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Paul Quilès : « Que la France accepte la perspective d’un monde sans arme nucléaire »
mardi, 13 avril 2010 / Julien Kostrèche

Alors que le sommet de Washington sur la sécurité nucléaire s’achève, l’ancien ministre socialiste de la Défense, signataire d’une pétition qui demande l’élimination totale des armes nucléaires, revient sur la position des puissances en place, à commencer par celle de la France.

Terra eco : Nicolas Sarkozy a annoncé qu’il ne renoncerait pas à l’arme nucléaire, « garante de la sécurité de la France ». Qu’en pensez-vous ?

Paul Quilès : « Je me suis déjà prononcé sur ce sujet, y compris lorsque j’étais ministre de la Défense, et je constate que le discours officiel n’a pas évolué depuis, alors que la situation internationale a bien changé. Nous ne sommes plus dans un affrontement entre deux blocs qui pourrait déraper. Le risque vient plutôt aujourd’hui d’une utilisation frauduleuse de l’arme nucléaire, à des fins terroristes par exemple. Les deux piliers de l’argumentation française - que sont d’une part l’indépendance nationale et d’autre part l’autonomie de décision – tombent dans le contexte actuel. Ces arguments valaient dans le cas d’un agression massive, aujourd’hui improbable, qui pouvait justifier une riposte nucléaire de la France. Je connais assez bien les militaires et les experts stratégiques : ils ne veulent pas revoir à la baisse les armements nucléaires car ils restent bloqués sur une doctrine ancienne. »

Pourquoi ce blocage français ?

« Si on a une réduction des arsenaux et un engagement de non-prolifération entre les puissances nucléaires, pourquoi la France ne participerait pas ? La France a tort de soutenir que le problème c’est la prolifération nucléaire et pas la détention d’armes, car c’est mal lire le traité de non-prolifération (qui doit être réexaminé début mai, ndlr) dans lequel ces questions sont étroitement liées. La France continue de résister à la fois pour maintenir le nombre de ses armes, mais aussi pour se donner la possibilité de les moderniser, et disons-le clairement, pour mettre au point un missile [1] capable d’atteindre la Chine, car c’est de cela dont il s’agit. Le problème, c’est que cette position française fournit un argument de chantage aux pays du seuil, qui sont sur le point d’acquérir l’arme nucléaire : "si la France s’équipe de nouvelles armes atomiques, pourquoi pas nous ?", disent-ils. »

Comment jugez-vous l’action de Barack Obama qui semble vouloir opérer un changement de cap, de doctrine sur l’arme nucléaire ?

« Même si l’accord Start 2, que les États-Unis viennent de signer avec la Russie, ne va pas conduire à une grande réduction des arsenaux, l’attitude d’Obama est positive et elle peut ouvrir des perspectives. A condition que tout le monde joue le jeu. Toutefois, Obama ne peut pas aller aussi loin qu’il le voudrait, car il y a un blocage institutionnel sur cette question - comme sur bien d’autres - du côté des sénateurs républicains. Pourtant les sujets d’inquiétude ne manquent pas pour les États-Unis. A commencer par l’Iran. Mais il y aussi le Pakistan, plus grand pays musulman du monde, sous perfusion américaine, qui possède l’arme atomique et dont ont peut craindre qu’elle ne tombe un jour entre de mauvaises mains. Mais aussi Israël - dont on parle moins - elle aussi puissance nucléaire non reconnue comme telle, qui peut donner des idées à bien d’autres si on ne dénucléarise pas rapidement le Moyen-Orient. »

Concernant l’Iran, de quels moyens dispose réellement la communauté internationale pour empêcher ce pays d’acquérir l’arme atomique ?

« C’est un jeu diplomatique compliqué. Il faut dire que la Chine, en particulier, et la Russie ont joué leur propre partition. Les Russes peuvent évoluer sur la question iranienne, et je suis sûr qu’elle est au menu des rencontres entre Medvedev et Obama. Les pressions économiques sur l’Iran peuvent constituer un moyen efficace. Seront-elles suffisantes ? En tout cas la Chine ne les a pas suffisamment exercées. »

On a le sentiment que l’enjeu du désarmement, peu médiatisé, ne mobilise pas les foules. Pensez-vous sincèrement qu’on arrivera un jour au « zéro arme nucléaire » ?

« C’est vrai que la question est peu ou mal médiatisée. Dans le journal de Pujadas sur France 2 l’autre fois, c’était la question internet du jour : "pensez-vous que l’on puisse se passer de l’arme atomique ?". Franchement, qu’est-ce que ça veut dire ? Cela n’a aucun sens de poser cette question ainsi, si on ne rappelle pas ce qu’elle a été et quel danger elle constitue encore aujourd’hui ! Pour vous répondre sur le « zéro arme nucléaire », je serais un charlatan si je vous disais que oui, on peut supprimer tout l’arsenal d’ici 5 ans. C’est évidemment un processus complexe, ne serait-ce que si l’on considère les difficultés de la Russie, dont l’arsenal a été éparpillé et a connu des fuites. Mais la suppression est un objectif vers lequel il faut tendre, et pas dans un siècle. J’aimerais déjà entendre de la France qu’elle accepte la perspective d’un monde sans arme nucléaire. »

- La pétition de l’Ican sur le désarmement nucléaire
- Le blog de Paul Quilès
- Photo : © Philippe Grangeaud / Solfé communications