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La taxe carbone expliquée à mon fils
mardi, 23 mars 2010 / Walter Bouvais /

Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net

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Viens mon fils. Je vais t’expliquer ce qu’aurait pu être une taxe carbone, si nos politiques avaient été visionnaires.

Dans la vie, mon fils, il y a la politique et la science. La politique c’est important, même si cela consiste parfois à dire très fort des choses pas trop vraies. La science aussi c’est important, car cela consiste souvent à expliquer des choses vraies, malheureusement sans forcément les dire assez fort.

Rien n’interdit en principe à la politique de prétendre que nous aurons du pétrole pour les dix siècles à venir et que, dans ces conditions, notre « modèle » de civilisation droguée au pétrole a encore de beaux jours devant lui. Rien n’interdit à la politique de dire que tout le monde a le droit d’utiliser du pétrole pour aller au travail et qu’il faut garantir ce droit à tout jamais. Cela se nomme la liberté : celle de penser, de croire et d’exprimer. Quitte à dire très fort des choses pas complètement vraies.

De son côté, la science nous dit que nous avons sous les pieds une quantité limitée de pétrole et que celle-ci ne suffirait pas à satisfaire l’appétit des machines qui tournent dans nos usines. La science dit aussi que si toutefois il nous venait l’idée d’extraire tout le pétrole qui dort sous terre pour faire tourner les machines jusqu’à plus soif, alors les rejets de gaz à effet de serre issus de cette opération provoqueraient une telle cascade d’ennuis écologiques que le ciel nous tomberait à coup sûr sur le coin du nez, et expédierait l’humanité au cimetière à relativement brève échéance.

Rien n’interdit en principe à la politique de dire que la taxe carbone va embêter les usines et coûter de l’argent aux personnes pauvres. C’est sûrement vrai. Cela revient à dire qu’il ne faut pas faire payer le carbone plus cher, car les usines en ont trop besoin pour faire tourner leur machines et les pauvres en ont trop besoin pour manger. Comme on n’a pas trop réfléchi à la question, il suffit donc de dire très fort aux usines et aux pauvres qu’on continuera de leur fournir leur dose de carbone, même si l’on sait que l’on n’y arrivera pas. C’est plus facile que d’essayer de les inciter à vivre sans et puis, parfois, il vaut mieux remettre au lendemain ce qu’on pourrait faire le jour même.

Mais revenons à notre raisonnement : la science, j’insiste, nous dit que le carbone se trouve en quantité limitée sous nos pieds et que, de toute façon, mieux vaut qu’il y reste car si nous l’envoyons au-dessus de nos têtes alors cela nous retombera sur le coin du nez. Et si ce jour arrive, les plus pauvres auront sur les bras des automobiles qui ne vaudront plus un clou et des maisons dont personne ne voudra. Heureusement, ils n’auront plus besoin de voiture pour aller au travail puisqu’il n’y aura plus de travail. En effet, les machines des usines seront arrêtées puisqu’il n’y aura plus de carbone pour les faire tourner.

La science nous dit que, ce jour-là, les pauvres deviendront encore plus pauvres. Elle nous dit aussi qu’ils auront du mal à manger et que, s’il leur reste un peu de mémoire, ils auront beaucoup de mal à digérer ce que la politique d’avant leur avait fait avaler. On peut raisonnablement penser que, ce jour-là, les pauvres seront très en colère contre la politique. Comme ils n’auront plus rien à perdre, on peut même imaginer que, pour se changer les idées, ils s’intéresseront à une politique très différente de celle d’avant : une politique qui dirait très très fort des choses pas vraies du tout.

La science nous dit – mais ce n’est pas complètement sûr – que, ce jour-là, les riches pourraient, de leur côté, s’acheter des voitures électriques et garnir leur toiture de panneaux solaires. Pour continuer à déguster des mets succulents sans être dérangés par le tintamarre dû à la colère des pauvres, les riches pourraient aussi faire construire de grands murs infranchissables et demander à la politique de bien veiller à ce qu’aucun pauvre ne les escalade.

Mais la science nous dit aussi que ce jour-là, il faudra que des entreprises aient quand même pensé à s’équiper de machines qui fabriqueraient des murs infranchissables, des mets succulents, des panneaux solaires et des voitures électriques sans consommer de carbone. Malheureusement, la science parle moins fort que la politique.

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