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Aide au développement : pourquoi la France est bonnet d’âne
mercredi, 24 février 2010 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

L’OCDE a fait ses comptes. En 2010, l’aide publique au développement devrait dépasser le montant des années précédentes... mais rester insuffisante au regard des promesses formulées. Au rang des plus mauvais élèves : la France qui semble traîner la patte. Mais pourquoi donc ?

“L’aide publique au développement va atteindre des niveaux records en 2010”, souligne l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) dans un récent communiqué. D’ailleurs depuis 2004, celle-ci a progressé de 35%. Il n’empêche. L’enveloppe de l’APD - comme l’appellent sommairement les experts - est toujours largement inférieure au montant promis par les gouvernements. En 2005 en effet, lors d’un sommet du G8 organisé à Gleneagles en Écosse, les 15 pays membres à la fois de l’Union européenne et du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE s’étaient engagés à consacrer 0,51% de leur revenu à l’APD en 2010. Certains ont tenu leurs promesses. Avec le plus gros pourcentage d’aide au développement du monde - 1,03% de son Revenu national brut [1] - la Suède devrait dépasser de loin l’objectif fixé. Le Luxembourg, le Danemark, les Pays Bas, la Belgique ou encore le Royaume Uni promettent de lui emboîter le pas. Pendant ce temps, la France, elle, prévoit d’atteindre péniblement à 0,46%. Mais pourquoi donc ?

La faute à la crise ? Pas vraiment. L’Irlande et l’Espagne, largement ébranlées par la tempête économique, devraient atteindre le seuil promis en 2010 avec un taux respectif de 0,52 et de 0,51%. La faute à une culture moins généreuse ? “Les pays nordiques sont peut-être plus portés vers l’aide au développement", avance prudemment Yasmin Ahmad de la Direction de la Coopération pour le Développement de l’OCDE. "Au Royaume-Uni, c’est un sujet qui mobilise les citoyens. Tandis qu’en France, avant qu’on assiste à un débat autour de l’APD lors d’une élection, il y a de la marge”, opine Katia Herrgott, chargée de mission APD pour Coordination Sud, un collectif d’ONG.

L’annulation de dette : un filon presque épuisé

En fait le retard de la France s’explique plus simplement. “C’est une question de manque de volonté politique. Traditionnellement l’APD est un domaine fortement dépendant de la volonté du chef de l’État, souligne Katia Herrgott. Jacques Chirac avait poussé pour un investissement plus fort. En 2002, il avait pris l’engagement de consacrer 0,7% à l’APD en 2012 avec un objectif intermédiaire de 0,5% en 2005. Quand Nicolas Sarkozy est arrivé, il a mis de côté cet engagement pour s’aligner sur la position européenne.” Soit 0,5% en 2010 et 0,7% en 2015.

Mais même revu à la baisse, l’Hexagone ne parvient pas à tenir ce nouvel objectif. La faute à l’épuisement d’une des principales mannes qui constitue l’aide au développement française : la remise de dettes des pays du Sud. Cette éponge passée sur les crédits peut en effet être comptabilisée comme une aide monétaire versée aux pays débiteurs. "Les années passées, il y avait eu de grosses remises, notamment en faveur de l’Irak ou du Nigeria. Celles-ci ont permis à la France d’afficher une aide plus importante. Mais elles sont épuisées. Or le gouvernement n’a pas pris les mesures nécessaires pour trouver d’autres sources budgétaires”, souligne la chercheuse de l’OCDE. Pis, la France pourrait même bien ne pas atteindre les 0,46% annoncés. Car elle dépend pour cela de l’annulation des dettes de la Côte d’Ivoire et de la République Démocratique du COngo. “Mais avec les situations politiques difficiles de ces deux pays, l’annulation de la dette risque de ne pas avoir lieu en 2010”, précise Katia Herrgott.

Pas de pression politique

La composition de l’APD rend le système carrément inutile pour Damien Millet, porte-parole du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM). “L’APD c’est une grosse fumisterie en soi”, déclare-t-il franchement. Les pays comptabilisent là-dedans tout et n’importe quoi. On ne devrait pas compter l’annulation de dettes comme une source de développement pour un pays. Ce qu’un pays ne rembourse pas ne l’aide pas forcément à se développer” “Il faudrait comptabiliser seulement une partie de cette annulation, tempère Katia Herrgott. C’est vrai que la procédure permet d’assainir les finances publiques mais la marge de manœuvre des pays dont la dette a été annulée demeure très faible. Notamment quand cela faisait très longtemps qu’ils ne payaient plus la dette”. Une étude signé Daniel Cohen pour l’OCDE en 2000 proposait que seuls 10% du montant des dettes annulé entre dans l’enveloppe de l’APD. Contre 100% aujourd’hui.

Outre la remise en question du système même, reste la question de son application. Car si la France ne respecte effectivement pas son engagement cette année, que va-t-il lui arriver ? En fait rien. “Nous à l’OCDE, nous surveillons les objectifs. Mais nous n’avons pas beaucoup de pouvoir politique. Nous ne pouvons qu’alerter sur la situation, concède Yasmin Ahmad. Si un pays ne tient pas ses promesses, il n’aura pas d’amendes, ni de sanctions. Seules les ONG et l’opinion publique peuvent faire pression sur le gouvernement français pour qu’il tienne ses promesses.” “Il faudrait que les pays membres de l’UE acceptent de mettre la pression sur les mauvais élèves”, propose Katia Herrgott. L’idée de cette chargée de mission pour Coordination Sud ? Adopter un calendrier contraignant avec des paliers annuels et des mécanismes de sanction. “L’un des moyens pour permettre à l’Aide au développement de rester crédible”, précise-t-elle.

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- Le site de Coordination Sud
- Photo : Distribution d’eau en Haïti. Ivan M. García/Intermón Oxfam