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Le tête-à-queue de la taxe carbone
vendredi, 26 mars 2010 / Corinne Lepage /

Avocate, ancien Ministre de l’Environnement, Présidente de Cap21.

Pour Corinne Lepage, le recul du chef de l’Etat sur la taxe carbone marque la fin de l’esprit du Grenelle et l’abandon d’une véritable reconversion de l’industrie française vers l’économie verte.

« Le tête-à-queue » de la taxe carbone appelle trois séries d’observations.

La moins importante sur le fond est l’observation de nature politique. Le Président de la République a manifestement décidé, après sa saillie sur l’environnement au Salon de l’Agriculture - « ça commence à bien à faire » - de changer son fusil d’épaule et d’abandonner la « posture écologique » destinée, dans son esprit, non pas à transformer la société française mais à s’allouer les bonnes grâces des écologistes.

Le résultat électoral des dernières régionales n’ayant pas été au niveau de ses attentes, Nicolas Sarkozy a décidé d’abandonner cette voie pour en revenir à ses fondamentaux et en particulier la satisfaction des demandes exprimées par le Medef et relayées par l’UMP, qui dans son immense majorité est totalement allergique à l’écologie politique.

La seconde observation est de nature économique. L’abandon de la taxe carbone signe l’abandon de l’esquisse d’évolution vers une économie verte.

Par rapport aux autres économies européennes, la France possède l’une des fiscalités vertes les plus faibles (mais la fiscalité tout court n’y est pas légère). L’abandon de toute velléité de créer une taxe carbone au motif qu’elle pourrait nuire à la compétitivité de l’industrie française - alors même que huit pays en Europe disposent d’une taxe de cette nature ! - cache en réalité le choix définitif de l’ère sarkozienne en faveur d’une industrie du XXe siècle, au détriment d’une industrie du XXIe.

Quand on rapproche cette décision de la volonté d’anéantissement de l’industrie éolienne - traduite par la démission de Philippe Plisson, le co-président socialiste de la mission parlementaire sur le sujet - et du coup d’arrêt donné à l’essor de l’énergie photovoltaïque - alors que la France aurait pu atteindre bien avant 2020 les objectifs du Grenelle mais aussi développer une filière nationale du secteur -, on comprend que ce choix exprime la résolution prise au plus haut niveau de tout miser sur le nucléaire, sur la centralisation énergétique et les industries du siècle dernier qui vont avec. L’abandon de la taxe carbone n’est qu’une nouvelle illustration de cette politique.

Enfin, l’affaire de la taxe carbone démontre, s’il en était besoin, les faux-semblants dans lesquels nous vivons. Présenté comme une réforme majeure, aussi importante que la suppression de la peine de mort, la taxe carbone est reléguée aux oubliettes sous le prétexte qu’il faut d’abord que l’Europe se décide.

Mais ce scénario a bien peu de chances de se produire. Il faudrait d’abord que les 27 pays de l’Union européenne adoptent le principe d’une taxe carbone comme élément de fiscalité interne. Or chacun sait que la fiscalité est un des rares domaines dans lequel la règle de l’unanimité est restée applicable. Et quand bien même tous les pays auraient une telle volonté, la négociation serait de très longue durée.

Il faudrait ensuite instaurer une taxe carbone aux frontières, projet qui effectivement fait l’objet d’un débat tant au Conseil qu’au Parlement Européen sans qu’aucune majorité n’existe aujourd’hui en ce sens.

En l’absence d’un tel consensus, la question est donc renvoyée aux calendes grecques, ce qui met en réalité en difficulté toute l’industrie française qui, en dehors des très grandes installations qui aujourd’hui bénéficient d’une rente grâce aux quotas gratuits, aurait eu beaucoup à gagner en achetant des produits venus de l’extérieur et qui auraient payé la taxe carbone.

Cet abandon en rase campagne signe non seulement la fin de l’esprit du Grenelle mais surtout l’abandon d’une véritable reconversion de l’industrie française vers l’économie verte.