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innovation politique

Par Rodrigue Coutouly
30-01-2011

Les Etats vont-ils disparaître ?

Quoi de commun entre la Côte d'Ivoire et la Belgique ? Entre la Tunisie de Ben Ali, l'Italie de Berlusconi et la Russie de Poutine ? Dans ces cinq pays, de manière différente, l'Etat s'affaiblit et ne sert plus l'intérêt de ses concitoyens.

Depuis de longs mois, la Côte d’Ivoire et la Belgique vivent sans gouvernement reconnu par la Nation, l’avion n’a pas de pilote, et avance dans un brouillard de plus en plus opaque. Voilà deux pays bien différents par leur histoire et leur culture, mais qui ont connu, tous les deux, la remise en cause de l’appartenance à la Nation d’une partie de la population par une autre partie de la population.

Italie, Russie et Tunisie connaissent, ou, ont connu la mise en coupe du pays par un homme qui a pris le pouvoir pour mettre l’ensemble de l’Etat à son service ou à celui de sa famille.

Ailleurs, dans de nombreux pays, l’Etat au service de tous, recule ou parfois disparaît complètement comme c’est le cas en Somalie ou dans des régions entières de l’Afrique centrale.

Les esprits positivistes ou chagrins hausseront les épaules. Cela a toujours existé. N’est-ce pas ce que connaissaient l’Afrique, ou le Far West américain avant la venue des Européens ? Cette vision naïve, ce refus autruche de voir la réalité en face provient de multiples erreurs. C’est d’abord oublier que le monde actuel contient six à dix fois plus de populations qu’aux époques auquel il est fait référence, c’est oublier aussi que le monde rural et autosuffisant pour son alimentation a fait place à un monde urbain, tout en tensions, et aux populations ayant de multiples besoins à satisfaire. C’est enfin refuser de voir les nombreux enjeux que l’Humanité va rencontrer dans les décennies à venir : crise économique, réchauffement climatique, appauvrissement des ressources, chômage, ...

La situation réclame des pouvoirs publics forts capables d’agir sur le réel, menant des politiques publiques volontaristes, capable de piloter leur Nation au milieu des écueils, avec à leur tête des personnes au service de l’intérêt public, n’ayant donc aucun intérêt personnel ou corporatiste à défendre.

La situation est-elle désespérée ? Non, car on peut parier sur l’intelligence humaine pour trouver les organisations et les hommes capables de fédérer les populations, refuser le désordre et construire de nouvelles organisations efficaces au service de la population.

Pour l’instant, on en est loin et il n’est pas inutile de faire la liste des écueils que nous devons dépasser si nous voulons construire des Etats assez puissants pour protéger les personnes et l’économie de leur pays.

Les excès du libéralisme : Depuis trente ans, la majorité des Etats ont déréglementé, diminué la taille de l’Etat. Si ce processus répond à un besoin de souplesse, à la nécessité de laisser davantage de liberté aux acteurs économiques, pour corriger les excès bureaucratiques des décennies précédentes, on a souvent l’impression que le curseur de la déréglementation est descendu trop bas. Partout dans le monde, des pans entiers de territoires sont abandonnés et les services publics sont fragilisés y compris quand ils sont utiles et efficients.

Le nationalisme : Devant les difficultés rencontrées, certains esprits paresseux prônent le repli sur soi et font porter la responsabilité des problèmes à certaines catégories de population. Ce développement de la haine de l’autre cultive l’irresponsabilité ("c’est leur faute"), renforce les tensions et ne mène à rien. L’Histoire est riche de nations qui ont basculé dans ce cul de sac : Allemagne nazie, Ex-Yougoslavie, ou, plus prêt de nous, Rwanda.

Le repli sur soi et les siens : Devant la pression libérale, prônant la prise en charge par chacun de son propre destin et l’affaiblissement de l’Etat, il est tentant pour chacun de se replier autour de son groupe identitaire qu’il soit corporatiste ou communautaire. On apprend à se débrouiller seul, avec son clan, sa famille ou son groupe d’appartenance ou de connivence. On oublie seulement que nos sociétés humaines complexes ont besoin de tous pour fonctionner. On fait de l’Etat un monstre froid inutile et on néglige sa raison d’être : servir tous les citoyens du pays.

La connivence des élites : Le plus dangereux des replis provient des élites politiques, intellectuelles et économiques. Repliées sur leur groupe d’appartenance, vivant "entre soi" dans des territoires réservés, pratiquant la reproduction sociale, elles méconnaissent les problèmes des populations, portent un regard biaisé sur le monde et son évolution. Elles sont totalement séparées des populations qu’elles sont censés guider et même des cadres qui organisent la société au quotidien (chefs de petites et moyennes entreprises, cadres de la fonction publique).

La morgue des riches : Profitant de la déréglementation généralisée, l’enrichissement des très riches ne connaît plus guère de limites. Ayant organisé le détricotage de leur participation à l’effort collectif, il est courant de voir des riches ne payer aucun impôt alors qu’ils profitent des structures publics au service de tous (routes, hôpitaux, ...). Ils devraient se méfier : devenus agoraphobe, sur leur yacht, dans leurs villas et quartiers protégés, leurs voitures blindées, ils se coupent des populations mais vivent dans la peur. Rien ne les protégera à l’avenir de la haine des plus pauvres et des pénuries à venir. Ils n’ont pas d’autres solutions que de partager et de mettre leurs "compétences" au service de l’intérêt collectif.

Le métier politique : Longtemps un bon carnet d’adresse et le goût du pouvoir ont suffit pour l’exercer avec talent. Aujourd’hui, le monde est devenu trop complexe pour les bateleurs de foire, au verbe et à la poignée de main facile. Demain, les enjeux cruciaux et les tensions montantes ne permettront plus de faire illusion. Le métier va changer : fini les causettes au marché, seul contact "avec le peuple", terminé les petits fours du lobbying comme seul prise en compte de l’intérêt général, achevé la fièvre du législateur qui décrète avec frénésie, il faut clore la période où le politique sert des intérêts particuliers et non ceux de toute la Nation. Demain, le personnel politique devra être innovant pour inventer des solutions originales, s’affranchir des vieilles badernes idéologiques et prendre le temps de venir écouter réellement les gens de terrain et les citoyens responsables. L’évolution démocratique nécessite des personnes serviteurs de l’Etat et de la Nation toute entière.

L’illusion du multilatéralisme : longtemps, on a cru que, puisque nos problèmes étaient globaux, il fallait trouver des solutions globales. La mondialisation a servi d’excuses au laisser-faire étatique. Les décisions se prennent à plusieurs, il faut "peser" sur la marche du monde. La mondialisation a accéléré l’affaiblissement des Etats. Peu à peu, cette illusion tombe. Les G4, G7, G20, Copenhague et autres sommets ont montré leurs limites. Ils servent d’excuses aux dirigeants impuissants et d’illusions aux naïfs de l’idéal planétaire. Aujourd’hui, il faut que chacun, au niveau local comme national, reprenne en main son destin, en trouvant des solutions à son niveau, en utilisant tous les leviers à sa disposition. Chaque acteur doit utiliser ses marges de manoeuvres pour agir. Et l’Etat reste encore le niveau d’intervention le plus pertinent sur le réel, celui qui peut servir l’intérêt collectif et général, à condition bien entendu de lui redonner l’autorité nécessaire à son action.

Pour aller plus loin :

Une croissance durable est possible et nécessaire

Trois fortes convictions

COMMENTAIRES ( 1 )
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  • D’abord, pourquoi les états ? Ils se sont tous mis en place-dans leurs limites actuelles- aux 19è et 20è siècles, même des "monstres géographiques" comme la Chine, l’Inde ou la Russie. Au 19è, mesure de la bonne "échelle" de puissance militaire industrielle et financière permettant de faire pièce aux voisins et concurrents. au 20è, transformation des (vraies) colonies en (pseudo) nations, presque toujours dans les limites définies par l’ancienne puissance coloniale. A ce compte, qu’est-ce aujourd’hui qu’un pays ? une nation ? Quel rapport entre la Suisse et l’Erythrée ? Entre la Chine (1.6 milliards d’hts) et la Dominique (50 000 hts) ? Dans un même pays, qu’est-ce qui forge les solidarités ? Plus du tout ce qui a donné la raison d’être de sa création. Où se niche le sentiment de citoyenneté ? Comment se vit la mutualisation, la commune responsabilité d’un territoire donné ? Qui aujourd’hui trouverait juste de financer le formidable équipement de l’espace rural français, dont la densité (voirie, électricité, téléphone, écoles, postes, dispensaires des années de partage) en a fait le mieux doté au monde ?
    Cherchons la bonne échelle de constitution de communautés réelles, solidaires et inventives, frugales et productives ? Ce n’est certainement plus celle des états.

    6.11 à 20h08 - Répondre - Alerter
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