https://www.terraeco.net/spip.php?article9991
Borloo a-t-il une baguette magique ?
mercredi, 28 avril 2010 / Arnaud Gossement /

Avocat, spécialiste du droit de l’environnement.

A la veille du vote par l’Assemblée nationale du projet de loi Grenelle 2, les commentaires se multiplient : le texte serait un miracle ou un épouvantail. Et s’il était seulement – et ce serait déjà beaucoup – un moment-clé de l’histoire du droit de l’environnement.

- Par Arnaud Gossement, avocat, docteur en droit et maître de conférences à Sciences Po.

Pour les uns, cette loi est une baguette magique, pour les autres, elle aurait dû l’être. Problème : une loi n’est jamais une baguette magique. Pour les uns, cette « boite à outils » destinée à décliner en mesures concrètes les objectifs du Grenelle de l’environnement serait une révolution. Pour les autres, une régression. Diable… En réalité, détracteurs et adorateurs de ce texte fleuve commettent sans doute la même erreur : sacraliser la règle de droit et penser que le succès – ou l’échec – du Grenelle se mesure uniquement en kilos de lois ou de décrets rédigés et signés. Car le défi du Grenelle est également d’ordre culturel.

Voilà une attitude assez française. A tout problème que rencontre notre société, celle-ci se dote d’une loi. La loi a dans notre pays une fonction magique et le simple fait d’inscrire nos maux et malheurs au Journal officiel permettrait déjà de se sentir mieux. La loi étant si sacrée, elle laisse rarement indifférent et suscite des réactions tranchées et sans appel : on attend tout de la loi et il n’est pas pensable que celle-ci permette simplement de marquer une étape ou de faire un pas. C’est tout ou rien. Pourtant, une loi, quel que soit le cérémonial républicain – auquel l‘auteur de ces lignes est très attaché – est d’abord constituée de mots. Le stock de lois inappliquées démontre d’ailleurs que l’on légifère trop ou mal.

Pour sa part, la loi Grenelle 2 ne mérite ni excès d’honneur ni indignité. Elle n’est pas la baguette magique attendue pas certains ni l’épouvantail agité par d’autres. Alors comment juger de son utilité à la cause qu’elle se fixe, soit un développement durable ? En vérifiant si elle contribue à la réalisation des objectifs fixés lors du Grenelle de 2007. Attention, elle n’y contribuera pas seule. Elle n’y contribuera même peut-être pas du tout – aussi vertueux ses articles puissent-ils être – si les citoyens, les élus, les opérateurs économiques ne s’en emparent pas. Mais elle y contribuera tout de même en permettant à l’environnement de « polliniser » un peu plus la plupart des secteurs d’activités : agriculture, transports, urbanisme, consommation…

Verre à moitié vide : le projet de loi Grenelle 2 comporte des points noirs. Il peut tuer le développement éolien si la rédaction de son article 34 demeure inchangée. Il ratifie l’inutile réforme dite du « 3e régime ICPE ». Il autorise la technique de la capture et du stockage du carbone, sans avenir et pas ou peu débattue lors du Grenelle.

Verre à moitié plein : ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain car ce texte comporte des dispositions très intéressantes, comme sur l’évaluation environnementale et les procédures de concertation voire une réforme majeure, comme ces articles relatifs à la biodiversité. Son analyse est donc complexe, comme son objet l’est également. De plus, l’intérêt de ses dispositions se mesurera à sa lecture, à sa pratique, à son interprétation par le juge, à sa réception par les institutions, les décideurs publics et privés etc…

Pourtant, je fais le pari que cette loi, dans son ensemble marquera un moment important de l’histoire du droit de l’environnement. Pourquoi ? Parce que ce texte, avec toutes ses mérites et ses défauts témoigne de l’ambivalence et des paradoxes de notre société face à la question écologique. En ce sens, il est une traduction assez fiable de l’état du compromis social sur l’environnement, une photographie assez précise de ce qu’il est possible de faire ou non à l’heure actuelle. En effet, qu’il s’agisse du développement des éoliennes, de la fiscalité verte, de la réduction des pesticides ou de la pollution automobile, il y a plus facilement unanimité sur les objectifs que sur les moyens de les atteindre.

Les attentes sont contradictoires, les intérêts divergents, les conflits très nombreux. Un consensus est donc parfois difficile à dégager, ce dont la loi Grenelle 2 témoigne aussi. Partant, elle a globalement le mérite de nous permettre de continuer à avancer, même dans un contexte de crise économique et de scepticisme à tous les étages. D’avancer plus rapidement dans certains secteurs plutôt que d’autres mais d’avancer malgré tout.