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Taxe carbone : “Les cancres ont eu le dernier mot”
jeudi, 25 mars 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Le gouvernement renvoie la taxe carbone au panier. Raison invoquée ? Une dîme franco-française menacerait la compétitivité des entreprises et risquerait de plomber l’économie en ces temps de crise. Mais éviter de payer maintenant, c’est se condamner à payer davantage plus tard, soutient Jean-Marc Jancovici, ingénieur et spécialiste des questions d’énergie.

Terra eco : Le gouvernement enterre la taxe carbone. C’est une mauvaise nouvelle pour l’environnement mais, selon vous, c’est aussi une mauvaise tactique économique...

Jean-Marc Jancovici : Oui. Cette taxe - quel nom horrible ! - doit être vue comme une prime d’assurance. Or jamais personne n’a proposé de supprimer les primes d’assurance au nom de la défense du pouvoir d’achat. Après tout, quand on prend une assurance, on n’est pas sûr que sa maison va brûler. Mais c’est quand même mieux de payer un peu aujourd’hui pour éviter de payer trop plus tard. Pour la taxe carbone, c’est la même chose : elle doit nous aider à changer nos modes de production et de consommation à notre rythme avant que la nature n’impose cette évolution à marche forcée. Sans changement volontaire, nous serons confrontés à de difficiles récessions. Sans pour autant parvenir à préserver notre pouvoir d’achat.

La production mondiale de pétrole est désormais à son maximum historique. Pour les Européens, la quantité de pétrole disponible va donc très rapidement décliner. Or le prix du pétrole détermine l’économie bien plus fortement que ne le font les décisions de l’Elysée et Matignon. Nous “désintoxiquer” des hydrocarbures est donc une urgence absolue, et la seule manière d’y arriver est de jouer sur leur prix. Les élus, le Conseil constitutionnel, le Medef et les journalistes qui professent le contraire n’ont rien compris aux enjeux. L’abandon de la taxe carbone est une victoire de l’ignorance. Pour l’enseignant que je suis, c’est triste de voir que les cancres ont eu le dernier mot.

T.E. : Comment en sommes nous arrivés là ?

J.-M.J. : Depuis les deux chocs pétroliers de 74 et 79, nous avons créé la vie à crédit. L’objectif était de tenter de maintenir une croissance économique dans un contexte où les flux physiques ne pouvaient plus continuer comme avant. Or, en vendant aujourd’hui des produits qui ne seront fabriqués que demain, nous créons une croissance “artificielle” mais nous créons aussi de la dette. Pour expliquer la crise d’aujourd’hui, on dit que les banquiers se sont conduits comme des abrutis. Mais c’est surtout qu’ils font partie d’un système qui les dépassent et auquel nous avons tous participé. Nous avons construit une montagne de dettes parce que nous n’avons pas accepté la limite physique à la production quand il était temps.

Et, désormais, le plus dur est devant nous. La production mondiale de pétrole va commencer à baisser d’ici dix ans, et sans plan d’urgence nous allons enchaîner les récessions, à chaque fois dans un contexte où le chômage créé par la précédente crise n’aura pas encore eu le temps d’être absorbé. Je vous laisse imaginer la facilité à gérer la situation… Et que proposent le Conseil constitutionnel, le gouvernement et le Medef ? D’aller se cogner la tête encore plus vite contre le mur !

T.E. : Mais pourquoi le gouvernement préfère-t-il néanmoins rebouter la taxe carbone ?

J.-M.J. : Parce que, même si cette idée peut sembler monstrueusement prétentieuse, à quelques exceptions près nos élus, nos ministres, les magistrats du Conseil constitutionnel et la patronne du Medef sont des ignorants en matière d’énergie. Il est physiquement impossible de les asseoir quatre heures dans une salle de classe et de leur faire un condensé de ce qui est désormais appris par une fraction croissante de nos ingénieurs et compris par une fraction croissante des dirigeants d’entreprises industrielles. Ils n’ont aucune idée de la dépendance des indicateurs économiques classiques - dont le PIB - aux ressources naturelles, dont les hydrocarbures.

Ils croient qu’ils continuent d’évoluer dans le monde infini. Ils fonctionnent avec des réflexes acquis il y a 30 ans et qui sont devenus dangereux aujourd’hui. Je regrette que les médias comme les mouvements environnementalistes aient quasi-exclusivement insisté sur l’aspect climatique au détriment de l’aspect dépendance aux hydrocarbures importés. L’un n’exclut pas l’autre, au contraire : les échéances pour l’action et les mesures à prendre (augmenter le prix de l’énergie, se reposer de manière croissante sur le nucléaire et les renouvelables) sont essentiellement les mêmes. Mais la sanction en cas d’inaction ne se situe pas à la même échéance : pour la menace climatique on parle de décennies. Pour la dépendance aux hydrocarbures, cela nous a déjà coûté 500.000 chômeurs. Il serait temps de le comprendre.

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- Photo : Jérome Panconi