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18-11-2015
Mots clés
Société
France
Interview

« La capacité à résister à ces agressions dans la fidélité à nos principes est fondamentale »

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« La capacité à résister à ces agressions dans la fidélité à nos principes est fondamentale »
(Crédit photo : Maya-Anaïs Yataghène - Flickr)
 
Depuis les attentats du 13 novembre, les plus hautes autorités de l'Etat assurent que la France est en guerre et annoncent de nouvelles mesures sécuritaires. La réaction du philosophe Michel Terestchenko.
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Moins de trois jours après les attentats qui ont frappé Paris et Saint-Denis, le président de la République, François Hollande, a martelé, devant le Congrès réuni à Versailles ce lundi, que la France était « en guerre » et a annoncé un arsenal de mesures sécuritaires. Pour le philosophe Michel Terestchenko, cette situation de crise met à l’épreuve nos fondements démocratiques.





Terra eco : Que vous inspire l’émoi et la sidération qui se sont emparés du pays depuis vendredi soir ?

Michel Terestchenko : L’émoi lié à la férocité de ces attaques est bien sûr légitime. Il n’y a pourtant hélas aucune surprise dans ces événements qui étaient prévisibles. Nous avons plutôt affaire à une répétition d’événements qui ont déjà eu lieu et qui risquent de se succéder.

Depuis plusieurs jours, le terme de « guerre » est employé par les hauts responsables politiques. Que penser de ce vocabulaire ?

Ce vocabulaire belliciste et martial, avec l’idée qu’il faut rendre coup pour coup et mener un combat impitoyable, rappelle dangereusement, sous bien des aspects, un discours que l’on avait entendu aux Etats-Unis au lendemain du 11 Septembre et qui, à l’époque, n’avait pas été accepté par l’Europe. La France avait résisté à cet emballement martial. Aujourd’hui, nous sommes en train de tomber dans ce discours et dans toutes les possibilités qu’il ouvre. Certaines sont peut-être légitimes, d’autres méritent réflexion et d’autres encore sont véritablement problématiques. La guerre, on la mène au Mali, en Irak et maintenant en Syrie. Nous avons déclenché des opérations militaires et nous nous sommes exposés. La question est de savoir si nous nous sommes exposés de la façon qu’il conviendrait, si nous ne nous sommes pas exposés de façon imprudente.

Dans votre ouvrage, L’Ere des ténèbres, vous soutenez l’idée que les attentats sont des mises à l’épreuve de nos démocraties. Quels défis leur imposent-ils ?

C’est en effet la question fondamentale. L’Etat islamique ne menace pas l’intégrité territoriale de la France. Si c’est une guerre donc, ce qui est visé, menacé, ce sont nos valeurs. Ce qui me paraît fondamental, c’est notre capacité à résister à ces agressions d’une violence extrême, dans la fidélité à nos principes fondamentaux et structurants qui sont mis à mal et risquent de vaciller. Il y a une très grande inquiétude à avoir sur notre capacité à défendre les libertés publiques et à ne pas dissoudre le tissu social de notre société pluraliste et multiculturelle. D’une manière générale se pose la question du droit et du cadre juridique dans lequel les politiques publiques vont désormais être mises en œuvre.

Dans ce contexte, que doit-on craindre du tournant sécuritaire que le gouvernement semble prendre ?

Il y a bien entendu une nécessité – que personne ne conteste – de garantir autant que possible la sécurité des citoyens. La sécurité est même la première finalité de l’Etat. Mais les politiques sécuritaires doivent être regardées de très près. D’abord, elles ne sont pas nouvelles. Il y a toutes sortes de mesures mises en œuvre à la faveur de lois depuis 2008 : loi contre la récidive, loi sur la rétention de sûreté. Aujourd’hui, certains hommes politiques demandent à placer sous détention des individus qui pourraient être suspectés de vouloir commettre des actes terroristes. Là, les difficultés deviennent très sérieuses : on passerait d’une logique de la culpabilité à une logique de la dangerosité, cette dernière notion étant évidemment floue et élastique. Ce déplacement induirait un contrôle de plus en plus important et généralisé des citoyens et une remise en cause des principes fondamentaux du droit : on ne peut être privé de liberté que sur la base d’une preuve d’un délit ou d’un crime commis, et non pas sur la base de la suspicion ou de la probabilité de commettre un crime. Que l’on surveille ces individus, c’est une chose ; qu’on les mette en détention, c’en est une autre. Ce type de procédures sont, au minimum, extrêmement discutables et il faudrait en tout cas en discuter.

Ces annonces sont faites juste après des événements qui ont plongé la société dans la terreur. Que faire pour que le débat puisse avoir lieu ?

Il faudrait tout de même se donner un peu de temps. Or, nous sommes dans le temps de l’immédiateté. Les choses vont très vite. Sur des questions qui, une fois de plus, ne sont pas nouvelles, il nous faut un débat sérieux, ce qui suppose que l’on dispose d’un minimum d’accès à l’information [sur les événements et les mesures]. C’est l’Etat qui en détient le monopole. Le problème, c’est que si l’on discute de ces politiques publiques, on donne l’impression de faire le lit du terrorisme. C’est le rôle des hommes d’Etat ne pas céder à la peur, à cette demande sociale pressante d’une certaine partie de la population. Car une autre partie demande que l’on réfléchisse, que l’on discute, que nos libertés fondamentales soient protégées, que l’on soit capable de répondre à ce défi terrible, même si c’est, en effet, extrêmement difficile.

Quelques jours après les attentats, on a encore l’impression que la population est unie dans la douleur. Cette unité n’est-elle que de façade ?

L’unanimisme sous le coup de l’émotion ne signifie pas l’unanimité. Conserver l’unité d’une société pluraliste et multiculturelle dans une république laïque, ce qui est le fondement de notre conception du lien social, va être difficile. Il va falloir beaucoup de sobriété, de prudence et d’attention pour éviter les dérives désignant les étrangers et la population de confession musulmane. C’est un état de crise qui met à l’épreuve les principes de notre démocratie. Il va falloir être extrêmement vigilants à l’égard ce qui risque de se développer au sein de la société française, autant que sur les politiques publiques qui vont être mises en œuvre. Malheureusement, la société civile n’a pas beaucoup l’occasion de s’exprimer dans cette affaire. Il y a pourtant un principe constitutif de la démocratie, c’est que les citoyens sont, malgré tout, les auteurs des politiques publiques qui sont menées en leur nom. Si des politiques publiques sont menées au nom de la sécurité, ce qui est légitime, cela ne signifie pas que tous les moyens mis en œuvre doivent être acceptés avec un blanc-seing, et ne fassent pas l’objet de discussions. Je ne parle même pas de savoir ce qui est bien et ce qui est mal, mais fondamentalement de savoir avec quoi est-ce que nous sommes d’accord. Quelles sont les dynamiques de transformations sociales que le terrorisme ouvre, qu’est-ce que nous sommes prêts à accepter et quelle type de société voulons-nous dans cette situation-là ? Nous ne pouvons pas, en tant que citoyens, être dépossédés d’une certaine forme de participation à ces décisions et à ces évolutions.

Concrètement, pour se réapproprier ces questions, que faire ?

Je pense qu’il faut organiser des formes de discussions citoyennes. Il y a un énorme besoin de compréhension. Il faut organiser des débats informés. Il s’agit de ne pas laisser l’Etat décider absolument seul d’orientations qui nous concernent. Finalement, ce sont bien des citoyens français qui ont été assassinés dans les rues de Paris. Ce sont eux, les victimes de ces attentats. Les citoyens ont le droit d’avoir, au minimum, un droit de regard, d’information, de discussion et de proposition, sous une forme qui relèverait non pas de la démocratie participative au sens où chacun exprimerait sa propre opinion, mais d’une mise en place, sur des questions aussi graves et qui engagent aussi fondamentalement nos principes et notre avenir, de modalités qui relèvent de la démocratie délibérative. C’est peut-être idéaliste, ce n’est pas illégitime, ni même irréalisable.

Dernier ouvrage paru : L’Ere des ténèbres (Le Bord de l’eau, 2015)

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  • "En effet, je ne vois pas aujourd’hui dans notre société émerger plus de démocratie participative", M.Bézu vise juste. En parallèle à l’urgence, nous avons le devoir d’interroger le fonctionnement et les projets politiques de nos démocraties ici, maintenant et demain. Les médias jouent leur rôle et bien, tenons le nôtre.

    21.11 à 10h15 - Répondre - Alerter
  • L’analyse ici retranscrite est bien sûr à plusieurs égards pertinente. Mais je suis dubitatif quant à l’appel de Mr Terestchenko pour plus de débat concernant les décisions sécuritaires prisent par notre gouvernement. Puisque nous parlons ici de réaction d’urgence, il ne me semble pas que ce soit le temps du débat mais bien de l’action. Et le gouvernement est légitime a agir sans consultation de la société civile (dans ce contexte d’urgence bien entendu), puisqu’il est justement censé la représenter (suffrage universel, démocratie..).
    C’est d’ailleurs précisément le caractère urgent et immédiat de la réponse, au vu de la situation sans précédent, qui impose cet unilatéralisme dans la prise de décision.

    Par contre cela pose à mon sens deux questions fondamentales :

    1) Cette réponse sécuritaire est-elle suffisante ?

    Bien entendu non, tout le monde se rend bien compte de la nécessité d’avoir une vision à long terme (politique étrangère mais aussi intérieure). De plus, la société civile ne manquera pas, et c’est son rôle, d’interroger le bien fondé des décisions prises actuellement, mais elle le fera à posteriori.

    2) L’absence de consultation de la société civile n’est elle pas inhérente à notre sois disant "démocratie" ?

    En effet, je ne vois pas aujourd’hui dans notre société émerger plus de démocratie participative. Je ne crois pas que les avis de "la société civile" soient entendus ou pris en compte. Et ce n’est pas propre à la situation que nous vivons actuellement mais depuis bien trop longtemps les français se rendent compte de l’incompétence, de l’indécence de ceux qui nous gouvernent. C’est leur inconséquence (et forcément quelque part un peu la nôtre également) qui nous conduit droit dans le mur. Restons dans le sujet du moment : Comment se fait-il que nous ne soyons pas intervenu militairement bien avant à l’encontre de Daesh alors qu’on ne cesse de les présenter comme notre ennemi depuis plusieurs années déjà ? Comment se fait-il que nous ne cherchions pas à frapper le petrole qu’ils revendent en contrebande ? A qui peuvent-ils bien le revendre en si grande quantités d’ailleurs.. ? Surement pas des pays européens.. Et , en parlant d’Europe, pourquoi depuis tant d’année n’avons nous toujours pas été capable de mettre sur pied une Europe politique ? On le voit clairement ici. Les terroristes sont belges, voyagent partout dans le monde, convoient des armes depuis le Monténégro en passant par l’Allemagne...qui peut encore penser que la réponse doit être nationale ? Et ces questions bien sûr peuvent s’étendre à bien d’autres sujets. Je renvois vers un article à ce sujet qui me semble, malgré quelques amalgames, assez pertinent : http://www.pauljorion.com/blog/2015....

    Continuons à faire tous ce que l’on sait faire de mieux, et rappelons nous sans cesse de nous aimer.

    19.11 à 19h00 - Répondre - Alerter
  • Tout est poison… quand on dépasse la dose. Aucun médecin, aucun thérapeute ne vous dira le contraire. On peut mourir de trop manger ou de trop boire, on se met en danger en respirant trop fort. C’est vrai pour tout, nos pensées y compris...

    Partout autour de nous, les mots fusent aujourd’hui : « guerre », « invasion », « barbares », « frappes », « terreur ». C’est comme tous les poisons. Une petite dose ne tue pas, une forte dose, si.

    Ne vous croyez pas plus malin que les autres. Vous êtes, vous aussi, empoisonné. Vous nourrissez peut-être des sentiments de peur, d’effroi ou de colère. Vous vous méfiez, vous êtes plus attentif… Vous êtes obligé d’avoir un point de vue sur un sujet à propos duquel vous n’avez aucune compétence particulière. Vous regardez différemment les gens autour de vous. Les paroles de l’hymne national prennent un tour sinistre, vous les chantez pourtant. Vous ne faites pas exprès, cela se fait sans vous. Vous êtes empoisonné.

    Il y a des remèdes contre la peur. Il y a aussi toutes les techniques d’accompagnement des traumatismes, de la sophrologie à l’EFT en passant par l’hypnose ou la méditation qui peuvent aider les personnes les plus sensibles. Mais il n’y a pas de remède miracle contre l’empoisonnement des esprits ( texte envoyé par Alexandre Imbert).

    (Ma réponse) : Si il y a 1 remède : une constante et vigilante éducation populaire visant à initier à l’auto-gestion plutôt qu’à voter pour tel(le) ou tel(le) autre manipulateur charismatique.
    Oui, le vrai danger vient de l’intérieur, de ce silence des pantoufles qui nourrissent le bruit des bottes. Ces pantoufles qui naviguent de gauche à droite, ou d’une religion à une autre, selon ce qui arrange leur égoïsme acharné. Oui, aujourd’hui après avoir loué leur pseudo amour de la Liberté, les Français préfèrent la sacrifier pour plus de répression et de sécurité de façade, en refusant de voir qu’ils portent la responsabilité des violences organisées par leur indifférence.

    Je n’accuse d’ailleurs pas que ce peuple : tous les autres de par les horizons, les hommes ont du mal à reconnaître et à contrôler cette part bestiale de l’animal victime ou prédateur, qui est en chacun(e) de nous.

    Alors faites le jardin, pas la guerre !"

    Et c’est la raison pour laquelle, se posent tant que de conditions. Et la 1ère consiste en une re-distribution équitable du foncier et de l’immobilier, et une vigilance constante sur les possibilités de retomber dans les attraits et pièges de la spéculation. Ce sont des étapes pas impossibles à atteindre, mais certainement incontournables si nous désirons évoluer hors du règne animal...

    19.11 à 13h06 - Répondre - Alerter
  • Analyse qui va tout à fait dans le sens que je voudrais voir prendre.
    Manque seulement le questionnement sur la politique étrangère de l’Etat français,
    qui me semble maintenant devoir être clarifiée, pesée et reconsidérée dans la transparence et
    avec la prise de connaissance de l’avis citoyen et de son positionnement quand à cette politique étrangère tant civile que militaire.

    19.11 à 10h05 - Répondre - Alerter
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