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Quand le prix de l’eau pousse au gaspi
lundi, 22 mars 2010 / Julien Vinzent /

Journaliste, collaborateur régulier pour Terra eco.

Le thème de la Journée mondiale de l’eau de cette année est la qualité, enjeu crucial dans de nombreux pays. Mais côté quantité, la France a encore du boulot avec un système qui n’incite pas forcément à l’économie.

Quel est le prix d’1 m3 d’eau ? 64% des Français sont incapables de répondre à cette question. Et pour cause : contrairement à l’électricité, dont un kilowatt-heure vaut le même prix à Paris ou à Bagnères-de-Bigorre, l’eau compte presque autant de tarifs qu’il y a de communes dans l’Hexagone. Logique : "la proximité des réserves d’eau, les conditions d’acheminement, de stockage et de distribution de l’eau ainsi que sa potabilisation sont très différentes d’une commune à l’autre", justifie sur son site la Société des Eaux de Marseille (SEM).

Ce qui n’explique pas une autre spécificité : "si à Marseille la facture ne dépend que de votre consommation, dans certaines communes vous pouvez payer 100 euros par an sans utiliser la moindre goutte", regrette Stéphane Bernhard, chargé de mission environnement pour Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV). "Nous sommes opposés à cette part fixe qui aboutit à des charges incompressibles. Si vous ajoutez les autres abonnements pour l’internet, la télévision, le gaz, l’assurance du logement, vous arrivez dans l’année à environ à un mois de SMIC". De même, la Coordination Eau Île-de-France défend"une première tranche gratuite, qui correspond à un besoin vital incompressible de chaque être humain", explique son président Jean-Claude Oliva. Il rappelle que ce poste peut parfois atteindre 9% du budget des ménages les plus modestes.

La chasse aux gros consommateurs

Mais le système ne pose pas des problèmes qu’aux porte-monnaie. Car le prix moyen du m3 diminue d’autant plus que la part fixe est amortie par une consommation élevée. Pas l’idéal pour réduire le gaspillage... Dans le cadre de son Agenda 21, la petite ville du Sequestre a donc modifié en deux temps son système. "Il y a 5 ans, on a supprimé l’abonnement et doublé le prix du m3 de 15 à 30 centimes [1]. On a calculé que cela équilibrait le budget tout en faisant baisser 80% des factures", explique Gérard Poujade, maire de la petite commune tarnaise.

Puis en 2009 Le Sequestre est passée au tarif progressif : de 0 à 30 m3, vous ne payez rien, puis cela augmente par palier jusqu’à 70 centimes pour une consommation de 200 m3", détaille l’élu. Il est un peu tôt pour chiffrer la baisse de la consommation, même si une première tendance apparaît clairement, mais "ce qui est spectaculaire, c’est le nombre de dispositifs de récupération d’eau de pluie dans les jardins. Les inspecteurs des villages fleuris m’ont dit qu’ils n’avaient jamais vu ça", s’enthousiasme le maire.

Mais cela ne risque-t-il pas de plomber les factures des plus modestes ? "Ceux qui consomment plus sont ceux qui lavent leur voiture, arrosent leur pelouse, remplissent leur piscine. Ce ne sont donc pas des locataires de HLM", glisse Nicolas Tisseau, adjoint au maire de Toulouse chargé de la gestion des services publics, qui réfléchit à transposer le système.

Solution marginale

Parfait. Sauf qu’en 2004 seulement 3% des communes, en général des grandes villes, pratiquaient un tarif sans part fixe. La loi sur l’eau de 2006 a bien tenté de la plafonner, mais comme le soulignait un rapport parlementaire deux ans plus tard, de nombreuses dérogations ont neutralisé l’initiative. Dans 36% des cas, des rabais sont même accordés aux gros consommateurs industriels ou institutionnels ! "L’idée est encore très marginale mais elle est en train de prendre de l’ampleur, assure Jean-Claude Oliva. A la suite d’une lettre envoyée par la Coordination Eau aux candidats aux régionales en Île-de-France, "Europe Ecologie, le Parti de gauche et le NPA se sont clairement prononcés pour. De même qu’une partie du PS autour du mouvement Utopia [2]".

Mais de l’eau coulera encore sous les ponts avant de voir la tarification progressive se généralisée. "On en parle souvent avec les élus mais ils sont plutôt réfractaires à l’idée. Ils sont très attachés à la part fixe, car cela fait une rentrée d’argent prévisible", commente Stéphane Bernhard. Pour Marielle Montginoul, de l’unité mixte de recherche G-Eau de Montpellier, les tarifs dégressifs s’expliquent "par l’importance des coûts fixes dans la structure des coûts et le sur-dimensionnement des réseaux (décidé pour anticiper une augmentation de la demande en eau future ou au moins pour répondre aux variations saisonnières de la population)". En clair : les distributeurs d’eau cherchent à en vendre le maximum possible pour amortir leurs investissements. Une autre forme de logique.

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