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Téléphonie : la méthode Tupperware
jeudi, 30 septembre 2004 / Rémy Geasse , / Tuplu (illustration)

ACN. Trois lettres pour All Communications Network. Cette entreprise américaine vend des minutes de téléphone et d’Internet - et bientôt de l’eau et de l’électricité - comme d’autres vendent des Tupperware. Par paquets. Et si tonton Bernard devenait mon client ?

"Mon travail me passionne-t-il vraiment ?" "Si je perdais mon job aujourd’hui, comment pourrais-je faire vivre ma famille ?" Angoisses métaphysiques ? Non. Plan global de communication de la société américaine ACN. Celle-ci revendique "une croissance annuelle de 40%, un chiffre d’affaires supérieur à 500 millions de dollars". Et décline une offre de services de télécommunications à prix réduit dans quinze pays. Sur le papier, l’idée est simple : des vendeurs indépendants proposent aux particuliers de souscrire des abonnements de téléphonie avantageux. Principal attrait du système, ces vendeurs fonctionnent par "niveaux de vente", sur le modèle parrain-filleul. Ainsi, "A" perçoit 6% des factures des communications de ses propres clients, mais également un pourcentage sur les factures des communications des clients de ses filleuls "B1", "B2" et "B3", ainsi que des filleuls de ses filleuls, "C1", "C2", etc. Ainsi de suite jusqu’au septième niveau. Plus on est haut-placé, plus on touche. Et inversement.

Niveau moins 7. Tout le monde descend !

La législation française interdit l’organisation des ventes par marketing pyramidal. Un tribunal canadien, durant l’été, a rejeté cette accusation concernant l’entreprise ACN. Selon lui, l’arrêt au septième niveau ne prouve pas qu’ACN relève d’un tel système. Pyramidal ou pas, le mode de fonctionnement d’ACN laisse songeur. La société communique peu, voire pas du tout, hormis lors de grands raouts organisés dans des hôtels de luxe. Les nouveaux revendeurs potentiels y assistent à la présentation d’un monde nouveau, doré, dans lequel leur quotidien sera repeint en rose grâce aux revenus générés par cette activité de travailleur indépendant.

Contactée par Terra economica, la seule personne accessible en France au nom d’ACN tient un discours sibyllin. Pourtant membre de la filiale française, Béatrice, responsable du service clients, "n’a pas le numéro du siège européen à Amsterdam". Elle n’a pas non plus "le droit de vous donner [son] nom et [n’a] pas d’informations sur les autres services du groupe". Bien entendu, le service de presse est inaccessible et la seule adresse publique en France reste une boîte postale en banlieue parisienne. Le numéro de téléphone du siège en Hollande sonne dans le vide. Bien maigre.

Ticket d’entrée : 600 euros

Partenaire de l’Association française de défense des consommateurs, Romain Solenne est également responsable du développement d’Aladin Group, un concurrent direct d’ACN. Lui, fustige le groupe nord-américain. "Au départ, nous avons pensé qu’ACN nous porterait ombrage par ses pratiques. Ce n’est pas le cas et beaucoup d’anciens d’ACN nous rejoignent. Cette entreprise réclame plus de 600 euros pour disposer du kit commercial." Un kit nécessaire au démarchage. Le recrutement de nouveaux clients se ferait à la hussarde et par le "buzz" : messages non sollicités (spams) et offres mirobolantes pullulent ainsi dans les boîtes électroniques et sur les forums.

Quant à la recette de cette affaire... Il faut faire du chiffre et convaincre le maximum de nouveaux clients d’utiliser le système pour multiplier les factures et donc les commissions. D’autant plus que, avec le temps, ces utilisateurs se décideront peut-être à devenir de nouveaux revendeurs. Ils débourseront alors 660 euros pour le kit, etc. Comme près de 2.000 personnes en France, Romain Bonfils est revendeur officiel d’ACN depuis février. Contacté via un ami américain, il a touché début septembre son premier chèque : un peu plus de 300 euros. Une somme qui devrait, grâce à son réseau, croître chaque mois. "ACN n’aime pas trop parler, car la presse critique son fonctionnement et déforme son discours. Nous signons une charte de trente pages en devenant vendeur. Il y est spécifié que la politique du spam est interdite et à bannir, tout comme le démarchage téléphonique, le télémarketing et la vente à domicile."

Voilà pour la théorie. Car si le système repose sur un postulat simple - tout le monde a intérêt à être réglo pour que tout le monde en profite -, dans la pratique les règles sont biaisées. Attirés par les sourires et les vidéos de rêve de leurs hôtes, les revendeurs se retrouvent avec une dette de 660 euros pendue au cou (le prix du kit devrait toutefois baisser avec le lancement de l’offre de téléphonie mobile). Pour la rembourser, une seule méthode : il faut vendre, coco. La recette a bien fait le succès de Tupperware.


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