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Bruxelles douche la taxe carbone aux frontières
mercredi, 7 avril 2010 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Taxer le carbone aux frontières de l’UE avant de faire de même dans l’Hexagone ? Trop lourd administrativement, complexe et surtout source potentielle de conflits commerciaux répond la Commission Européenne.

Pour faire passer la pilule de l’abandon de la taxe carbone, Nicolas Sarkozy avait joué la carte de la "concurrence déloyale et du dumping qui menace nos emplois". Carte maîtresse en temps de crise. Pour protéger la compétitivité tricolore, il avait donc posé comme préalable que l’Europe fasse de même à nos frontières.

Sauf que dans un document de travail faisant le point sur les différentes possibilités en matière de financements innovants (taxes sur les transactions financières, sur les transports aériens, etc.), la Commission européenne voit "un nombre considérable d’inconvénients" à cette taxe carbone. Suffisamment pour qu’il soit justifier de la laisser au placard et en tout cas de quoi fournir au gouvernement un argument - ou un alibi, c’est selon - pour faire de même.

Possibles représailles

Que lui reproche-t-on au juste ? Le premier hic concerne la compatibilité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le problème n’est pas insurmontable, comme l’a montré celle-ci dans un rapport avec le Programme des Nations Unies pour l’Environnement. Mais "quelle que soit la forme choisie, cela pourrait risquer de mener à des conflits commerciaux et à de possibles mesures de représailles", prévient la Commission. Bruxelles craint-elle que la mesure torpille des négociations climatiques internationales déjà compliquées ?

Une fois passés les problèmes juridiques et diplomatiques, il faut aussi s’attendre à ce que "les coûts administratifs soient très élevés puisque la taxe doit varier en fonction des émissions contenues dans les produits". En clair : combien ce jean ou cette poupée contiennent-ils de CO2 ? La France, qui traîne à mettre en place une étiquette carbone doit en savoir quelque chose sur les difficultés de la tâche. Ajoutez à cela les abattements nécessaires selon Bruxelles pour les importations de biens intermédiaires (par exemple l’aluminium chinois de votre vélo produit en France) et les exportations européennes, et vous obtenez... une usine à gaz.

D’autres pistes privilégiées

Que faire alors ? "L’approche actuelle est d’allouer gratuitement les quotas d’émissions de l’EU-ETS [le marché du carbone européen] aux secteurs très consommateurs d’énergie", explique le document. Dans son rapport sur le sujet, la sénatrice UMP Fabienne Keller propose au contraire que pour ces secteurs les entreprises étrangères soient incluses dans le marché. Mais dans les deux cas, il n’y a plus de rapport avec la taxe carbone : son but était de toute façon de s’occuper des parties non couvertes par le marché, qui ne concerne que les plus gros émetteurs comme les cimenteries ou les centrales électriques.

Ce qui ne veut pas dire que celle-ci est inutile. La Commission estime même qu’un "cadre européen" en la matière simplifierait les choses. Car les fuites de carbones ne sont pas possibles qu’entre la Chine et la France : quand en Suède la tonne coûte 108 euros, les entreprises danoises ou finlandaises la paient respectivement 20 et 12 euros. Et en France rien du tout...

L’Europe travaille sur le sujet, l’Irlande la met en place cette année et la Belgique semble prête à sauter le pas. "Cela me semble un peu frileux", a d’ailleurs lancé le secrétaire d’État belge à la fiscalité verte en réaction au recul de la France.

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