La dernière née des baskets Veja ? Elle est couverte d’écailles ! Jusque-là, la marque française de chaussures fabriquées au Brésil dans des conditions équitables s’intéressait au coton bio, au caoutchouc naturel et au cuir de bovin tanné sans chrome. Elle se penche désormais sur le cuir de poisson. « J’ai découvert une ferme à 400 km à l’ouest de São Paulo, au Brésil, où toute la famille s’est convertie au cuir de tilapia, raconte François-Ghislain Morillon, cofondateur de Veja. C’est une région où il y a beaucoup d’élevages de poissons. Le père tanne les peaux, avec de l’extrait d’acacia, puis sa fille les coud en patchworks. Et ils vendent le tout à des marques de mode brésiliennes haut de gamme. »
En 2011, la production mondiale de poissons d’élevage a dépassé celle de bœuf et la tendance s’accentue : en 2012, la première pesait 66 millions de tonnes ; la seconde 63 millions. Mauvaise nouvelle pour la planète, car la pisciculture est souvent polluante, mais cela donne une idée de la quantité de peaux qui peuvent devenir une ressource. Car des artisans transforment désormais en cuir les résidus de ces saumons, tilapias ou bars que nous consommons de plus en plus… même si les Inuits y avaient pensé avant eux !
Tradition du peuple sami
Depuis des siècles, ils récupèrent les peaux issues de leur pêche pour en faire, notamment, des chaussures. C’est en s’inspirant de cette tradition qu’est née la société islandaise Atlantic Leather. Depuis 1994, elle tanne les peaux de cabillauds pêchés alentour, de saumons d’élevage ou de perches importées d’Afrique. Puis vend ce cuir fin et résistant à Nike ou à de jeunes designers. La pratique se répand, du Canada à l’Australie, en passant par l’Argentine, le Kenya et la Thaïlande. Pas toujours impeccablement écolo, car beaucoup ont recours au chrome pour le tannage et à des pigments chimiques pour les couleurs.Mais en France, du côté du bassin d’Arcachon (Gironde), la filière se réveille, et de façon exemplaire. En 2003, Monique Philip assiste en Finlande à un défilé de vêtements en cuir de poisson. Quelques années plus tard, elle voyage près du cercle polaire pour se former à cette tradition du peuple sami, puis crée l’association Femer. Grâce à un financement européen, elle entame en janvier 2014 une étude de faisabilité qui prendra fin en septembre. « On a testé tous les poissons locaux, explique sa fille, Marielle Philip, diplômée en gestion des littoraux et des mers. Ceux de la pisciculture locale, à savoir 9 000 tonnes par an : esturgeon, truite, saumon. Et ceux issus de la pêche des criées de Saint-Jean-de-Luz-Ciboure (Pyrénées-Atlantiques, ndlr) et d’Arcachon, qui produisent 9 000 tonnes chacune : sole, turbot, raie, congre, requin émissole, roussette, mulet, bar, maigre, thon. Il y a aussi le silure, un poisson invasif de l’estuaire. » Chaque espèce a des particularités. Ainsi, le cuir de sole, antidérapant, sert pour des gants ; l’esturgeon, lui, est aussi épais que du bœuf…
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