Elena a débarqué en France en 1962. Aller simple de Grenade (Andalousie) à Paris, et atterrissage douillet chez Willy, l’un des héritiers des tissus Bouchara, en tant que femme de chambre. De cette époque, à laquelle elle mit fin pour suivre son conjoint à Nantes (1971), Elena a conservé de maigres droits à la retraite, auxquels s’ajoute la pension de réversion de son défunt mari. Au total, 670 euros, pour vivre décemment à l’abri de sa maisonnette du quartier Zola... à condition de calculer au plus juste. Car "la Mamie", comme l’appellent ses amis, n’a d’autre choix que tout négocier. A commencer par les factures EDF : "J’obtiens des délais de paiement, je cherche des aides à droite à gauche, la nuit je coupe le chauffage, dans la journée je porte plusieurs pull-overs", énumère-t-elle dans un magnifique accent espagnol, et avec le sourire.
Denrées contre travail
Pour arrondir ses fins de mois, Elena trimballe ses tenues coquettes et sa chevelure blanche sur les marchés de la ville. Les samedis et dimanches, elle y échange quelques heures de travail contre de menues provisions, fruits, légumes, poisson. Jamais d’argent, "parce que les gens du marché gagnent eux-mêmes trop peu pour le distribuer." Enfin, elle fait un détour une fois par mois par l’une des permanences nantaises du Secours Populaire. L’occasion aussi, pour Elena comme pour les habitués, de bavarder quelques minutes. Elena est ici une mascotte : cela fait des années qu’elle fréquente les lieux, où elle servit même en tant que bénévole, il y a vingt ans. Aujourd’hui on lui remet - contre une participation de 2 euros - un lot de denrées de base (pâtes, riz, légumes), et une carte de rendez-vous pour le 7 du mois suivant.Dire qu’Elena fait tout cela par absolue nécessité serait exagéré. Certes, "aujourd’hui il faut se battre", comme elle dit. Mais d’un strict point de vue statistique, "la Mamie" ne compte pas au nombre des pauvres de France. En plus de sa petite retraite, ses allées et venues constituent pour Elena la meilleure façon de maintenir vivace le tissu de ses amis et soutiens. Et d’avancer sans jamais chuter, malgré ses 78 ans, sur la ligne de crête qui sépare la précarité de la pauvreté.
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