus des échecs que des succès". Lyn ajoute même qu’en tant qu’experte elle sait que "le seul moyen de voir si quelque chose fonctionne c’est en l’essayant et en faisant mieux la fois suivante".

Quelle était alors la solution pour éviter cet échec ? Eugene affirme que les personnes qui offrent ces co-propriétés sont des spéculateurs qui ne prévoient pas d’y habiter et ne cherchent qu’à faire du profit à court-terme. La solution serait donc peut-être de développer ces habitations pour des classes sociales plus populaires. Le quartier aurait été plus vivant. Il certifie que le problème existe également dans les quartiers ouest du centre-ville où toutes les habitations sont vendues mais non habitées, "c’est mort". "C’est comme si ces lieux devaient être les plus opulents possibles." Lyn Bartram assure pourtant que la ville a fait un travail extraordinaire dans ces quartiers ouest pour leur redonner vie et attirer de nouveau les familles, en affirmant que le nouvel attrait de ces quartiers fait partie des "success story" de Vancouver.

J’espère que ces deux articles sur le papier d’Eugene McCann vous ont intéressé autant que le papier m’a passionné. Je reviendrai sur ce papier dans le rapport que j’écrirai sur mon expérience canadienne (que je mettrai en ligne comme je l’ai fait pour la Finlande). Je clos néanmoins cette séquence écossaise pour laisser la place, dans les prochains articles, aux objectifs de Vancouver dont je ne vous ai pas encore parlé, et je vous dis à bientôt depuis d’autres cieux puisque je quitte demain la Colombie-Britannique pour Québec avant de retrouver la terre de Ribéry et de Voltaire la semaine prochaine.

A bientôt, Visez l’green, Ben

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