Au 15 juin 2011, on avait ramassé 20 000 mètres cubes d’algues vertes selon la Préfecture de Bretagne citée par Les Echos. Par rapport à juin 2010, « les volumes sont pratiquement similaires dans les Côtes d’Armor, mais ils sont six fois plus importants dans le Finistère », assurent les autorités. La faute à l’ensoleillement important des semaines passées conjugué à une température de l’eau supérieure à la normale. Sur l’ensemble de l’année 2010, 60 768 mètres cubes d’algues vertes ont été ramassées par quelque 80 collectivités. |
Ça y est, vous en avez soupé des paysages d’algues vertes. Vous voilà pourtant coincé en vacances à Saint-Michel-en-Grève dans les Côtes d’Armor. L’an passé, un cheval est mort ici même et son cavalier s’est évanoui. A la télé, ils disent que c’est à cause de ces satanés cochons qui peuplent les terres bretonnes et déversent des fientes riches en azote. Un azote qui se transforme en nitrates qui boostent à leur tour la croissance des algues vertes. Vous vous imaginez déjà, fourche en main et rage aux lèvres, filer vers un élevage de porcs. Mais combien vous faudrait-il zigouiller de ces maudites bêtes pour en finir avec cette invasion de laitue de mer et sauver vos vacances du naufrage ?
Reprenons par le menu. Pourquoi les algues vertes prolifèrent ? Parce qu’elles adorent les nitrates pardi. Le lien est aujourd’hui clairement établi. Il se trouve que les cours d’eau bretons en sont gorgés. Sur la période 2006-2007, 44% des stations dites « témoins » dépassaient au moins une fois le taux autorisé de 50 mg de nitrates par litre. En tout, estime Pierre Aurousseau, agronome à l’Inra [1] de Rennes, cette densité de nitrates est due à un excédent de 75 000 tonnes d’azote dans la terre. Mais d’où vient-il ? C’est là que notre cochon entre en piste.
Un poids plume au rayon des déféqueurs
Cet azote a en fait deux origines. D’un côté, les déjections animales (240 à 250 000 tonnes d’azote rejetés chaque année), de l’autre les engrais minéraux (100 000 tonnes). Le cochon pointe sa truie dans la première catégorie. Mais à côté de ses congénères ruminants, il fait figure de poids plume. Si les vaches bretonnes déversent chaque année 140 000 tonnes d’azote, les porcs ne sont responsables « que » de 60 à 65 000 tonnes et les volailles de 40 000 tonnes. Vous voilà tout décontenancé, la fourche prête à vous tomber des mains.
Sauf que le cochon, contrairement à ses cousines bovines, est majoritairement élevé hors sol. « La plupart du temps en Bretagne, les vaches paissent dans les prairies ou sont nourries avec du maïs d’ensilage. La surface qui produit leur alimentation sert aussi à épandre leurs déjections », souligne Pierre Aurousseau. Pour le cochon, ce n’est plus le même conte de fées. « Les fermes sont souvent trop petites alors on a créé des ateliers hors sol. La nourriture des porcs est importée. Il s’agit soit de céréales venant d’autres régions ou de tourteaux de soja en provenance d’Amérique du Sud par exemple. Du coup, il n’y a plus la surface nécessaire pour épandre les déjections », poursuit le chercheur de l’Inra.
3 millions de porcs au pilori
Voilà nos fermiers avec du lisier plein les bras. Pour s’en défaire, ils en gorgent leurs terres qui frisent alors la crise d’azote. Revenons donc à notre question : combien de cochons devrait-on aligner contre le mur pour éviter l’invasion d’algues vertes ? Si on reprend les chiffres de notre chercheur, 350 000 tonnes d’azote sont produits chaque année, organique et minéral (issu des engrais) confondus. Les derrières des cochons sont donc responsables de 18,5 % du problème (si l’on prend la fourchette haute de 65 000 tonnes d’azote produits par nos porcs). Sur les 75 000 tonnes d’excédent, voilà donc nos cochons potentiellement coupables de déféquer joyeusement 13 875 tonnes d’azote en trop, à supposer que leur part dans l’excédent d’azote s’élève aussi à 18,5% et qu’ils en partagent la responsabilité avec les engrais et leurs amis les vaches et les volailles. A raison de 4,6 kilos d’azote par porc (13,9 millions de porcs sont élevés chaque année en Bretagne mais beaucoup vivent moins d’une année), nous voici donc avec 3 millions de porcs candidats pour le pilori, soit 21,5 % des effectifs produits annuellement. Méthode un peu radicale, avouons-le.
« Il ne faut pas se leurrer, on ne pourra pas éviter une certaine réduction du volume de production, estime Pierre Aurousseau. 240 000 à 250 000 tonnes d’azote d’origine animale, c’est trop. Et pour éliminer l’excédent, jouer uniquement sur l’azote minéral ne sera pas suffisant. Mais ça ne veut pas dire qu’il faut détruire l’élevage en Bretagne ! On peut peut-être réduire la production de 10 à 15% et passer d’une agriculture de masse à une agriculture à plus forte valeur ajoutée [donc moins intensive], source de meilleurs revenus pour les agriculteurs. » veut croire l’ingénieur agronome. Moins de porcs d’accord mais des porcs plus joyeux et libres de déféquer sans culpabilité, la queue en tire-bouchon.
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions