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« L’écologie, c’est du long terme : les politiques ne savent pas faire ! »
dimanche, 14 mars 2010
/ David Solon / Président de l’association des Amis de Terra eco Ancien directeur de la rédaction de Terra eco , / Simon Barthélémy |
Quand le leader d’Europe Ecologie Daniel Cohn-Bendit rencontre le philosophe de l’écologie à droite Luc Ferry, il y a du tutoiement dans l’air. Mais surtout deux manières de concevoir le monde de demain.
A quelle famille politique appartient l’écologie ?
Daniel Cohn-Bendit : Il serait absurde de dire que l’écologie ne pourrait être que de gauche ou que de droite. Vous ne me ferez jamais dire que Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Louis Borloo ou Chantal Jouanno ne sont pas des écologistes. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir en quoi l’écologie change la gauche, la droite ou pas. Quand Nicolas Sarkozy dit « nous sommes la dernière génération à pouvoir agir sur la dégradation climatique », eh bien, il reprend un argument fort des écologistes, qui est neuf dans la bouche d’un homme de droite et qui n’a jamais été exprimé de la sorte par un socialiste. Cela ne veut pas dire que les propositions de Nicolas Sarkozy sont justes. Mais qu’il y a une prise de conscience de l’urgence écologique.
Luc Ferry : L’écologie politique a commencé, dans les années 1970, avec un certain tropisme de gauche. Il s’agissait de poursuivre la critique du capitalisme par d’autres moyens, après l’effondrement des diverses variantes du gauchisme. Déjà à l’époque, on commençait à parler de « décroissance », alors que la droite libérale y a toujours été hostile. Nous nous trouvons à l’heure actuelle dans une antinomie dont personne ne possède la solution. D’un côté, tout le monde veut de la croissance, car sans elle, les entreprises font faillite, ce qui provoque chômage et misère humaine. D’un autre côté, la croissance infinie semble impossible au niveau mondial. On sait, par exemple, que si les Chinois et les Indiens possédaient autant de voitures que les Américains, ce sont 75 % à 80 % de la production mondiale de pétrole et d’acier qui partiraient là-bas. C’est écologiquement et géopolitiquement intenable. Même la droite est obligée de comprendre cela. D’où sa conversion à l’écologie, mais on voit bien qu’elle n’a rien de spontané…
L.F. : Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’Economie dirait la même chose à Daniel Cohn-Bendit, ministre de l’Environnement.
L.F. : D’accord avec toi, il est toujours difficile de parler du long terme, mais c’est aussi une force considérable. Le coup de génie de l’écologie, c’est d’avoir été le premier mouvement politique à mettre l’accent sur l’importance des générations futures. Or, cela touche tout le monde, car c’est en phase avec la tendance lourde des sociétés modernes qui consiste à sacraliser l’enfance. Or, vous voyez bien que la question des générations futures revient au fond, à savoir quel monde nous laisserons à nos enfants. Je suis convaincu que cette problématique va désormais servir de modèle politique, qu’elle servira dans d’autres secteurs, pour la dette publique, par exemple, ou le choc des civilisations.
D.C.-B. : Là, camarade, je t’arrête. Je prends un exemple. Souvenez-vous d’Angela Merkel, alors ministre de l’Environnement. A l’époque, elle avait réuni les industriels allemands pour les convaincre de baisser le taux de CO2 à 120 g/km par voiture. Pas besoin de loi, disait-on. Tout le monde avait signé ce bel engagement et avait promis de baisser ce taux dans les dix ans à venir. Résultat des courses dix ans plus tard ? Rien n’a été fait. Pourquoi ? Car il n’y avait pas de contrainte. Ou de régulation si tu préfères. Or, c’est par la régulation que l’écologie pourra changer les choses.
L.F. : Si je dis que je ne suis pas favorable à la taxe carbone, ce n’est pas parce que je suis un abruti de droite. C’est parce que je vois là une absence incroyable de réflexion stratégique sur notre place dans la mondialisation. Le problème n’est nullement de savoir s’il y a ou non un réchauffement climatique, mais de réfléchir, dans tous les cas de figures, au rôle de l’Europe dans la mondialisation. Or, le contrôle du développement de la Chine et de l’Inde nous échappe totalement pour deux raisons. La première, c’est que ces pays n’ont que faire des diktats de l’Europe. Et la seconde, plus profonde, c’est que le système de la mondialisation est intrinsèquement soustrait à la régulation. Aujourd’hui, on a construit le cockpit de l’avion. Ça s’appelle le G20, mais il y a 20 types à l’intérieur qui se battent pour attraper le manche ! Créer une ville propre à Tübingen, en Allemagne, avec un beau tri des ordures, c’est très bien, mais cela n’empêchera pas l’Inde ou la Chine de dévaster la planète quand elles consommeront trois fois plus de voitures. Là est le vrai problème, pas dans la limitation de nos émissions de CO2 qui ne représentent même pas un dix millième du problème.
L.F. : Je veux bien entendre cela, mais cette organisation n’est pas pour le quart d’heure. Or, d’ici qu’on parvienne à une gouvernance mondiale, on ne peut pas rester les bras ballants, ni se tirer des balles dans le pied en espérant que les autres auront la gentillesse d’en faire autant. Je ne dis pas que la science sauvera le monde. Je n’en sais rien. Mais c’est le seul pari que nous pouvons faire car la décroissance est inassumable.
D.C.-B. : Mais, si on a chez nous en France, une loi contribution climat-énergie, une taxe carbone, on peut dire ensuite que l’accès au marché européen doit respecter ces réglementations. Dans ce cas -là, on arrive à mettre en place une certaine régulation et on contraint la Chine à s’adapter.
L.F. : Oui, sauf que cette harmonisation européenne, on en est très loin. Et tu le sais.
D.C.-B. : Le problème est exclusivement politique. Si la volonté existe, nous pouvons y arriver !
L.F. : Tu proposes donc, une fois mises en place des taxes à l’échelle européenne, d’instaurer un système où, en gros, on n’achète pas les produits chinois si leur fabrication est consommatrice à l’excès de matières premières et/ou si elle nécessite le travail d’enfants. Je suis tout à fait pour ce type de protection sans protectionnisme, mais il faut bien voir que c’est de la dentelle. C’est une action sectorielle, au coup par coup, qui supposerait une instance de négociation européenne, un sens des rapport de force avec la Chine et l’Inde qui soit le fait de diplomates géniaux. Je n’y crois pas une seconde…
D.C.-B. : Eh bien moi, je ne crois pas une seconde à ceux qui nous disent que la régulation écologique est une catastrophe sociale et industrielle. Aujourd’hui, l’émergence, à Copenhague, d’acteurs comme le Brésil qui reconnaît et admet sa responsabilité écologique, modifie fortement le paysage géopolitique et rend de nouveau possible une régulation de la mondialisation. Et cela, on le doit à la prise de conscience écologique.
D.C.-B. : L’écologie populaire de l’UMP est un faux débat idéologique. Ce ne sont que des mots. Comme si nous étions contre le peuple et que Nicolas Sarkozy était pour. D’ailleurs, au passage, permettez-moi de vous dire que si notre président croit réellement faire de l’écologie populaire, il a quelques soucis à se faire, non ? Car au vu des problèmes qu’il a avec les Français, son système ne doit pas très bien fonctionner.
L.F. : Je pense, en tout cas, que pour être populaire, de droite ou de gauche, l’écologie doit se réconcilier avec la démocratie. Elle commence à le faire, en grande partie d’ailleurs, grâce à toi, Dany, et là, pour le coup, j’irai dans ton sens. Il y a peu encore, nous entendions dire : « La situation est si grave que la parole est aux actes, fini la discussion. » Tu as toujours critiqué cette attitude et tu symbolises, c’est vrai, la conversion de l’écologie à l’éthique de la discussion. Tant que des écologistes continueront à refuser le débat, comme ils le font sur les nanotechnologies ou sur les OGM, ils laisseront un boulevard aux imbéciles.
D.C.-B. : Pour être intelligente, large et mobilisatrice, je pense que l’écologie doit oublier ce que j’appelle la définition apocalyptique. Il y a là effectivement un danger de mise entre parenthèses de la démocratie. Les Verts parlent depuis vingt ans de la dégradation climatique. Mais ils viennent tout juste de mesurer combien cultiver l’attrait démocratique permet de pénétrer le cœur de la société.
D.C.-B. : L’écologie va rester sur le marché politique. Et tout le monde va désormais devoir se définir par rapport à l’écologie. C’est ça qui est intéressant. —
DANIEL COHN-BENDIT
4 avril 1945 : naissance à Montauban (Tarn-et-Garonne) de parents juifs allemands réfugiés
Mai 1968 : étudiant en sociologie à Nanterre, il mène le mouvement de révolte étudiante et se retrouve interdit de séjour en France
1989 : élu conseiller municipal Vert à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), où il vit depuis 1968
1999 : tête de liste des Verts français aux européennes
2009 : tête de liste d’Europe écologie aux élections européennes pour l’Ile-de-France. Europe écologie effectue une percée au niveau national à 16,28 %, talonnant le Parti socialiste.
1975 : professeur agrégé de philosophie
1992 : son livre « Le Nouvel Ordre écologique » est une critique féroce de la pensée écologiste
2002 : ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche du gouvernement Raffarin
2009 : président du Conseil d’analyse de la société, sous l’autorité du Premier ministre, il remet un rapport sur le service civique
Photos : Pierre-Emmanuel Rastoin pour « Terra eco »
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