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30-10-2008
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Développement Durable

Krach ou crise de civilisation ?

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Un krach et ça repart ? C’est l’espoir de tous les Etats qui renflouent à grands coups de dollars le système financier. Mais cette course au « toujours plus » n’épuise pas que les banquiers. La planète et ses ressources naturelles aussi. L’ultracapitalisme est-il mort ? Réponses mordantes des économistes Patrick Viveret, l’altermondialiste, et Philippe Chalmin, le libéral.
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La première grande crise financière de la mondialisation est-elle éteinte ? Dans une tentative inédite et concertée de calmer des marchés en panique, les gouvernements de la planète ont joué les secouristes en injectant les milliers de milliards de dollars et d’euros qui manquaient à l’économie (lire aussi pages 14-15). Paradoxe : les Bourses dégringolent alors que les multinationales qui y sont cotées pètent le feu. Mais la fracture n’est pas seulement économique et financière. Elle est aussi écologique et agricole. Comment s’extirper de cette multicrise alors que le bateau tangue ? Incontestablement, il y avait un poil dans la main invisible du marché.

L’intervention massive des Etats tourne aujourd’hui la page de trente ans de dérégulation. « Il ne s’agit que d’un phénomène cyclique », estime Philippe Chalmin, professeur d’histoire économique et libéral revendiqué. « C’est le début de la fin du capitalisme et nous sommes dans une crise de civilisation », rétorque Patrick Viveret, philosophe iconoclaste Ce dernier estime qu’il ne suffit pas de juguler la crise financière : la récession est inévitable et l’économie sera fatalement rattrapée par la crise énergétique, sociale et écologique. Les deux hommes partagent, en tout cas, le constat d’une mondialisation insuffisamment encadrée. —

La crise financière et bancaire peut-elle ébranler toute l’économie ?

Philippe Chalmin : N’oublions pas qu’au départ, c’est une crise de l’économie réelle. L’effondrement du marché de l’immobilier aux Etats-Unis, au Royaume- Uni ou en Espagne a provoqué une crise financière, notamment à cause des subprimes. Mais nous ne sommes que dans une phase de récession, encore loin de la dépression. Le troisième choc pétrolier et la flambée des prix des matières premières et agricoles ont été l’occasion de prises de conscience – y compris écologiques – bienvenues. Car la faiblesse des cours dans les années 1980 et 1990 s’était soldée par l’absence d’investissements. Or il faut du temps pour creuser des mines et des puits de pétrole.

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Patrick Viveret

Patrick Viveret : La crise aura un impact très important et peut s’étendre avec les garanties assumées par les Etats. Nous sommes entrés dans une phase de crise systémique, sur fond de crise écologique – déréglement climatique et menaces sur la biodiversité – et de crise sociale mondiale dont les formes les plus aiguës sont les émeutes de la faim. Si nous parvenions à traiter ces trois crises en même temps, nous pourrions sortir par le haut. Mais le risque est de se limiter à la crise financière.

Les pays européens proposent 1 700 milliards d’euros aux banques. La FAO, agence de l’ONU pour l’alimentation, évalue à 30 milliards de dollars les investissements annuels pour éradiquer la faim dans le monde. La comparaison vous choque-t-elle ?

Philippe Chalmin : A situation d’exception, réaction d’exception. C’est la crise la plus grave depuis 1929, et c’est avant tout une crise de confiance. Personne n’a à gagner d’un effondrement final, encore moins les plus pauvres. Je comprends que cela puisse choquer qu’on sauve la peau des riches, mais c’est faux, dans une certaine mesure. Je me demande par ailleurs comment et pour quoi l’argent investi dans le tiers-monde a été dilapidé… Si la FAO avait fait son boulot, nous n’en serions pas là. Et les émeutes de la faim sont des émeutes de la mal-gouvernance, menées contre des gouvernements corrompus. Patrick Viveret : Je suis choqué mais pas étonné. C’était déjà le cas avant la phase aiguë de la crise. La FAO criait « alerte rouge » sans être écoutée, tandis que la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale américaine injectaient des milliards de liquidités. Aujourd’hui, les gouvernements s’apprêtent à dépenser des sommes démesurées pour sauver les banques, en reportant la note sur le contribuable, alors que nous aurions besoin d’un plan Marshall pour lutter contre l’exclusion et la pauvreté mondiale. Personne n’affirme aujourd’hui, comme l’a fait Reagan, que « l’Etat n’est pas la solution, c’est le problème ».

Est-ce la fin du néolibéralisme ?

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Philippe Chalmin

Philippe Chalmin : L’histoire est traversée de vagues, certaines périodes allant vers le plus d’Etat, d’autres vers le moins d’Etat. L’Ancien Régime a été renversé par la première manifestation libérale, la Révolution de 1789, dont l’une des premières lois a été l’interdiction des syndicats. Le XIXe siècle a été marqué par un « laisserfaire  », inspiré par le Royaume-Uni, de plus en plus important. Les deux guerres mondiales, la crise de 1929 et les 30 Glorieuses ont vu le retour de l’intervention publique en Occident, de façon relativement efficace jusqu’aux années 1970. Le poids de l’Etat est alors devenu probablement excessif, comme l’a illustré le « crépuscule de l’empire américain ». Mais l’inversion néolibérale est loin d’avoir écarté l’Etat, qui pèse entre 35 % et 50 % des PIB des pays riches. Et l’économie de marché créatrice, fondée sur la logique du profit, représente des progrès pour l’humanité : l’aggiornamento des modèles socio-démocrates scandinaves ou la révolution de l’informatique, née en Californie, au coeur du capitalisme. Ce dernier est une mandragore qui renaît de ses cendres  : les crises font partie de ses excès.

Patrick Viveret : Je préfère parler de fin de l’ultracapitalisme qui n’a rien à voir avec le libéralisme. Comme l’historien François Furet, qui après la chute de l’URSS a affirmé que la Révolution française était terminée, je pense que la révolution conservatrice anglo-saxonne est aussi finie. Dans la lignée de l’économiste Hayek – prix Nobel en 1974 –, elle s’est construite contre le libéralisme culturel, par peur des idéologies permissives causant le déclin de l’Occident. C’est un capitalisme autoritaire s’accommodant bien des régimes russe et chinois. Et c’est un système qui ne défend pas le libre-échange, mais la libre-prédation. Lorsqu’au sommet de l’Organisation mondiale du commerce à Cancun (Mexique) en 2003, certains pays du Sud ont réclamé un vrai libreéchange pour l’agriculture, ils ont essuyé un refus des Etats-Unis et de l’Europe, qui subventionnent ce secteur. Enfin, l’ultracapitalisme est marqué par une logique d’expulsion du politique.

Le capitalisme n’est donc pas mort...

Philippe Chalmin : Qu’est-ce qui fait avancer l’homme ? C’est le processus d’accumulation. Chaque individu espère que ses enfants vivront mieux que lui, et il économise ou s’endette pour les envoyer à l’université. On critique les subprimes, et 1 ménage endetté sur 10 a effectivement fait faillite. Mais cela veut dire que les 9 autres, tous modestes, ont pu devenir propriétaires de leur maison ! Quant aux riches qui le sont autant à leur mort, ils ont échoué dans la vie. J’admire les fondations des milliardaires Warren Buffett et Bill Gates qui financent des projets agricoles intéressants en Afrique.

Patrick Viveret : Je crois, au contraire, comme le philosophe André Gorz, décédé l’an dernier, que nous allons vers une sortie du capitalisme. La question est de savoir, disait-il, si cette sortie sera civilisée ou barbare et autoritaire. Car comme pour la première grande société capitaliste, morte avec la Première guerre mondiale après des décennies de dérégulation, nous faisons face à une crise de civilisation. On entend que le capitalisme est devenu fou, mais sans s’interroger sur la nature de cette folie. Son origine est la démesure, tout comme la crise écologique vient d’une démesure dans nos rapports avec la nature, et la chute de l’empire soviétique d’une démesure du pouvoir.

La crise de confiance est une crise de foi dans un système qui a renversé le rapport entre la fin et les moyens : nous dépensons 600 milliards de dollars par an dans les stupéfiants et 700 milliards en publicité, 10 fois plus que ce que l’ONU juge nécessaire pour nourrir, loger et soigner l’humanité ! Plus qu’une crise économique, c’est donc une crise de l’économique, comme le notait Keynes, en 1930, dans un chapitre prophétique de ses Essais sur l’économie et la monnaie. Nous vivons une dépression nerveuse collective de la société d’abondance, succédant à une exubérance irrationnelle. Or on peut difficilement demander à un toxicomane de se désintoxiquer lui-même, il faut une cure de sevrage. Je suis favorable à la sobriété heureuse…

Les gouvernements évoquent un nouveau Bretton Woods. Pour quoi faire ?

Philippe Chalmin : Méfions-nous des comparaisons fallacieuses avec la conférence de Bretton Woods, dont l’accord visait à stabiliser les monnaies. Ce n’est pas le problème actuellement, même si le yuan chinois est sous-évalué. Je crois en revanche que nous avons mis le chariot de la mondialisation avant les boeufs de la régulation. On peut imaginer de nouvelles agences internationales, mais il restera toujours ces chancres que sont, pour un libéral, les paradis fiscaux, véritables entraves à la transparence. Plutôt que l’Irak, frapper Monaco !

Patrick Viveret : Nous devons prendre acte que notre modèle de croissance est insoutenable économiquement, socialement et écologiquement. Quand plus de 3 milliards d’êtres humains vivent en dessous du seuil de pauvreté, il est difficile de les sensibiliser à des problèmes comme le changement climatique. On pourrait donner le droit de création monétaire à d’autres acteurs que les banques commerciales privées, source constante de perturbation. L’idée : une nouvelle monnaie mondiale, comme la « terra » défendue par certains responsables bancaires, qui serait complémentaire des monnaies nationales.

Elle permettrait des investissements de développement durable, pourrait être frappée par une banque mondiale, transformée et servir de référence aux systèmes d’échange locaux, qui se multiplient pour parer à la baisse du pouvoir d’achat. Convertir les flux financiers mondiaux en « terra » résoudrait la question des paradis fiscaux. Ce serait une mesure beaucoup plus radicale, efficace et libérale que des taxes ou des mesures répressives. Keynes et Mendès France avaient déjà défendu à Bretton Woods l’idée d’une monnaie mondiale. —

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