https://www.terraeco.net/spip.php?article877
Un pétrole super cher
jeudi, 10 mars 2005 / Walter Bouvais /

Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net

- Suivez-moi sur twitter : @dobelioubi

- Mon blog Media Circus : Tant que dureront les médias jetables

, / Tuplu (illustration)

A qui profite la hausse des cours du pétrole ? Aux seules compagnies pétrolières, diriez-vous ? Mieux que cela : comme à l’école des fans de Jacques Martin, tout le monde a gagné.

Le 19 août dernier à New York, le baril de pétrole atteignait le prix de 48,7 dollars. Un petit malin qui aurait stocké dans son jardin une dizaine de barils payés 20 dollars l’unité début 2002, aurait ainsi réalisé en un an et demi une plus-value de 143%. Mieux que l’investissement dans un duplex avec vue sur la gare Saint-Charles de Marseille. Si elle ravit les spéculateurs, la hausse des prix du pétrole unit économistes, dirigeants, chefs d’entreprises et ménagère de moins de cinquante ans dans une même angoisse existentielle : pourquoi le prix de l’or noir monte-t-il autant et combien cette affaire va-t-elle nous coûter ?

Etranglement

La hausse est le résultat d’une demande plus forte qu’attendue, alors que l’offre peine à suivre. Depuis plusieurs mois, la consommation d’hydrocarbures croît fortement en Chine, en Inde et au Brésil. Elle est soutenue aux Etats-Unis (dont le parc automobile consomme la moitié de l’essence commercialisée dans le monde). Or, dans le même temps, les pays producteurs de pétrole produisent quasiment à plein régime, alors que des doutes planent sur l’avenir immédiat des gisements irakien et de la compagnie russe Ioukos. Les pays de l’Opep ne disposent que de peu de marges supplémentaires : si la demande augmentait encore, elle ne pourrait tout simplement plus être servie. "Cet effet est accentué par des capacités de raffinage limitées. Pendant plusieurs années le raffinage n’était pas une opération rentable pour les compagnies pétrolières, qui n’ont donc pas (ou peu) développé leurs raffineries", explique Jean-Pierre Favennec, économiste à l’Institut français du pétrole (IFP). Aujourd’hui celles-ci tournent, elles aussi, au maximum de leurs capacités. Ce qui provoque un goulet d’étranglement. Plus difficilement disponible, le pétrole est donc durablement plus cher.

45 milliards de dollars

En apparence, la hausse profite avant tout aux pays producteurs et à leurs compagnies nationales. "Pour eux les choses sont très claires, souligne Nicolas Sarkis, le directeur du Centre arabe d’études pétrolières. Sur la base des prix observés depuis janvier, la valeur de la production des pays de l’Opep s’élèverait en 2004 à 300 milliards de dollars." 45 milliards de dollars de plus qu’en 2003 !

Deuxième gagnant : les compagnies pétrolières. Plus les prix sont élevés, plus l’exploitation des gisements rapporte. Elles gagnent également davantage sur le raffinage, ainsi que sur la distribution (les stations-service). Celles qui contrôlent toute la chaîne engrangent des profits colossaux. Ainsi, les bénéfices des cinq majors du pétrole - les américaines ExxonMobil et ChevronTexaco, la britannique BP, l’anglo-néerlandaise Shell et la française Total - atteignent 40,1 milliards de dollars pour les seuls six premiers mois de l’année 2004. Ce sont 6 milliards de plus que pour la même période de l’année 2003.

Yoyo

Certains spéculateurs tirent eux aussi leur épingle du jeu. Selon Nicolas Sarkis, près de 3000 fonds d’investissement joueraient sur les cours du "pétrole papier", rien qu’aux Etats-Unis. Ici règne la loi du marché : lorsque l’un d’entre eux gagne, c’est au détriment d’un perdant. Ces achats spéculatifs - aussi bien à la hausse qu’à la baisse - entretiennent les mouvements de “yoyo” du prix du pétrole.

Derniers gagnants dans cette affaire, et non les moindres : les pays importateurs de pétrole. Comme le prix de base du pétrole augmente, les recettes de la TVA (19,6% en France) appliquée à ce prix augmentent également. Direction, les caisses de l’Etat. "Lorsqu’un pays producteur de pétrole touche 1 dollar, les Etats de l’Union européenne touchent en moyenne 2,2 dollars", rappelle Nicolas Sarkis. Dans le détail, c’est sûrement une mauvaise affaire pour les automobilistes. Mais c’en est une excellente pour les cyclistes ou les adeptes des transports en commun, dont les pistes cyclables et les couloirs de bus sont notamment financés par l’impôt.

Conclusion : la hausse des prix n’est pas forcément une mauvaise chose pour les pays riches... Tant qu’elle reste contenue. Si elle s’avérait excessive, elle découragerait la consommation de produits pétroliers au point de faire chuter les recettes malgré tout. Et, dans une économie encore largement dépendante du pétrole, elle conduirait les entreprises à augmenter leurs prix pour maintenir leurs bénéfices, avec un effet catastrophique pour l’inflation, le pouvoir d’achat et l’emploi. Les grands gagnants seraient alors les adeptes de la chasse au gaspi et les producteurs d’énergies renouvelables.

Liens à voir :
Apprenez les bases de l’économie du pétrole sur le site du ministère français de l’Industrie

Achetez vos barils de pétrole à New York


AUTRES IMAGES

JPEG - 83 ko
350 x 350 pixels