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J’ai testé la métamorphose verte
dimanche, 25 avril 2010
/ Laure Noualhat / Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet. |
Avertissement : avant de lire ce texte, munissez-vous d’un stock de millepertuis, antidépresseur naturel, et de balles antistress. De la femme Barbara Gould d’il y a quinze ans à celle qui pleure aujourd’hui devant des icebergs de l’Arctique : récit d’un parcours personnel intérieur, virages et dérapages inclus.
L’écologie, il fut un temps où je ne savais même pas à quoi ça ressemblait. Un truc de gogos pensais-je. A 20 ans – j’en ai 35 –, j’étais une femme Barbara Gould. Je rêvais de grimper dans un 4x4 faire le Rallye des gazelles, m’offrir deux bolides et crécher dans un loft au cœur de Manhattan. Je voulais gagner des tonnes d’argent facile en pratiquant les mathématiques financières à Wall Street. Pour tout vous avouer, et puisque nous sommes entre nous, je crois bien que j’ai voté Chirac en 1995. J’avais avalé tout Philip K. Dick, le Cycle des robots d’Asimov, et, dans le fond, j’étais persuadée que l’homme du futur serait un robot. J’étais aussi étrangère à l’écologie que Christine Lagarde aux sciences climatiques.
La conscience, c’est comme un virus : elle se diffuse vite, mais ne se soigne pas toujours. Enfin, c’est ce qu’on croit, au début. Quand on n’est pas né dans un bol de chlorophylle, devenir vert n’est pas chose si évidente. « Si la conscience écologique commence à se généraliser, les changements à opérer sont si antinomiques avec nos modes de vie, nos habitudes de fonctionnement, notre rapport au monde et à la vie, notre conception du confort, de la richesse, que nous ne pouvons pas adapter à nos comportements. C’est comme si nous voulions jouer à un nouveau jeu informatique sans avoir changé le programme de notre ordinateur », écrit Séverine Millet, consultante, accompagnatrice de changement et cofondatrice de l’association Nature Humaine.
En tant que reporter au journal Libération, impossible néanmoins de me laisser bercer par la mélodie du déni. Au contraire. Les mauvaises nouvelles succédaient aux moins pires. Depuis la proue du navire de l’info, je guettais la nouvelle enthousiasmante. Or, en matière d’écologie, cette pépite est un Graal, un calice auquel personne ne portera plus ses lèvres. Ce n’est pas parce que le voisin trie mieux ses déchets, qu’une jeune entrepreneuse a « inventé » des sacs en bâche recyclée ou qu’un producteur bio de plus vend ses patates sur le marché qu’il y a changement de paradigme.
Là, le découragement t’étreint, petit scarabée. Et je ne sais que dire : non, il n’y a pas grand-chose à faire. C’est précisément à cet instant que mes amis m’ont proposé de m’envoyer – pour longtemps – en cure de sommeil. Très franchement, c’est le moment de bascule. Votre psy en vient même à imaginer qu’elle va pouvoir payer sa retraite rien qu’avec vos séances. L’esprit, ballotté entre colère et épuisement, cherche à négocier. « La phase de négociation consiste à tenter le tout pour le tout pour ne pas changer, explique Jean-Pierre Le Danff, membre de la Fondation Nicolas Hulot. Cela consiste à dire : j’ai un cancer du poumon, mais si j’arrête de fumer, je vais m’en sortir. N’est-ce pas docteur ?! » A ce stade, on est face à un gros dédoublement de personnalité le matin devant la glace.
– « Oui, j’ai pris l’avion pour aller forniquer à Rome, et alors ?
– Tu sais très bien ce qui est en jeu et ce que tu as fait.
– Mais je ne vais pas changer le monde à moi toute seule.
– Ce n’est pas le problème, la question est : à quel point acceptes-tu de réduire tes incohérences ? Elles te rendent malheureuse, tu devrais les entendre plutôt que de les conchier. »
Mmm. Ecouter ses incohérences ? Après cette phase, c’est la fête du slip et du Beaujolais : on fonce tout droit vers la dépression. Inévitablement mais salutairement, oserai-je. La dépression est salvatrice à la seule condition d’être vécue comme une étape, celle de l’acceptation de la mort de ce foutu XXe siècle. En gros, il est normal d’être raplapla et de fondre en larmes dès qu’un ami vous demande si vous n’exagérez pas un peu le bousin. Là, j’ai même envisagé la ligature des trompes pour figer la radicalité dans le corps. Et en finir avec les réflexions du genre : « ça irait mieux si tu donnais la vie. » T’en foutrais, moi, de la vie. Je lui dirais quoi à mon nain ? « Maman et ses contemporains t’ont préparé une belle boucherie pour tes 40 ans, tu vas a-do-rer. »
Puis vient le temps de la résilience et du rassemblement. Plutôt que de rester seule, autant rejoindre des neuneus de son espèce : des objecteurs de croissance, des personnes qui doutent, des militants, des philosophes enthousiastes, des gens qui vivent l’écologie plutôt que de l’acheter. Ecouter le philosophe Patrick Viveret à une conférence sur le bonheur, ça vous rebooste un ego, manifester à plus de 3 000 (bien choisir sa manif, donc), ça fait marrer et lire un bon essai qui structure la pensée. C’est dans l’action, le faire, le rassemblement quasi-communautaire que l’on parvient à reprendre son souffle avant de repartir au combat. La seule issue connue à ce jour s’appelle l’optimisme de l’action. « Cette énergie est plus intéressante que les émotions pour mouvoir l’action, car lorsque l’on trouve sa source, elle est inépuisable, alors que l’indignation épuise et s’épuise », analyse Séverine Millet. Et comment faire ? Paradoxalement, en ralentissant et en s’arrêtant.
Mais ni l’indignation, ni la colère, ni la schizophrénie ne s’évanouissent totalement. Ces sentiments s’entremêlent pour tresser une vie combative pleine d’émotions. Un jour, en reportage au Groenland, face à la beauté des icebergs de l’Arctique, devant l’immensité de ce silence et la petitesse de notre existence humaine, je me suis mise à pleurer. Ces larmes avaient à la fois l’amertume de l’impuissance, l’acidité de la colère, la douceur de la sérénité et le mordant de l’espoir. Se reconnecter à la nature aseptise bien des douleurs. Peut-être est-ce ma voie, celle de la réconciliation avec Gaïa. —
La peur de la nature, François Terrasson (éd. du Sang de la terre) : LE livre fondateur pour beaucoup.
L’intelligence du stress, Jacques Fradin (éd. Eyrolles) : un peu technique, car écrit par un neurologue, ce livre permet cependant de comprendre comment fonctionne notre cerveau.
Vers l’écologie profonde, Arne Naess, avec David Rothenberg (éd. Wild project) : un entretien essentiel entre le fondateur du concept d’écologie profonde, mort en 2009, et l’un de ses adeptes.
Pour une révolution de la conscience, Conversations entre David Bohm et Mark Edwards (éd. du Rocher)
Comment réussir à échouer. Trouver l’ultrasolution, Paul Watzlawick (éd. Seuil) : on ne voit pas, à première vue, le lien entre l’écologie et l’échec, et pourtant… Un bijou d’humour.
Ecopsychologie pratique, retrouver un lien vivant avec la nature, Joanna Macy (éd. Le Souffle d’Or)
La nature, source spirituelle, Philippe Roch (Jouvence éditions)
Le site du Centre de recherche sur les décisions environnementales
Sur le site de l’Ecole de la nature et des savoirs, des stages pour recouvrer le lien entre nature et sociétés
Le site de l’Institut français de Gestalt thérapie
Photo : Erik Johansson
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