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L’appel de Cohn-Bendit en questions
lundi, 22 mars 2010 / Arnaud Gossement /

Avocat, spécialiste du droit de l’environnement.

Par Arnaud Gossement, avocat, docteur en droit et Maître de conférences à Sciences Po.

22 mars : Daniel Cohn-Bendit lance un appel et pose beaucoup de questions

21 mars 20h : l’écologie disparaît des écrans. Sur les plateaux de télévision, les discours des responsables politiques de droite comme de gauche - à l’exception de celui de Ségolène Royal - ont évolué depuis la soirée électorale du premier tour : il n’est plus question ou presque d’écologie. 22 mars : Daniel Cohn-Bendit lance un appel pour que se structure une grande formation politique écologiste sous la forme d’une «  coopérative politique  ». Petite revue de quelques unes des nombreuses questions - passionnantes - que pose cet appel.

Le contexte : un nouveau «  quadrille bipolaire  »

L’appel de Daniel Cohn-Bendit s’inscrit dans un contexte bien précis. Les élections régionales ont en effet confirmé la pérennité du «  quadrille bipolaire  » bien connu des politologues et des constitutionnalistes, qui caractérise l‘organisation des partis politiques sous la Vème République. Le fonctionnement de nos institutions, le mode de scrutin majoritaire, la bipolarisation créée par l’élection présidentielle contribuent en effet à un clivage entre une droite et une gauche, chacune constituée de deux pôles partisans. La dynamique électorale d’Europe Ecologie n’a pas remis en cause l’existence de ce quadrille bipolaire organisé autour du PS et de l’UMP. Elle a cependant remis en cause l’organisation interne de la gauche, marquée par l’effacement de l’extrême gauche. Désormais, la gauche s’articule principalement entre le PS et Les Verts/Europe Ecologie. Dans ce contexte, l’appel du 22 mars tend-il à la création d’une formation politique de droite ou de gauche ? A lire le texte de l’appel, celui-ci s’adresse prioritairement aux militants de gauche et du centre. Une synthèse est ainsi tentée, au sein d’Europe Ecologie, entre ceux pour qui l’écologie dépasserait le clivage droite/gauche et ceux qui pensent le contraire. Intellectuellement, le clivage droite/gauche peut être écarté. Electoralement, pas encore. L’appel du 22 mars en tient compte semble-t-il.

L’objet : une «  coopérative politique  »

L’appel du 22 mars 2010 tend à la création d’une nouvelle «  coopérative politique  », destinée à «  produire du sens  » et dont l’organisation serait à mi chemin entre le parti politique et l’ONG. Le mode de constitution retenu est celui du bas vers le haut, de collectifs locaux vers une formation d’envergure nationale. Première observation : l’appel du 22 mars 2010 postule implicitement qu’il n’est pas possible d’entraîner la gauche dans une dynamique verte par la simple création d’un courant écologiste au sein du PS ou d’une grande fédération de gauche. Une formation autonome apparaît nécessaire à l’auteur de l’appel. L’expérience du «  pôle écologiste  » au sein du PS a sans doute été retenue. Elle ne marque cependant pas la fin de l’histoire puisque la Convention programmatique pilotée par Pierre Moscovici traite également d’écologie.

Deuxième observation : la liberté de création des auteurs de la «  coopérative politique  » sera nécessairement contrainte voire limitée par le système politique existant. Tout d’abord, cette «  coopérative  » aura bien une fonction de parti politique, soit gagner des élections et prétendre à l’exercice de responsabilités politiques. Ensuite, une formation politique est aussi fonction de son financement, ce dont manque Europe Ecologie aujourd’hui, à supposer de plus que les membres de cette dernière se rallient tous à l’appel de Daniel Cohn Bendit. Elle sera d’autant plus contrainte qu’elle ne procède pas d’une fusion entre Les Verts et Europe Ecologie mais prend le risque - sans doute calculé - de s’y superposer.

Dans l’hypothèse la meilleure, toutes les formations politiques écologistes actuelles acceptent de fusionner dans cette coopérative. Dans l’hypothèse du pire, les écologistes renouent avec le démon de la division. Daniel Cohn-Bendit a-t-il eu raison de prendre ce risque ? Sans doute. Car il fallait faire évoluer Europe Ecologie. De l’intérieur ou de l’extérieur ? L’appel du 22 mars, qui prévoit la création de nouveaux collectifs, semble privilégier cette seconde option, peut être la plus ambitieuse - dans l’espoir d’un rassemblement très large - mais aussi la plus compliquée.

Un défi : le long terme

Troisième observation, s’agissant de l’organisation interne de la coopérative politique, l’appel du 22 mars s’en remet surtout au débat. Faire référence aux ONG n’est pas suffisant tant ces dernières ont des modèles d’organisation très nombreux et très divers. Le concept de coopérative ne permettra peut-être pas de rompre avec une organisation type organe dirigeant/bureau/organe délibérant. Ce concept est toutefois intéressant pour prévenir la création d’un parti uniquement composé de candidats potentiels à des élections. Pour ce faire, dans la lignée des réflexions de Pierre Rosanvallon sur la myopie des démocraties, on peut imaginer une formation politique composée de l’attelage classique organe dirigeant/organe délibérant auquel s’ajouterait un organe du long terme, notion a fortiori utile dans un mouvement écologiste. Ce troisième organe, chargé notamment d’éclairer les deux premiers, ne serait pas qu’un simple think-tank, secrétariat sectoriel ou commission thématique. Il n’aurait pas pour seule vocation d’élaborer un programme à la veille de chaque élection.

Il garantirait plutôt une démocratie continue et territoriale. Il permettrait d’entretenir un réseau de partenaires et d’interlocuteurs : associatifs, syndicalistes, experts etc… Il serait également un réservoir de compétences. En effet, longtemps les écologistes n’ont pas été pris au sérieux par les cadres des autres formations politiques au motif principal qu’ils ne disposeraient pas en interne des compétences, notamment nécessaires à la direction de l’appareil d’Etat. Il leur serait donc interdit de prétendre à l’exercice de responsabilités politiques de haut niveau. Il leur manquerait ces jeunes gens diplômés qui composent les cabinets ministériels au lendemain des élections avant de composer les directoires des grands groupes industriels. L’organe d’idées précité serait aussi ce réservoir d’experts et de spécialistes capables de proposer autre chose qu’une simple gestion des affaires de la cité : un projet d’Etat et de société.

L’appel de Daniel Cohn-Bendit a déjà un mérite : celui de susciter la réflexion sur la meilleure manière pour les écologistes de porter un projet politique global et d’accéder aux responsabilités.