Indicateurs de Développement Durable |
Par Anne Musson |
31-01-2014
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Leurre du PIB (n’a pas sonnée) |
Quel doit être l’objectif premier d’un (du) gouvernement (français) ? Pourquoi le peuple a-t-il besoin et a-t-il choisi d’être gouverné ? Tout se passe aujourd’hui comme si la réponse était à la fois unique, singulière et évidente, le nerf de la guerre se matérialisant par la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB). Il reviendrait alors au gouvernement de mobiliser les forces et les outils vers ce même but, la croissance économique. Or, c’est bien sur les conséquences de celle-ci que l’action d’un gouvernement va être évaluée. Ce sont les progrès qu’une augmentation du PIB va permettre de réaliser qui détermineront si la politique menée est un succès ou un échec, si les électeurs sont satisfaits ou bien si les citoyens défilent dans la rue.
Et pourtant, eux-mêmes semblent se fourvoyer. Que réclament les bonnets rouges ? L’abandon de l’écotaxe. Mais derrière cette revendication se cachent ses fondements : ne pas perdre son travail, et le salaire qui va avec, rétribution monétaire indispensable pour s’affirmer dans la société qui est la nôtre. A cela s’ajoute le lien social créé par le seul fait d’avoir un emploi, et donc de collaborer avec des collègues, de partager un but commun, d’appartenir à un groupe. Car finalement, que recherchent les individus ? Le bonheur, qui ne peut se dessiner sans arrière-plan sociétal et collectif. Dans un climat où l’on se réfère sans cesse et avec certitude au juridique, il convient de rappeler que l’article 1er de la Constitution de 1793 (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) jure que « le but de la société est le bonheur commun ».
Dès lors, le bonheur commun peut-il s’assimiler à la croissance du PIB ? Cela pu s’avérer durant les trentes glorieuses, cela peut être vrai, mais sous certaines conditions. Pour que la croissance de la richesse, au sens monétaire, profite au bonheur commun, il faut, d’une part, que cette croissance soit durable, c’est-à-dire qu’elle ne menace pas la croissance future, et que cette croissance profite à tous, c’est-à-dire qu’elle doit permettre la réduction des inégalités. Or, depuis au moins trois décennies, c’est le contraire qui s’opère : les inégalités se creusent de manière quasi-exponentielle [1] et le développement, au sens de la croissance globale des richesses, n’est soutenable ni en matière sociale, ni en matière environnementale. Le monde a changé depuis 1945 et les fameuses 30 glorieuses qui ont suivi. Ainsi, la croissance du PIB, qu’elle soit faible ou relativement plus élevée, ne permet plus le progrès social et menace le bien-être futur, alors qu’une société cohérente et un modèle économique dynamique se caractérisent par la confiance en l’avenir et par le désir d’aller de l’avant avec conviction.
Lorsque mardi 14.01 dernier, lors de sa conférence de presse, François Hollande parle de « fuite en avant », il l’associe avec le creusement du déficit, celui-ci étant accusé de léser la croissance du PIB davantage que les dépenses publiques ne la favoriseraient. L’augmentation de la production nationale se pose donc en objectif sacralisé et indétrônable, et c’est plutôt là que se situe la fuite en avant. Les politiques, et les hommes et les femmes qui les décident, poursuivent un objectif qui n’est pas le bon. La criminalité, les accidents de la route, l’obsolescence programmée ou encore la déforestation sont autant de phénomènes contribuant à l’amélioration du PIB mais qui ne peuvent participer à un projet de société, au « bonheur commun ». Pourtant, nombre de voix, scientifiques notamment, s’élèvent pour dénoncer la toute-puissance infondée du PIB et proposer d’autres mesures de la richesse. Dans cette optique, le Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi [2] sur les Nouveaux Indicateurs de Richesse, commandé par Nicolas Sarkozy, était une initiative remarquable. Lors de sa remise, en 2009, l’ex-Président de la République affirmait qu’il ne se déplacerait plus dans les sommets internationaux sans le Rapport Stiglitz sous le bras. L’opposition aurait alors pu le gratifier d’un « chiche », interjection préférée de l’opposition actuelle en réaction aux annonces de François Hollande sur les baisses de charges pour les entreprises. Ni le gouvernement commanditaire de ce rapport, ni le suivant, n’ont donné suite aux recommandations de ce rapport, et les débats se situent toujours autour du pourcentage de croissance du PIB.
Un ensemble de chercheurs internationaux rappelle, dans une étude publiée dans la prestigieuse revue Nature le 16 janvier dernier, qu’il est « temps de laisser le PIB derrière nous » [3] . L’article débute en citant Robert F. Kennedy, qui un jour constata que le PIB mesurait « tout, sauf ce qui en vaut la peine » [4]. Ainsi, lorsqu’aujourd’hui François Hollande affirme qu’ « il ne s’agit pas de changer de chemin, qu’il s’agit d’aller plus vite, d’aller plus loin, d’accélérer, d’approfondir » [5], cela revient à accélérer un mouvement qui va vers le pire. Atteindre un objectif rapidement, s’il n’est pas le bon, ne consacrera pas celui qu’il l’a accompli –ce qui revient ici à un échec politique dans tous les cas, croissance économique ou non. Et surtout, les conséquences attendues par les citoyens mobilisés pour la cause n’auront pas lieues. Si le but de la société est le bonheur commun, le PIB en est un moyen, non une fin. Le changement de référentiel est nécessaire…maintenant. Et la tromperie n’a que trop duré.
[1] Voir les travaux de Thomas Piketty.
[2] http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr...
[3] « Time to leave GDP behind » https://sites.google.com/a/idakub.c...
[4] « everything except which makes life worthwhile »
[5] Extrait du discours liminaire de François Hollande lors de la conférence de presse du 14 janvier 2014
Docteur en économie et écologie humaine Maître de Conférences en économie |
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