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Les nouveaux empires du soleil cuisant
dimanche, 28 février 2010
/ Caroline Diebold
,
/ Valérie François
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Le four solaire gagne à tous les coups : il éloigne les femmes des fourneaux, réduit les factures de gaz et limite les émissions de CO2. Reportage dans les cuisines boliviennes.
« Je ne suis plus esclave de la cuisine. Grâce au cuiseur solaire, je retrouve du temps pour autre chose. Et dans ce pays très machiste, c’est important pour l’estime de soi ! », lance Nancy, en déposant un poulet dans l’une des grandes caisses orange qui trônent dans la cour. Il est 10 heures du matin au centre social San Luis, sur les hauteurs de La Paz, la capitale bolivienne. Autour de cette quinquagénaire énergique, une dizaine de personnes – surtout des femmes – prennent des notes. Retraitées, professeurs de langue quechua ou architectes, toutes sont venues avec un seul objectif : apprendre à construire leur propre cuiseur solaire. Depuis trois ans, Nancy est formatrice pour l’association nantaise Bolivia Inti-Sud Soleil qui finance ces séances d’initiation. La rencontre avec l’engin a changé sa vie. « Et pourtant, quand je suis rentrée pour la première fois à la maison avec mon four, mon mari m’a dit : “Tu ne franchiras pas le seuil de la porte avec cette poubelle !” Aujourd’hui, l’appareil fait partie de la famille », sourit-elle.
Maria, jeune technicienne de laboratoire, l’utilise tous les jours. Elle habite à quelques encablures du centre San Luis. Dans son salon un peu obscur, elle s’apprête à ouvrir la caisse en bois sous le regard attentif de ses deux enfants. Elle en sort une marmite de soupe fumante. « Lorsque je rentre à midi, le plat que j’ai préparé le matin est cuit sans que j’aie eu à en surveiller la cuisson. Je n’ai plus besoin d’une dame pour m’aider à cuisiner », s’enthousiasme-t-elle. Milviam, sa fille de 14 ans, renchérit : « Et le goût des aliments est meilleur. Les légumes ont plus de saveur. Ça garde les vitamines et c’est plus sain ! » Plus économique aussi : dans le pays le plus pauvre d’Amérique latine – le salaire mensuel moyen tourne autour de 100 euros –, le coût de l’énergie peut absorber jusqu’à un tiers du revenu familial.
Moins grasse et sans cholestérol, la cuisine solaire cohabite avec le boom des enseignes locales débitant à la chaîne les poulets frits. Mais elle séduit des Boliviens de tous horizons, paysans des hauts plateaux andins comme employés des villes. « Avec la cuisine solaire, on peut tout cuisiner. Il faut juste s’habituer à anticiper, car le temps de cuisson est deux fois plus long. En revanche, on peut laisser ses plats cuire sans s’en soucier, pendant 6 heures au maximum, explique Nancy à ses stagiaires. L’adaptation se fait en douceur. Il faut se l’approprier petit à petit. C’est pour ça qu’il est important de le construire soi-même, de cuisiner ensemble et que les gens y participent financièrement. »
A 13 heures, il est temps pour les stagiaires de goûter à leur premier poulet solaire accompagné de bananes plantains. Le verdict est sans appel : « C’est meilleur, plus économique et écologique, alors pourquoi s’en priver ? », synthétise Sandra, jolie jeune femme de 26 ans. La caisse orange vient de faire une nouvelle adepte. —
Photo : Chris De Bode - Panos - Rea