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Le principe de précaution, ça commence à bien faire ?
mardi, 20 avril 2010 / Arnaud Gossement /

Avocat, spécialiste du droit de l’environnement.

- Par Arnaud Gossement, avocat, docteur en droit et Maître de conférences à Sciences Po.

Une fois de plus, le principe de précaution est mis en accusation : c’est à cause de lui que les avions sont cloués au sol depuis qu’un volcan islandais est entré en éruption, émettant ainsi un nuage de cendres dans l’espace aérien européen. C’était déjà à cause de lui, hier, que la ministre de la Santé voulait vacciner tout le monde contre le virus de la grippe A ou que le préfet de Vendée interdisait aux habitants sinistrés par la tempête Xynthia de regagner leurs demeures.

Accusé de tous les maux, le principe de précaution aurait dérivé en « précautionnisme » selon Gérald Bronner, professeur de sociologie, dans un entretien accordé ce matin à Libération. Il s’agirait d’une nouvelle forme de populisme qui alimenterait un climat anxiogène. Pire, le principe de précaution serait la manifestation d’une idéologie qui condamnerait le mode de vie occidental. Diable. Ce n’est pas la première fois que le principe de précaution sert de bouc émissaire et est ainsi attaqué. La Commission sur la libération de la croissance présidée par Jacques Attali avait déjà proposé que le principe de précaution soit retranché de la Constitution. Nombre de climato-sceptiques ont également relayé la vindicte de certains lobbys industriels contre ce principe.

Ce procès en sorcellerie du principe de précaution est il justifié ? Non. Et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si les mots ont un sens, il faut souligner que le principe de précaution, tel qu’inscrit en droit, s’applique à des situations bien particulières, marquées par l’incertitude scientifique, dans lesquelles les experts ne parviennent ni à dégager un consensus, ni à éclairer le politique sur la décision à prendre. Le principe de précaution ordonne alors au politique d’agir sans attendre que des certitudes soient disponibles. La décision à prendre n’est pas nécessairement une mesure d’interdiction. Sur ce point, le principe de précaution encourage la recherche scientifique pour sortir de l’incertitude et le débat démocratique pour que la décision soit la plus collégiale possible. Le principe de précaution est le contraire de l’obscurantisme et représente au contraire un appel à l’intelligence, à une pensée de la complexité.

S’agissant de la grippe A, de la tempête Xynthia ou des avions cloués au sol, c’est le principe de prévention et non de précaution qui trouve à s’appliquer. Est-ce jouer sur les mots ? Non, car les opposants au principe de précaution profitent manifestement de cette confusion sémantique pour tenter d’achever leur bête noire. C’est pourtant faire beaucoup d’honneur à un principe d’application très rare, notamment devant les tribunaux. Dommage, car l’application anticipée du principe de précaution aurait peut-être permis de prévenir certains drames comme celui lié à l’exposition aux fibres d’amiante.

En réalité, le vrai débat est celui de la culture du risque de notre société. Force est de constater que nos gouvernants sont rendus destinataires de demandes contradictoires. Ceux-ci doivent rechercher le risque zéro sans jamais toucher à notre confort. Protéger les passagers, oui. M’interdire de prendre l’avion, non. Par ailleurs, notre société est également plus sensible à certains risques plutôt qu’à d’autres. Dans ce contexte, la vraie question est celle de notre approche collective, parfois irrationnelle, du risque et la bonne réponse n’est pas la suppression du principe de précaution. Repenser les outils d’aide à la décision, réformer les processus de décision, prendre du temps pour mieux écrire la règle de droit… Voilà autant de défis bien plus urgents à relever que la diabolisation du principe de précaution.

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