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On a passé à la calculette… le « vol vert » d’Air France
mardi, 13 avril 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Le cahier recyclé, l’ampoule écolo, la voiture électrique, vous connaissiez. Mais pas encore la recette pour prendre l’avion sans plomber votre ardoise environnementale. C’est là qu’Air France dégaine son « vol vert ». Grosso modo, un pilotage tout doux pour une consommation mini. Mais la mesure permettra-t-elle de baisser les émissions d’un secteur voué à croître ? C’est le moment de sortir la calculette de « Terra eco ».

Mardi 6 avril. Air France lance au-dessus de l’océan son premier « vol vert » entre Paris et Miami. En langage de terrien, ça veut dire un Boeing 747 à la trajectoire ajustée en temps réel et piloté d’une main de velours. Objectif ? Éviter tout gaspillage. Pour y parvenir, les experts de la compagnie ont attaqué le nez à fleur de piste.

Rien qu’en roulant, le gourmand 747 grille en effet 50 kg de kérosène par minute. Pour lui serrer la ceinture, « on limite le temps d’attente passé sur la piste tous moteurs allumés pour le reporter sur le temps passé au parking, à l’arrêt », explique Laurent Renou, l’un des responsables du programme. Et ce, grâce à une estimation plus précise de l’heure de décollage. Pour alléger encore l’ardoise, on n’allume plus que deux des quatre moteurs de l’appareil lors de son passage en piste.

Un avion qui évite les feux rouges

On demande ensuite au pilote de grimper - et de descendre - de façon continue et non plus par paliers. « C’est un peu comme une voiture. A chaque feu rouge, la voiture ralentit et accélère. Si on évite les feux rouges, la voiture consomme moins », résume Laurent Renou. Même principe une fois l’avion perché dans les airs. Alors qu’il grignote ses réserves, l’appareil se fait plus léger et doit adapter son altitude pour optimiser sa consommation de carburant. Un avion lambda change d’altitude toutes les deux heures. En vol vert, il épouse une courbe régulière.

S’il suit tous ces petits « trucs » , un avion rejoignant la côte Est des États-Unis devrait consommer 2 à 3 tonnes de carburant en moins, assure Air France. Et donc épargner à l’atmosphère 6 à 9 tonnes de CO2. On applaudit… avant de se gratter la tête. 6 à 9 tonnes, est-ce vraiment beaucoup ? C’est le moment – tant attendu – de ressortir notre bonne vieille calculette. Un Paris-Miami, Air France en affrète un par jour. Deux, si l’on compte le vol retour (c’est fâcheux, mais la majorité des touristes a tendance à revenir de vacances…). 730 avions relient donc les deux villes tous les ans. Puisqu’un vol envoie dans l’air 890 tonnes de CO2, les virées annuelles vers la Floride (et retour) exhalent près de 650 000 tonnes du vilain gaz. Avec sa nouvelle recette, Air France pourrait, au mieux, réduire l’addition à 643 000 tonnes par an.

La crise a affecté la tendance au « toujours plus »

Le compte est bon ? Oui. Sauf que le nombre de vols n’a pas vraiment tendance à baisser… Certes sur la liaison Paris-Miami, la compagnie insiste : aucun vol supplémentaire n’est prévu pour le moment. Mais plus tard ? Mystère. A moins de se fier à un rapport de 2007 de l’Organisation de l’aviation civile internationale. Selon celui-ci, le trafic aérien devrait augmenter de 3,6% par an ces 15 prochaines années. Certes, la crise a un peu affecté la tendance au « toujours plus », mais dégainons une fois de plus notre calculette (elle est solaire, on peut se le permettre) : en appliquant la hausse aux vols Paris-Miami, et en imaginant qu’ils soient tous verts, on se retrouve tout de même avec une ardoise de plus de 767 000 tonnes de CO2 envoyés dans l’atmosphère en 2015 (on vous épargne les multiplications mais on tient notre carnet à votre disposition).

Évidemment me direz-vous, le vol vert n’est pas l’unique solution. Pour émettre moins de gaz à effet de serre, Air France entend bien rendre ses avions moins gloutons. Et réduire le poids des équipements à bord. Mais cela suffira-t-il à absorber l’impact de voyageurs toujours plus nombreux ? « C’est vrai que les chiffres prévoient une augmentation du trafic mais notre but, c’est que le secteur ne sorte pas de son enveloppe actuelle, soit 2 à 3 % des émissions globales. C’est ce qu’on va essayer de faire », ajoute Laurent Renou. En clair, le secteur entend transporter toujours plus de passagers sans peser plus sur l’environnement. Sans peser moins non plus. Mais après tout, peut-on demander à une compagnie aérienne de clouer ses avions au sol ? Et si c’était aux voyageurs de moins voyager ?

- Les prévisions de l’OACI
- Le vol vert d’Air France
- Photo : Ph. Delafosse/Air France