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2-10-2008

La France aux bois dormants

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Avec la crise écologique, le bois a retrouvé son lustre énergétique. Et la forêt française – plus vaste d’Europe – redevient un lieu branché. Problème : elle est trop morcelée pour être exploitée efficacement et durablement.
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L’arboretum de l’Hort-de-Dieu serpente sur le flanc sud du mont Aigoual (Gard), à plus de 1 500 mètres d’altitude. Le long de ce sentier des Cévennes, hêtres centenaires et pins couchés côtoient les essences exotiques du sapin de Numidie ou du mélèze du Japon. L’Hort – « jardin » en occitan – porte bien son nom. Au début du XXe siècle, d’éminents botanistes acclimatent en urgence des dizaines de variétés d’arbres sur ces terres acquises par l’Etat. La greffe rend vie aux forêts de l’Aigoual, amputées par les besoins énergétiques des verreries locales, et prévient l’érosion des sols, responsable d’inondations catastrophiques au XIXe siècle. Le plus grand reboisement de France, après celui des Landes, est considéré comme une réussite.

Un tiers de la surface de l’Hexagone

Le long des routes et des chemins pare-feu, des troncs empilés attendent leur aller simple pour la scierie. Le petit bois va, lui, être transformé en plaquettes dans un nouveau « séchoir », à Camprieu (Gard), puis alimentera les chaufferies des villages alentour. « Le centre de formation des apprentis de Lanuejols s’est équipé d’une chaufferie bois, dont l’alimentation coûte trois fois moins cher que la précédente au fioul. Et nous développons des accès pour permettre à de petites parcelles forestières d’être exploitées », explique Martin Delord, le président de la communauté de communes de l’Aigoual. Les scieries locales veulent éviter les transports ruineux : une aubaine pour les forestiers. « Jusqu’ici, le bois “ médiocre ”, coupé lors des premières éclaircies, ne possédait aucune valeur marchande. Sans l’appui des collectivités locales, nous n’aurions pas pu réaliser ces nouvelles voies d’accès », estime Jacques Hirsinger, qui possède un domaine de 130 hectares dans le coin.

Ironie de l’histoire : après avoir contribué à l’extinction de ses forêts, le bois-énergie pourrait ainsi ranimer la flamme sylvicole du massif cévenol. La révolution industrielle a failli réduire en cendres les forêts françaises. Puis, lorsque le charbon et le pétrole ont remplacé la filière du bois, l’exode rural leur a laissé le champ libre. Aujourd’hui, la France constitue le pays le plus boisé du continent (hors Russie) : 16,6 millions d’hectares, soit presque 7 millions de plus qu’il y a un siècle, et 30 % de la surface de l’Hexagone. La crise écologique et énergétique actuelle provoque une ruée vers cet « or vert ».

Pour atteindre les 20 % d’énergie renouvelable espérés par l’Union européenne d’ici à 2020, le Grenelle de l’environnement a fixé des objectifs ambitieux : déjà premier gisement renouvelable de la France devant l’éolien, la biomasse – bois, déchets… – devra passer de 9,6 Mtep (millions de tonne équivalent pétrole) à 17 Mtep. Et la France fait feu de tout bois : les particuliers sont aidés pour changer de chaudières, 2 000 communes sont équipées de réseaux de chaleur par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et 22 centrales de cogénération – production d’électricité et de chaleur – devraient entrer en service partout en France en 2010.

Des millions de propriétaires

Mazette, on nous promet des veillées au coin du feu et un pays au poële ! Va-t-on devoir pour cela raser la forêt de Fontainebleau ou le massif de l’Aigoual une deuxième fois ? Relativisons, car la biomasse ne représentera in fine que 5 % de l’énergie consommée en France. En outre, les experts ès futaies nous le jurent la main sur l’écorce : au pays des grands chênes qu’on abat, la forêt française reste sous-exploitée. L’inventaire national estime en effet que, sur un accroissement biologique annuel des bois de 103 millions de m3, moins de 60 millions sont prélevés – dont une bonne partie, en douce, par des particuliers est difficilement mesurable. Beaucoup de bois pourrit sur place, libérant bêtement son carbone sans même faire tourner une turbine.

On pourrait donc doubler la récolte, tranche un rapport remis l’an dernier au ministère de l’Agriculture. Et la demande en bois-énergie constitue, selon ce document, un bon moyen de faire sortir du bois les petits propriétaires « pour mobiliser la ressource de la forêt française ». Le morcellement de cette dernière, nuisible à sa productivité (lire aussi page 32), est en effet légendaire  : les deux tiers des forêts françaises, soit presque 11 millions d’hectares, sont en effet partagés entre 3,5 millions de propriétaires. Seuls 70 000 d’entre eux possèdent plus de 25 hectares, seuil au-delà duquel un plan de gestion est obligatoire. Un vrai puzzle… « Certains propriétaires ignorent souvent qu’ils ont de la forêt. Ils ont hérité sans le savoir de petits bois, de vignes ou de parcelles agricoles à l’abandon et envahies par la forêt, signale Jean- Luc Peyron, directeur du GIP Ecofor (groupement d’intérêt public écosystèmes forestiers). D’autres leur accordent plutôt une valeur d’agrément pour y passer le week-end ou y chasser. »

De jeunes arbres à l’air penché

Max Bruciamachie, du Laboratoire d’économie forestière de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) voit d’autres raisons à la sous-exploitation présumée des bois : « 10 % du “ stock ” se trouve en montagne sur des terrains très difficilement accessibles, avec des pentes allant jusqu’à 45 degrés. Enfin, une part importante de la forêt est constituée de jeunes arbres – des douglas plantés après guerre – qui ne sont pas encore exploitables et qu’il serait économiquement idiot de couper maintenant.  » L’association de forestiers Pro Silva souligne que la forêt française est de ce fait « nettement plus pauvre que celle de ses voisins » : elle comporte seulement 161 m3/ha de bois “ fort ” (plus de 7 cm de diamètre), contre 333 m3/ha en Suisse ou 280 en Slovénie. Ces pays ont su, pour diverses raisons, mieux préserver leurs forêts primaires, qui, en France, ont quasiment disparu.

Pro Silva s’inquiète. En effet, les forêts « secondaires  » pourraient subir le même sort si, face aux besoins énergétiques, on dépouillait les bosquets de leur bois mort, pourtant nécessaire à l’humus, aux mousses et aux asticots. Une étude du Cemagref (Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement) a établi que les récoltes de bois-énergie pourraient atteindre 20 millions de m3. Mais il faudrait pour cela que son prix augmente fortement. Or le bois-énergie reste un sous-produit du bois d’oeuvre : il ne représente que 10 % de sa valeur.

Et le prix des bois nobles est affecté actuellement par la crise de l’immobilier. La pierre entraîne le bois dans sa chute. Pas pour longtemps, pronostique Laurent Piermont, directeur de la Société forestière, une filiale de la Caisse des dépôts et consignations qui gère 250 000 hectares de forêts pour le compte d’investisseurs privés : « Le prix du bois, stable depuis vingt ans, devrait suivre le cours haussier des autres matières premières. » Sa solution pour l’avenir ? Financer la gestion durable des forêts – certifiées par les labels PEFC et FSC – à l’aide de crédits carbone, récompensant le stockage du CO2 (lire page 32). Pour prévenir tout retour de bâton sur nos cîmes. —


Home wood home Sous forme de mobil-home ou d’armoire normande, le bois est le matériau écolo par excellence, à condition de l’extraire de forêts gérées durablement. Il stocke 250 kg de carbone par m3 quand l’acier en rejette 5 320 tonnes au cours de sa fabrication, et il est 12 fois plus isolant que le béton. Ainsi, en Allemagne, les maisons à énergie positive (produisant plus d’énergie qu’elles n’en consomment) sont toutes à ossature en bois. Une pratique que le Grenelle compte développer en France. Très minoritaire ici – 4 % du marché –, les maisons en bois deviennent à la mode. Le fabricant de voiliers Bénéteau a annoncé récemment son intention de vendre ses propres bicoques.


De l’argent plein les sous-bois C’est l’automne. Les amateurs de cèpes, les chiens truffiers et les cueilleurs de châtaignes arpentent les bois au risque de croiser des chasseurs de sangliers. Autant d’activités à ranger parmi les bénéfices de la forêt. Sa valeur marchande (bois, chasse, miel..) serait d’ailleurs équivalente à ses bénéfices non marchands (balades, services environnementaux...) [1]. Par exemple, la valeur sur pied du bois récolté annuellement en France dépasse largement le milliard d’euros, celle du stockage de carbone représenterait 542 millions d’euros si la France bénéficiait des mécanismes du protocole de Kyoto. Et les Français, qui consacrent 2 milliards d’euros en frais de transports pour se promener en forêt, seraient prêts à payer 342 millions par an pour préserver sa biodiversité.

[1] « Evaluation des bénéfices économiques marchands et non marchands de la forêt française », par C. Montagné et A. Niedzwiedz du laboratoire d’économie forestière de Nancy, revue Forêt Entreprise, septembre 2007.

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  • A M. Simon Barthélémy

    Je vous félicite pour le choix du titre de votre article, particulièrement juste et "communiquant". Et, bien sûr, pour le contenu général de votre article. Il faudrait beaucoup de bons articles comme le vôtre, et de journalistes comme vous, pour alerter l’opinion publique sur le fait que malgré l’abondance des volumes de bois sur pied dans l’Hexagone et leur accroissement naturel (les plus forts en Europe), notre secteur forêt-bois est le plus déficitaire après celui des produits pétroliers (nos importations dans ce secteur sont supérieures de 6 milliards € à nos exportations).
    Je me suis permis d’utiliser votre titre pour une causerie que je tiendrai sur le sujet avec un ancien Directeur général de l’Association FOrêt-CELlulose, au Cercle France-Amériques, (9 Avenue Franklin Roosevelt, Paris-8) le lundi 22 mars prochain à 18.30 heures. Je ne manquerai pas de dire que vous en êtes l’auteur et de citer votre article, en espérant que vous n’êtes pas fâché, ... et que je n’aurai pas de droits d’auteur à payer puisque j’œuvre pour la bonne cause !

    Avec mes salutations les meilleures

    Jean-Paul Lanly

    16.03 à 18h34 - Répondre - Alerter
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