Est-il possible d’intégrer à Africa Express, notre projet d’énergies innovantes et exemplaires en Afrique, la culture du jatropha, dont l’huile fournit un agrocarburant de seconde génération très controversé ?
Si le jatropha a été présenté au début des années 2000 comme une solution miracle, dix ans plus tard, pratiquement l’ensemble de la littérature technique et scientifique qui traite de cet agrocarburant est très critique. Car au lieu d’être déployé sur des terres appauvries pour favoriser la reconstitution des sols, le jatropha a surtout été exploité de manière intensive sur des terres arables en monoculture… Il écope donc du plus gros reproche fait aux agrocarburants : produire de l’énergie au détriment de cultures vivrières. On observe pourtant des cas concrets de production d’huile de jatropha basés sur un autre modèle de développement, comme ce programme d’Afrique de l’Ouest.
Du jatropha pour faire de la transformation agroalimentaire
Au Bénin en zone rurale, moins de 5% de la population a accès à l’électricité, freinant considérablement le développement économique et social. L’essentiel de l’activité économique est lié à l’agriculture. Dans les villages, les activités mécaniques de transformation agroalimentaire sont entravées par la disponibilité et le coût du gasoil : ruptures de stock, distance d’approvisionnement, coût…Le Geres (Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarités) opère depuis 2003 au Bénin. Après réalisation d’une étude de faisabilité en 2008, le Geres met en œuvre le développement d’une filière locale de production d’huile végétale pure (HVP) de jatropha comme moyen de substitution total ou partiel du gasoil pour les activités économiques de zones et villages identifiés.
Selon Raymond Azokpota, responsable du Geres Bénin, il s’agit « d’identifier les besoins en carburant, d’accompagner les agriculteurs de la zone dans le lancement de la production de jatropha, afin d’obtenir une production d’HVP équivalente aux besoins, pour un territoire économique rural donné ». On parle donc de filière locale de proximité.
Le programme pilote se décline en 4 phases de développement :
- Le Zou est la zone pilote du projet : 7 des 9 communes du département sont concernées. Pour chacune d’entre elles, la première étape fut l’évaluation des besoins énergétiques. Pour cela, un inventaire précis des services énergétiques disponibles a été réalisé. Ceci a permis de dimensionner la surface agricole nécessaire pour répondre aux besoins en carburant de chaque localité.
- Ensuite, le Geres s’est appuyé sur les Centres communaux de production agricole pour la sélection des agriculteurs volontaires disposant d’assez de terres cultivables. Ici, des barrières à l’entrée ont été dressées : la filière est locale, pas question de convertir des terres vivrières en champs de jatropha. « Aucun producteur ne peut donc y consacrer plus du dixième de sa surface », garantit Raymond Azokpota. Au total, près d’un millier d’agriculteurs participent à ce programme-pilote depuis 2010, pour 560 hectares plantés. Un itinéraire technique a été élaboré, avec des recommandations de cultures vivrières en inter-rang.
- Le développement du programme actuellement en cours est la transformation des graines de jatropha en HVP. L’objectif est de s’appuyer sur un entrepreneur local capable de gérer une petite usine d’extraction d’HVP à partir de la production de graine de la localité, pour les besoins de la localité. Lors de l’étude Africa Express menée en juillet 2012, l’usine flambant neuve était prête à fonctionner.
- Enfin, l’étape finale est de créer et consolider la filière complète : identifier les distributeurs dans chaque localité, garantir une offre d’HVP permettant une économie à l’usage par rapport au diesel – soit un prix de vente inférieur – et assurer des débouchés commerciaux pour écouler l’huile produite. Une équipe de 2 personnes au Geres est spécifiquement en charge de cette mission.
Une femme qui s’occupe de la transformation du jatropha. Crédit photo : Africa Express
Une expérience riche d’enseignements pour toute l’Afrique de l’Ouest
Alors que cette expérience pilote commence à porter ses fruits au Bénin et au Mali (où le Geres duplique le même programme), les enseignements sont déjà nombreux. La fabrication locale d’HVP à base de jatropha possède beaucoup d’avantages : elle est créatrice d’emplois, représente un accroissement des revenus pour les agriculteurs volontaires, répond à des intérêts économiques importants pour les habitants, et a un impact environnemental très positif.Le programme s’est prémuni des dérives industrielles de la culture d’agrocarburants. Enfin, il fédère l’ensemble des parties prenantes : institutionnels, représentants agricoles, acteurs économiques de la transformation agroalimentaire, coopératives… Il est donc logique que ce modèle de développement plus soutenable reçoive l’intérêt des autorités nationales, alors que le Bénin doit définir sa politique publique sur les agrocarburants.
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