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"Les écolos ne savent pas communiquer"
lundi, 8 mars 2010 / Anne Sengès /

Correspondante de « Terra eco » en Californie, Anne Sengès est l’auteur de « Eco-Tech : moteurs de la croissance verte en Californie et en France », paru en novembre 2009 aux éditions Autrement.

Linguiste mondialement réputé, George Lakoff jure que les écologistes feraient mieux de parler de « crise du climat » plutôt que de « changement climatique ». Selon lui, les défenseurs de l’environnement ne comprennent rien à l’art de véhiculer des messages, contrairement à leurs adversaires.

Terra eco : Pourquoi faut-il mieux parler de "crise du climat" plutôt que de changement ou encore réchauffement climatique, termes de prédilection des défenseurs de l’environnement ?

George Lakoff : "Il est important de rappeler que c’est un conservateur, le stratège républicain Frank Luntz, qui a commencé à parler de « changement climatique » pendant la campagne électorale de 2004 parce qu’il trouvait que le terme de « global warming » (traduit en français par réchauffement climatique) avait tendance à effrayer les gens. L’expression « changement climatique » fait moins peur car elle implique que personne n’est vraiment responsable. Tout à coup, les démocrates, les écolos et les journalistes ont commencé eux aussi à utiliser l’expression et les climatologues ont trouvé qu’il s’agissait d’une bonne idée sans toutefois réaliser que l’Américain moyen ne savait absolument pas différencier le climat de la météo. La récente tempête de neige sur la côte est du pays a donc été interprétée comme un signe que le réchauffement climatique relève du mythe. Parler de "crise climatique" serait donc beaucoup plus intelligent car, à partir du moment où l’on commence à parler de « crise », il faut inévitablement s’attacher à expliquer les raisons de la crise. Et le mot crise est d’autant plus approprié qu’il existe un lien évident entre la crise économique et la crise climatique puisqu’elles ont la même cause : l’avidité..."

Les climato-sceptiques réussissent-ils vraiment à influencer l’opinion publique ?

"Oui et là encore parce que les gens confondent le climat et la météo et n’arrivent pas à comprendre qu’on puisse parler de réchauffement climatique alors qu’ils affrontent un hiver rigoureux. Lorsqu’il neige à Washington DC [siège du Congrès américain], les conservateurs s’empressent de ridiculiser la notion de réchauffement climatique. Et l’Américain moyen a du mal à comprendre que la quantité accrue de précipitations et de neige est une des conséquences du dérèglement climatique, le réchauffement des océans et de l’atmosphère entraînant un accroissement de l’évaporation, un air plus chaud signifiant également plus d’humidité. Les climatologues ne savent pas non plus se défendre car ils sont incapables de communiquer avec le grand public.

Vous martelez que les Républicains, souvent les plus farouches opposants à la lutte contre les gaz à effet de serre, sont de bien meilleurs communicants que les défenseurs de l’environnement et les démocrates. Pourquoi ?

"Dans la bataille pour le climat, les démocrates ont commencé par faire l’erreur d’utiliser le vocabulaire de leurs opposants. Mais surtout des gens comme Al Gore (ndr : devenu le chantre de la lutte contre les gaz à effet de serre) ou les dirigeants des grandes associations pour la défense de l’environnement ne comprennent absolument pas comment le cerveau fonctionne et sont incapables de communiquer leurs idées de manière efficace. Attachés aux théories des lumières, ils accordent une foi aveugle en la rationalité et sont convaincus qu’il suffit de présenter les faits aux électeurs pour que ces derniers fassent des choix rationnels. De leur côté, les Républicains ont mis en place une machine à propagande particulièrement efficace grâce à laquelle ils parviennent à propager leur système de valeurs en se contentant de répéter la même chose à longueur de temps. Prenez les représentants du NRDC (Natural Resource Defense Council) [1] : leurs avocats qui essayent de convaincre le Congrès d’adopter une loi sur le climat veulent faire preuve de pragmatisme et travailler main dans la main avec les grandes entreprises (qui font pression sur les représentants du Congrès) pour aboutir à un compromis. De la sorte, ils capitulent avant la bataille.

George Lakoff est professeur de linguistique cognitive à l’université de Berkeley en Californie.

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- Photo : [freshconservative->http://www.flickr.com/photos/freshc...