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Patrick Viveret : « Sortir de la démesure et accepter nos limites »

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Patrick Viveret : « Sortir de la démesure et accepter nos limites »
 
Philosophe et économiste, Patrick Viveret appelle à un grand coup de frein dans nos sociétés de flux tendus. Après avoir repensé la richesse, l'ancien conseiller à la Cour des comptes juge insoutenables les formes actuelles de croissance. Voici à quoi ressemblerait sa « sobriété heureuse ».
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Neuf ans avant le rapport Stiglitz sur les nouveaux instruments de mesure de la richesse des nations, Patrick Viveret proposait déjà de « reconsidérer la richesse ». La croyance en un progrès indexé sur la croissance du Produit intérieur brut est en effet, selon l’économiste et philosophe, responsable de l’accélération productiviste de notre société. Avec ses dommages collatéraux envers l’homme et la nature. Pour en sortir, il faut ralentir. Comment ? Patrick Viveret ne croit pas aux oukases. Formé à l’école de la Jeunesse étudiante chrétienne, puis à celle du socialisme autogestionnaire du PSU, cet ancien conseiller de la Cour des comptes défend les expérimentations sociales par des mouvements pacifiques et démocratiques. Objectif : mieux partager les richesses, afin de substituer à la « rareté artificielle » une « sobriété heureuse ».

Si vous possédiez une baguette magique pour améliorer le monde en 2030, que feriez-vous ?

Le cœur de la baguette serait de passer du « malévolat » au bénévolat. Le mal-être et la maltraitance sont le nœud de la crise systémique actuelle, il faut les remplacer par la « sobriété heureuse », alliant acceptation des limites et art de vivre. On doit en effet sortir de la démesure. Selon le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement), les budgets consacrés dans le monde à l’armement et à la drogue représentent 30 fois les sommes annuelles supplémentaires qui seraient nécessaires pour nourrir, fournir en eau potable et assurer les soins de base de l’humanité. Les budgets de la publicité sont 10 fois supérieurs à ce montant. Cette dernière répond à une logique compensatrice et consolatrice. Plus on se trouve dans une société de stress, de compétition et de destruction, plus la publicité promet amitié, bonheur et sérénité… Malheureusement, toutes les études montrent qu’il n’y a pas de corrélation entre l’augmentation de la consommation et la satisfaction à vivre.

Comment procéder alors ?

Grâce au trépied résistance créative, proposition transformatrice et expérimentation auto-organisée, issu du mouvement ouvrier et de l’économie sociale. De même que le mouvement ouvrier n’a pas attendu la légalisation de la Sécurité sociale pour créer des caisses de secours mutuelles, les mouvements alternatifs doivent expérimenter leurs idées sans attendre : nouveaux indicateurs de richesse, monnaies locales, politiques et économies du mieux-être incluant une résistance aux cadences infernales grâce à un modèle du type slow life. Ce dernier mouvement exprime bien le nécessaire ralentissement de notre société à flux tendu. « Nous avons le pied collé sur l’accélérateur et nous fonçons vers l’abîme », a déclaré le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, à propos des négociations qui patinent pour la conférence de Copenhague sur le climat. Il est donc urgent de lever le pied, d’où ma proposition de « Grande Pause » (lire ci-dessous).

Le mouvement social est-il prêt ?

Lorsque les grands mouvements n’ont pas de véritables débouchés, apparaissent logiquement des grèves « sauve-qui-peut », très radicales. Mais la violence naît lorsque le conflit n’a pas pu s’exprimer, comme dans le cas des émeutes urbaines. A force de vouloir empêcher la conflictualité sociale, le gouvernement et le patronat ont une responsabilité écrasante. Le mouvement social n’a plus les moyens d’empêcher la violence ou le corporatisme. Il lui faut une perspective transformatrice. Mais appeler à une grève générale va mobiliser une partie de la population et générer des anticorps dans une autre partie. Je préfère parler de « temps de pause », qui n’évoque plus simplement la lutte classique, mais aussi les rythmes sociaux. Les suicides dans les entreprises ou le débat sur le travail du dimanche montrent que l’on doit arrêter de penser en termes de temps de travail et plutôt en temps de vie, de l’accompagnement de la naissance jusqu’à la mort, en passant par des temps de congés sabbatiques tout à la fois écologiques, sociaux et spirituels.

Mais plus personne ou presque ne défend la réduction du temps de travail ou la retraite à 60 ans…

Sans doute pas sous la forme classique où ils ont été proposés par le syndicalisme. Mais si l’on sort de ce paradigme dominant et de la définition parfaitement réductrice de l’activité – et de la définition beaucoup trop vaste de l’inactivité –, on constatera que la contribution apportée par des personnes qui utilisent, par exemple, leur temps disponible pour avoir une forte activité associative est essentielle. C’est l’enjeu de ce que des auteurs, comme Hilary Putnam, appellent le « capital social » d’une société. Dans nos sociétés de flux tendus, le temps de la vie dite active ne prend en compte que des activités génératrices de flux monétaires. Dès lors, toute activité, aussi utile soit elle – donner la vie, éduquer des enfants, se former, gérer un foyer, avoir une activité bénévole etc. –, qui ne s’exprime pas monétairement, est réputée improductive. C’est marcher sur la tête. La remise en cause de nos représentations de la richesse confirmée par le rapport Stiglitz-Sen contribuera, je l’espère, à cette réouverture du débat sur la notion d’activité. D’ailleurs, le rapport de la commission britannique du développement durable, intitulé de manière significative « La prospérité sans la croissance ? », montre que le débat sur la réduction du temps de travail est loin d’être derrière nous.

Le rapport Stiglitz marque-t-il donc un changement de cap ?

C’est important qu’une commission avec des économistes de ce calibre reconnaisse le bien-fondé des critiques adressées au PIB depuis plusieurs années, mais qui restaient identifiées aux secteurs alternatifs par l’opinion. Elle nous dit que les indicateurs nous ont rendu aveugles et souligne le besoin de mesurer la soutenabilité écologique et sociale. Le problème, c’est que cette commission a travaillé exclusivement entre économistes et statisticiens, et avec peu de femmes, alors qu’on a besoin d’une sensibilité féminine sur le thème activité-inactivité.

Les idées de décroissance ou de « sobriété heureuse » sont-elles intelligibles pour la majorité de l’humanité qui manque de l’essentiel ?

Le terme de décroissance peut être contre-productif s’il n’est pas précisé et spécifié : que faut-il faire décroître, et pour qui ? L’autre problème, c’est que la croissance reste, dans ce terme, l’idée la plus importante, comme l’obsession sexuelle chez les puritains ! Il faut affirmer que nos formes actuelles de croissance sont insoutenables, mais pas qu’on refuse un développement de mieux-être. La « sobriété heureuse » défend des formes de décélération et de décroissance, mais pas pour l’éducation ou la santé, et pas pour les populations où les questions-clés restent la malnutrition et l’accès à l’eau potable. Ces situations dramatiques ne sont pas causées par une forme de rareté absolue – « Nous avons suffisamment de ressources pour répondre aux besoins de tous », disait déjà Gandhi et les chiffres du Pnud le confirment. C’est en réalité une rareté artificielle qui résulte d’un non-partage de la richesse, dû à ce que l’on pourrait appeler l’aggravation du sous-développement éthique et affectif chez les possédants au Nord comme au Sud.

Un an après la crise financière, les marchés et les banques se sont spectaculairement redressés. On parle de sortie de crise…

C’est ne rien comprendre aux racines structurelles de cette crise. Le découplage entre économie spéculative et économie réelle est toujours en vigueur : seulement 3 % des échanges quotidiens sur les marchés concernent des valeurs « réelles », tandis que la somme de produits financiers dérivés est incommensurable. L’économie réelle est sous-monétarisée, le secteur financier surmonétarisé. Des répliques – au sens sismique du terme – de la crise financière pourraient être plus graves encore que la crise des subprimes. Elles pourraient concerner les assurances ou les LBO (Leverage Buy Out, entreprises achetées à crédit). Avec une circonstance aggravante : une grande partie du secteur bancaire a épuisé son crédit de confiance auprès des citoyens-contribuables, et la crainte que les gens retirent leur argent des banques pourrait cette fois se concrétiser, comme le montre la prochaine campagne d’Attac : « Je change ma banque ou je change de banque. » Les banques ont vite rétabli leur profitabilité grâce à un mécanisme scandaleux : le décalage entre le niveau des taux d’intérêt proche de zéro des banques centrales et celui qu’elles appliquaient pour les crédits aux entreprises et aux ménages. Une attitude irresponsable qu’elles risquent de payer à l’avenir.

Quel bilan faites-vous des réponses politiques à la crise :plans de relance, tentatives de régulation des marchés financiers et des paradis fiscaux ?

Elles sont loin d’avoir été efficaces en matière de régulation. Le modèle DCD – dérégulation, compétition, délocalisation – a vécu. Nous avons besoin de stratégies coopératives à l’échelle continentale et mondiale sur le climat et la biodiversité, et de plus de développement local et de relocalisation. Ce qui ne signifie pas un repli autarcique, mais arrêter certaines stupidités, comme des aliments qui font des milliers de kilomètres avant d’arriver dans nos assiettes. On doit aussi élever le niveau de qualité démocratique et d’intelligence, face à la montée des logiques autoritaires. La France est en cela un laboratoire inquiétant, avec l’essor d’un néobonapartisme autoritaire : atteintes croissantes aux libertés publiques, contrôle des flux migratoires, renforcement de la surveillance informatique, réforme territoriale créant un processus de recentralisation… Tout y participe. Le courant écologiste doit ainsi faire face à l’instrumentalisation de ses idées. Par exemple au nom du développement des transports publics, le projet du Grand Paris remet en cause des prérogatives communales, en contradiction avec le pilier « gouvernance démocratique » du développement durable. —

APPUYER SUR LA TOUCHE « PAUSE »

« On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste. » Dans les années 1970, le dessinateur Gébé créait L’An 01 dans Politique Hebdo, puis Charlie Mensuel. Cette BD participative, enrichie par les idées des lecteurs, puis adaptée au cinéma, raconte un arrêt total et spontané de la production par les salariés, qui ne redémarrent ensuite que « le nécessaire ». Cette utopie autogestionnaire et écolo, l’ex-PSU Patrick Viveret veut la remettre au goût du jour. « Le dérèglement dans le rapport au temps et à la vitesse est un dérèglement matriciel qui explique toutes les autres démesures », notamment la course au productivisme, explique-t-il. Contre les cadences infernales et le changement climatique, il souhaite que le sommet de Copenhague soit l’occasion d’une « Grande Pause » – grèves, sit-in, débats – permettant de concevoir une « sobriété heureuse ».

PATRICK VIVERET EN 5 DATES :

1948 : naissance

1972 : professeur de philosophie, proche du PSU et de Michel Rocard, il dirige Tribune Socialiste, puis fonde la revue Faire

1990 : entre à la Cour des comptes comme conseiller référendaire

2001 : chargé par Guy Hascoët, alors secrétaire d’Etat à l’Economie solidaire, de piloter la mission « Nouveaux facteurs de richesse », qui accouchera d’un rapport, puis d’un livre : Reconsidérer la richesse

2009 : anime le Fair (Forum pour d’autres indicateurs de richesse)

Illustration : Julien Pacaud

Sources de cet article

- « Dialogues en humanité », événement dont Patrick Viveret est l’un des fondateurs

- Fair, le Forum pour d’autres indicateurs de richesse

- Reconsidérer la richesse, Patrick Viveret, L’Aube (2008, réédition)

- Pourquoi ça ne va pas plus mal ?, Patrick Viveret, Transversales/Fayard (2005)

- Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi

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  • PrNIC : ensemble 8

    C’est fou le nombre de citoyens qui ont de bonnes idées ...et en voila d’autres en plus !
    Seulement , des idées ne fédérent pas si elles ne sont pas inscrites dans des actes perso ou collectifs !

    Chaque créateur de bonnes idées ou de bonnes solutions devrait avoir le reflexe de joindre AUSSI ceux ou celles qui en proposent d’autres et qu’ensemble d’accord avec ces propositions et ces créateurs de résistances nous puissions faire bloc !

    Pour aller plus loin ? PrNICO@aol.com

    18.06 à 12h50 - Répondre - Alerter
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