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Street art : des graffitis à la bombe de mousse
dimanche, 28 février 2010 / Audrey Garric

Armés d’un pot de colle (bio) et de végétaux prélevés dans les bois, ils taguent les murs des villes. Rencontre avec les « graffeurs verts », militants et poètes.

15 heures, un samedi. Gaby et Jérémie ont déniché le coin parfait : une jolie placette paisible de la Cour Damoye, dans le XIe arrondissement de Paris, à deux pas de la Bastille. Les deux tagueurs repèrent un mur où court une glycine, le long d’une fontaine ouvragée. Débute alors « l’action ». Les gestes sont rapides et méthodiques : saisir un gros morceau de mousse fraîche, le badigeonner de colle et le disposer sur le mur, de façon à former une grande fleur. D’abord la tige, puis le cœur et enfin les pétales. « Contrairement aux graffitis à la bombe, ici, tout est naturel, expliquent-ils. On a récolté la mousse dans le bois de Vincennes et la colle est un mélange de farine, de bière, de yaourt et de sucre. » Vingt minutes plus tard, l’œuvre est achevée, suscitant la curiosité et l’admiration de quelques passants. « Le but de ces actions est de réveiller les consciences sur l’invasion du béton, faire en sorte de reverdir les villes », revendique Gaby, 22 ans, bonnet péruvien et baggy. Début 2009, cet étudiant à l’Ecole nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois a créé un groupe de « guerrilla gardening » (« guérilla de jardin ») à Paris.

L’initiative s’inscrit dans la mouvance d’activistes apparus il y a une vingtaine d’années aux Etats-Unis, qui prennent d’assaut des terrains en friche ou des plates-bandes délaissées pour y faire pousser plantes, légumes et fleurs. Une trentaine de personnes participent aux actions de l’équipe de Gaby, une fois par mois en moyenne. La plupart sont de farouches partisans de l’alimentation biologique, plébiscitent les transports en commun et produisent leurs propres végétaux. Comme Jérémie, un infirmier de 28 ans à « l’âme du jardinier », qui a rejoint le mouvement par nostalgie de son jardin du Gard.

A l’étranger, ces gestes d’éco-rébellion, plus répandus, se sont même parfois institutionnalisés. Depuis le succès de son mouvement de « guerrilla gardening » dans la banlieue de Londres, l’Anglais Richard Reynolds publie ainsi des ouvrages et multiplie les conférences sur le sujet. Au point d’être repris par une poignée de jeunes artistes à l’âme écolo.

Attention aux averses…

Il y a huit ans environ, la Hongroise Edina Tokodi, 31 ans aujourd’hui, fut l’une des premières à expérimenter les graffitis naturels, à des fins principalement esthétiques. Lapins, hérissons, coqs ou encore cerfs : autant de motifs qu’elle crée dans les rues de New York, où elle vit, à base de mousse maison ou de gazon qu’elle sème. Anna Garforth, 25 ans, essaime, elle, des poèmes en mousse dans les rues de Londres. « In this spore borne air » (« Dans cet air chargé de spores ») ou « Nourish » (« Nourrir »), peut-on lire sur des murs aux vieilles pierres, dans un appel à « prendre conscience de la nature qui nous entoure et la respecter ».

Mais la tâche n’est pas toujours aisée, tant ces graffitis dépendent des conditions climatiques. « En général, il faut six semaines pour que la mousse prenne mais elle s’assèche souvent avant la fin du processus ou se voit noyée par une grosse averse », explique l’artiste londonienne Helen Nodding qui avoue avoir eu « beaucoup d’expériences ratées ». Seul réconfort : en cas de temps clément, ces tags verts sont davantage épargnés par les habitants que leurs confrères en peinture. —

Photo : DR

- Le site de Gaby

- Le site d’Anna Garforth

- Le site d’Helen Nodding

- Le site d’Edina Tokodi