C’est une première en Europe : un programme de recherche scientifique qui fait le point sur les microfragments de plastique en mer Méditerranée. L’expédition MED part chaque été depuis l’an dernier sur les traces des morceaux de sacs ou de polystyrène qui flottent à la surface de la « grande bleue ». Ambitieux et soutenu par plus d’une dizaine de laboratoires et d’universités, le chef d’expédition Bruno Dumontet compte sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics pour sauver une mer menacée de devenir une « soupe de plastique ».
Terra eco : Après votre première expédition, vous avez dévoilé le chiffre de 250 milliards de microfragments de plastiques flottants en Méditerranée. D’où viennent-ils ?
Bruno Dumontet : D’abord et même si nous pensons que le chiffre est en réalité plus important, il faut le manier avec prudence. 250 milliards, c’est une estimation fournie par l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, ndlr), une extrapolation à partir de la cinquantaine de prélèvements que nous avons réalisés l’été dernier au large des côtes françaises, espagnoles et italiennes. Il s’agit de prélèvements en surface de fragments flottants, dans la première couche de mer de 15 à 20 cm appelée neuston.Les microfragments proviennent à 70 % ou 80 % de la terre. Le reste vient des bateaux de pêche, des ferries, etc. Un laboratoire avec lequel nous travaillons étudie actuellement leur nature pour en connaître l’origine précise. C’est un peu comme une enquête, il s’agit de remonter à la source. A première vue, il s’agit de sacs plastique décomposés, d’éclats de peinture et surtout de petites boules de polystyrène que l’on a récupérées en grande quantité car elles ne coulent presque jamais. En revanche, nous ne cherchons pas à stigmatiser telle ou telle collectivité locale. Avec le vent et les courants, du plastique récupéré au large de Marseille ne vient pas forcément de la région.
Quel impact les microfragments ont-ils sur la biodiversité ?
Un des problèmes est celui des poissons des abysses qui vivent entre 300 et 500 mètres de profondeur et qui remontent la nuit pour se nourrir de plancton, base de toute la chaîne alimentaire. Or ils ne le distinguent pas de ces microfragments de plastiques et l’ingèrent. Ces poissons sont ensuite la proie des thons et des dauphins notamment. On ignore si ces matières, comme les polluants chimiques, passent ensuite dans les tissus. C’est l’une des recherches que nous menons avec l’université de Gênes en Italie. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun micro-organisme n’est à même de dégrader complètement le plastique. Au-delà de cette question, avec un milieu déséquilibré, se pose le problème de l’apparition d’espèces invasives.Que proposez-vous pour lutter contre ce phénomène ?
Le constat est alarmant. Il est déjà trop tard pour ces microfragments : il y en a trop et on ne peut pas filtrer la Méditerranée. Il faut donc agir en amont, à la source. Nous proposons donc deux choses : améliorer le tri et le recyclage et surtout légiférer pour renforcer l’écoconception des produits et taxer les produits importés qui ne sont pas écoconçus.Nous avons eu des rendez-vous avec les pouvoirs publics mais il ne sont pas moteur pour le moment. Il faut que cela vienne d’en bas, des citoyens. C’est pourquoi, comme les textes nous le permettent, nous avons décidé de nous adresser directement au Parlement européen en lançant une pétition en ligne intitulée « Un million de clics pour la Méditerranée ». Qui plus est, en France, la loi Grenelle 2 exige des autorités qu’elles prennent « toutes les mesures nécessaires pour réaliser ou maintenir un bon état écologique du milieu marin au plus tard en 2020 ». Ce n’est donc pas une idée en l’air.
La pétition est aujourd’hui notre seule arme et la seule solution pour légiférer au plan européen de manière forte. C’est pourquoi nous voulons apporter des éléments concrets et crédibles et dire, entre guillemets, qui sont les coupables. Aujourd’hui, la législation est très floue et les industries plasturgiques s’en donnent à cœur joie pour tricher. Or, il y a urgence pour la Méditerranée. Il faut mettre les politiques face à leurs responsabilités.
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