https://www.terraeco.net/spip.php?article987
Un médecin peut en cacher un autre
mercredi, 10 novembre 2004 / X , / Elise C.

La contre-visite médicale est une pratique surprenante mais légale, qui consiste à envoyer chez un salarié en arrêt de travail, un médecin mandaté par l’employeur. Ce flicage médical est aussi un créneau très porteur pour les intermédiaires.

Trop, c’est trop. Paranos, ou rongées par un réel fléau, les entreprises sont en guerre contre l’absentéisme de leurs salariés. Moyen utilisé : la contre-visite médicale. Légale depuis 1978 dans le privé, son principe est simple. Si complément de salaire il y a, l’entreprise peut légitimement en contrôler la dépense. Des sociétés de prestation proposent d’envoyer un médecin au chevet du salarié. Sous 48 heures maximum, l’entreprise recevra un avis du médecin justifiant ou non l’arrêt de travail.

Tabou en faillite ?

Si la pratique dispose d’un cadre juridique depuis plus de 20 ans, elle n’a gagné la confiance des entreprises que récemment. En témoigne l’augmentation du chiffre d’affaires de Securex, leader sur le marché depuis la loi de mensualisation du 10 janvier 1978. Avec 18000 clients - PME ou multinationales - et 30000 contrôles par an, cette société a doublé le volume de ses contre-visites médicales depuis 2 ans.

Toutes les entreprises ne recourent pas à cette arme de la même façon. Cette responsable des ressources humaines d’une société d’une centaine de salariés confie par exemple n’avoir utilisé la contre-visite qu’à une seule reprise en trois ans. "On veille à ne pas mener une politique de police, la confiance est importante". D’autres la généralisent. "Il y a deux ans, j’ai eu une pointe d’absentéisme de 6%, alors qu’on tourne à 3,5%, témoigne le DRH d’une entreprise de 800 salariés dans l’équipement automobile. Jusqu’ici, on pratiquait la contre-visite, mais uniquement sur les récidivistes, là, j’ai choisi de systématiser. Au bout de quelques mois, on est revenu à 3,5%, et depuis, j’ai relâché la bride".

Les entreprises qui font appel à ces services s’y retrouvent-elles financièrement ? "Il est évident que l’intérêt est nul sur les arrêts de travail courts, poursuit le DRH, mais l’impact psychologique n’est pas négligeable. Les salariés parlent entre eux dans les ateliers. D’avoir été contrôlé, ça dissuade", se convainc-t-il. "Et puis quand j’ai un pic d’absentéisme, il faut que je fasse quelque chose, sinon c’est à moi qu’on peut le reprocher".

Effet placebo pour entreprises en mal d’action, ou réelle efficacité contre les abus, les sociétés de prestation, elles, font leur beurre. Créée en 2003, Médivérif est la plus récente société parmi la dizaine qui se partage le marché. "En fouinant, j’ai découvert ce créneau, porteur, quasiment pas concurrentiel, et en pleine expansion. Nous avons monté un réseau de 2000 médecins qui nous permet d’être réactifs très rapidement", explique Stéphan Pierantoni. Aujourd’hui, avec 50 contrôles par jour en France, c’est le jackpot. "Les médecins sont payés entre 40 et 90 euros le contrôle, en fonction de leur spécialité. Nous, on a un tarif fixe de 50 euros, sans adhésion". Les entreprises versent donc de 90 à 140 euros par contrôle, et Mediverif réalise 2500 euros de chiffre d’affaires quotidien, en moyenne.

Quid de la déontologie ?

Facile donc, et lucratif. "Nous ne sommes pas là pour fliquer, mais pour faire jaillir la vérité", martèle Stéphan Pierantoni. Subtile nuance. "Mais nous ne sommes pas des juristes ! Les entreprises doivent savoir quand nous mandater, puisqu’elles possèdent des services juridiques, nous offrons uniquement une prestation avec compte-rendu" souligne-t-il. "Pas d’accord", rétorque Maître Eric Rocheblave. Selon cet avocat en droit social, "il faut vérifier si la contre-visite est légale, la société de prestation et le médecin ont un devoir de conseil. Or, ce n’est pas toujours le cas. C’est la règle du pas vu pas pris qui domine". Les entreprises qui veulent effectuer un contrôle médical avant versement de toute compensation salariale sont, d’après lui, dans l’illégalité. En fait, certaines sociétés font preuve de davantage de rigueur juridique que d’autres. "Quand une entreprise m’indique l’heure à laquelle je dois coincer le salarié, je réponds : hors de question !", insiste Sophie Roc de Sécurex. "Nous sommes en devoir de fournir un mode d’emploi juridique", plaide une responsable de Medicaeurope. Et de renvoyer à la lecture scrupuleuse des conventions collectives.

Côté médecin, l’affaire là encore est rentable. Jean-Luc Grelot, qui exerce à Aubagne (Bouches-du-Rhône), consacre 25% de ses journées aux contre-visites. "Deux contre-visites me rapportent autant que cinq au tarif Sécu !". Il pratique la contre-visite médicale depuis 10 ans, sans aucun tabou, et espère à terme en faire beaucoup plus. "Ca m’évite de vouloir à tout prix faire du chiffre dans mon cabinet".

Artifice comptable

La Cnam estime à 6% la part des arrêts abusifs quand les sociétés de prestation - marketing oblige - en dénombrent 48%. La différence s’explique par une simple comptabilité statistique. Les salariés absents de leur domicile en dehors des horaires de sortie autorisés par la Sécurité Sociale, sont considérés comme "abusant du système", y compris lorsqu’ils ignorent cette obligation. Les deux tiers des arrêts injustifiés et comptabilisés par Securex correspondent en fait à ces absences. Le nombre d’arrêts abusifs après constatation médicale, sans tenir compte des absences tourne bien autour de 8%... Un chiffre proche de celui avancé par la CNAM. Les bénéfices des sociétés de prestation doivent faire pâlir d’envie ceux qui s’acharnent à réduire le déficit de la Sécu.

Article lié :
92 à 94% des arrêts de travail sont justifiés


AUTRES IMAGES

JPEG - 48.5 ko
400 x 235 pixels

JPEG - 48.1 ko
400 x 235 pixels